Infrarouge

ÉVASION

Une saison espagnole à Paris

- Par Éric Valz

Les belles exposition­s et les îles partagent le même imaginaire. À l’entrée du musée, le contrôle des billets est la barrière de la mer, le passage obligé vers un autre monde. L’insularité, comme les oeuvres, renforce notre imaginaire, notre envie d’ailleurs. Et comme la création, l’insularité nous fascine. L’île est un laboratoir­e. Pas celle du docteur Moreau ( H. G. Wells) mais plutôt celle de Jules Verne : L’Île

mystérieus­e. Ne dit- on pas que l’écrivain serait venu sur les îles Pityuses – Ibiza et Formentera – pour écrire son roman ?

DE L’ÂME DES PROVINCES ESPAGNOLES…

Alors, quand à Paris l’Espagne pousse un peu sa corne, c’est vers les Baléares que nos envies s’envolent. Nous quittons la terre ferme sur les ailes de Balenciaga au musée Bourdelle ou des costumes inspirants de son enfance, qui racontent l’âme des provinces espagnoles à la Maison de Victor Hugo, voire sur celles de Mariano Fortuny au palais Galliera. Ou encore sur le plumage de Pablo Picasso, à travers trois exposition­s : au musée Picasso, au musée du Quai Branly- Jacques Chirac, enfin au terminal 2E de l’aéroport ParisCharl­es-de- Gaulle, qui accueille au sein de son Espace Musée pas moins de 35 oeuvres de l’artiste, en provenance du musée Picasso ( production déléguée : agence Artcurial Culture).

... AUX NOUVEAUX TERRITOIRE­S DE LA CRÉATION

Enrichis de robes, de toiles et d’images, de combinaiso­ns de couleurs audacieuse­s, de silhouette­s épurées ( Balenciaga) ou extravagan­tes, à l’image des « Habits aux couleurs de l’Espagne » ( Maison Victor Hugo), de corps déstructur­és ou de visages défigurés ( Picasso), on sera à même, sur le seuil des nouveaux territoire­s, d’accéder aux couches fondatrice­s de l’inspiratio­n, du savoir- faire.

LE SYNCRÉTISM­E S’IMPOSE

Face à notre archipel de rêve, composé des îles Gymésies ( Majorque, Minorque et Cabrera) et Pityuses ( cf. plus haut), vous serez porté naturellem­ent, par affinités esthétique­s, à la synthèse de plusieurs traits culturels. Sur ces îles mythiques, la moindre chèvre mal peignée, croisée sur un sentier, sera la récurrente Amalthée de Picasso, la chèvre qui nourrit l’enfant Zeus. De même, les chevaux de Minorque, fendant la foule ou forçant le seuil des maisons lors des grandes fêtes populaires, vous sembleront échappés tout droit du tableau Guernica. Sur ce refuge d’hier contre l’Espagne franquiste, le cheval, comme sur le tableau de Picasso, incarne la liberté, le peuple républicai­n opprimé, la victime innocente.

ROBA DE LLENGÜES

Jupes, boléros, mantilles ou capes revisitées seront ici notre garde- robe d’explorateu­r pour appréhende­r le tissu minorquin, dit « Roba de llengües » , inspiré des ikats que Balenciaga introduira dans ses collection­s. Et dont l’usage se répandra jusqu’aux espadrille­s, aujourd’hui des insulaires Boris Becker ou Rafael Nadal. C’est Cristóbal Balenciaga encore qui conseiller­a à Hubert de Givenchy un pèlerinage à la chartreuse de Valdemosa sur

les traces de Sand et Chopin. Une George Sand si sensible à la magie des paysages de Majorque qu’elle en restera à jamais la meilleure ambassadri­ce. C’est encore tout près de là, à Deià, que Picasso, tout comme Ava Gardner, posera ses valises.

ALCOOL ET PEINTURES

Alors, depuis un bar d’Ibiza ou, d’ une terrasse de La Savina de la très préservée île de Formentera, vous siroterez un Picasso Martini, cocktail imaginé par le barman Colin Peter Field au Ritz de Paris ( 2 1/ 2 onces de gin réfrigéré + 1 cube de Noilly Prat). Soit un Dry Vermouth, issu du Sud de la France, et du gin que Pablo Picasso mettra de nombreuses fois en scène dans ses natures mortes. Cherchez le citron et il apparaîtra ( Bouteille de gin, cruche et citron, par exemple), issu de la domination britanniqu­e. On en fabrique à Majorque par distillati­on d’alcool éthylique d’origine agricole et de baies de genièvre qu’ on dégustera dans la boutique Xoriguer ( située sur le port de Maó). De L’Arlequin au verre à Père Mathias ou Pierreuses au bar, l’alcool se mêle aux pigments du maître. Le cocktail aidant, on s’attardera sur les silhouette­s féminines locales qui croisent au- delà sur la terrasse. Pablo Picasso aurat- il introduit dans Les Femmes d’Alger ( 1955) les traits de femmes de Minorque ? Celles que la France de jadis incita à se rendre en Algérie pour épouser les colons… La « Femme de l’île de Majorque » on connait ses traits, vus récemmment à la Fondation Vuitton, dans la collection Chtchoukin­e...

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Balenciaga, l’oeuvre au noir au musée Bourdelle
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Miró
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