Infrarouge

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Nicolas Bedos

- Par Charlotte Bouteloup de Rémur Photo Jacques Gavard

Cet homme est énervant. Il a du talent ( énormément), du répondant ( effrontéme­nt), un air ( parfois) arrogant et un physique séduisant ( très). Son premier film, Monsieur et Madame Adelman, irrésistib­lement drôle, est une ode à l’amour et à la création.

Chouette, c’est la promo du film ! C’est un peu les vacances, non ?

Ah oui, on peut voir cela comme ça : on prend beaucoup l’avion et le train ! [ rires]. Avec Doria [ Tillier], on a même demandé à doubler les dates parce qu’on sait que c’est important pour la carrière du film. Et puis on a envie que le public le plus large possible voit pour le dissocier de l’image un peu « clivante » que je peux avoir, parfois.

Trois ans que l’on ne vous a pas vu, où étiez- vous ? Vous nous avez manqué…

C’est sympa mais je n’ai pas manqué à tout le monde ! Ce film a été un projet fastidieux, difficile. Les gens ne sont pas forcément au courant de toutes les étapes de fabricatio­n d’un film. Quand on veut faire cela bien, l’implicatio­n est de deux ans, minimum.

Pour un premier film, vous avez mis la barre très haut : vous êtes devant et derrière la caméra, vous avez écrit le scénario et même composé la musique. Ce film, c’est le vôtre à 100 % ?

Oui, j’ai l’impression que c’est une nouvelle vie pour moi, une nouvelle propositio­n. Ceux qui ne me connaissen­t pas, ceux qui ne lisent pas mes livres, auront une vision de moi différente. À la télévision, je suis un peu restreint, contraint par un cadre d’humour satirique, très vachard, corrosif. Si le film a de tels aspects, il a aussi d’autres facettes que j’avais envie d’explorer et d’exprimer.

Vos livres se vendent bien et vous jouissez d’une belle réputation à la télé. Ce film a- t- il été dur à monter ?

Oui et non ! Oui, parce qu’on a essayé beaucoup de pervertir le scénario, de l’adoucir. Doria et moi, nous nous y sommes toujours refusés. Nous ne voulions pas lisser le script,

parfois très transgress­if et choquant, car c’est notre humour, ce qui nous fait marrer. Donc oui, il a fallu se battre pour garder le film tel qu’il était ! En revanche, il y a eu un vrai intérêt pour cette histoire. Les gens qui lisaient le scénario ont eu parfois les larmes aux yeux, à commencer par nos partenaire­s financiers qui nous ont vite soutenus.

On sait que c’est de la fiction, vous l’avez dit, mais quelle histoire d’amour ! Un amour fou qui sent « un peu beaucoup » le vécu tout de même…

On va dire qu’il y a un peu de vécu – nos parents, leurs amis – et beaucoup d’invention, de trucs que l’on a chopés avec Doria dans des biographie­s de peintres, de philosophe­s et aussi d’hommes politiques ! Ou encore des histoires sur le couple à travers les âges. Nous avons bidouillé le tout pour élaborer une sorte de sociologie de la vie conjugale, et surtout réaliser le film le plus riche qu’on pouvait faire.

Quel genre de cinéphile êtesvous ?

Personnell­ement, j’en ai marre d’aller au cinéma et de voir des propositio­ns qui sont des petites chroniques de vie, parfois magnifique­s certes, mais souvent on a envie d’en « bouffer » davantage ! Doria et moi adorons

Forest Gump, Amadeus, La Guerre des Rose, Tit anic…

Ce film n’est certes pas cela, mais on voulait s’en mettre plein la vue, pour nous et le public.

Quels sont les amoureux qui vous inspirent ? Ceux qui ont connu, comme dans le film, l’amour « irréversib­le » ?

J’ai une tendresse particuliè­re pour Francis Scott Fitzgerald et Zelda, qui a terminé schizophrè­ne, une fin dramatique [ l’écrivain est

mort d’une attaque, épuisé à quarante- quatre ans, fin 1940 ; Zelda meurt huit ans plus tard, brûlée vive dans la chambre de son hôpital psychiatri­que, Ndlr]. Mais un grand amour, dont nous nous sommes un peu inspirés car Zelda était la muse de Fitzgerald. Il s’est passé plein de choses entre eux : elle écrivait un peu avec lui, ils partageaie­nt tout. Moi, j’ai toujours eu besoin d’adresser ce que je faisais à une femme. Victor, le personnage de mon film, je le comprends bien car il fait beaucoup pour plaire à l’autre. « Tout sauf l’ennui ! » , crie- t- il à sa femme.

On connaissai­t Doria Tillier pour ses facéties télévisuel­les. Ici, on la découvre actrice, entière, épatante…

C’est la révélation du film. On se connaît depuis huit ans. Quand on s’est rencontré, elle prenait des cours de théâtre et était serveuse au Bistrot Vivienne à Paris. Elle avait déjà cette personnali­té très atypique, un mélange de timidité et d’explosion… Cette fille, c’était le Soleil et la Lune. Et puis nous nous sommes perdus de vue, retrouvés. Et puis reperdus et enfin re- retrouvés ( comme la chanson). Le film porte cela en lui… Les renaissanc­es amoureuses, tout au long d’une vie.

On rit beaucoup mais on pleure aussi. On pourrait même penser qu’il y a deux films dans le film.

Ça démarre comme une comédie romantique. Nous avons énormément ri en écrivant la rencontre, les infidélité­s, le désir, le cul, les parents, les beaux- parents. Et puis c’est la vie qui évolue… dans l’émotion, dans les larmes et le mélodrame. Une femme m’a dit un jour, à Toulouse : « Je me suis marré pendant une heure et j’ai pleuré pendant une demi- heure. »

Avez- vous réussi à faire le film que vous rêviez de faire ?

Pour la première fois, je propose à ceux qui me suivent et qui me lisent quelque chose qui pourrait leur convenir. C’est vraiment un film à nous – Nicolas Bedos et Doria Tillier –, sans concession. C’est le film qui nous fait rire et qui nous fait chialer. Jusqu’ici, je m’étais un peu compromis au cinéma parce que je voulais mettre un pied dans ce milieu. J’ai accepté des propositio­ns que je ne renie pas mais qui ne représenta­ient pas le cinéma que j’ai envie de défendre. Cela fait vingt ans que je veux faire un film, il était hors de question que je fasse la moitié d’un film perso, il fallait que ce film me ressemble à 100 % et c’est le cas.

Sur quel projet peut- on vous attendre prochainem­ent ? Livre ? One- man- show ? Collaborat­ion ?

Le cinéma n’est pas pour moi une ligne de plus sur un CV. Depuis l’âge de dix- sept ans, je veux faire un film. Le théâtre, la télé, ont été des moyens pour y parvenir. C’est un rêve, un aboutissem­ent que je vis là. C’est peut- être le début d’autre chose. Je vais me consacrer au cinéma et à la littératur­e, univers plus riches, susceptibl­es d’exprimer davantage de choses. Cependant, ça me fait toujours marrer de présenter Les Molières : il y a, dans l’exercice, quelque chose de l’ordre du cabaret, du music- hall…

Et Doria ?

Elle m’a permis d’enfanter ce projet. Elle m’écrase dans le film, elle est inattendue. C’est excitant de voir une actrice, vierge de cinéma, dans un rôle aussi important. C’est ce qui est passionnan­t. Et, au- delà des histoires perso, nous entretenon­s une vraie complicité dans la vie.

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