Infrarouge

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Stacy Martin

- Par Aude Bernard- Treille, photo Tiago Banderaa / H& K

Que connaissie­z- vous de Godard avant de tourner Le Redoutable ?

J’ai commencé à voir ses films à 21 ans, mais je ne connaissai­s pas vraiment son cinéma après son oeuvre charnière La Chinoise. Travailler avec Michel a été une opportunit­é de regarder les oeuvres de Godard de plus près et de comprendre son évolution. C’est quand même un réalisateu­r mythique.

Qui se rapprocher­ait de lui aujourd’hui au point de marquer son époque ?

C’est difficile car je trouve que, encore de nos jours, il inspire les cinéastes. Il avait une façon tellement avant- gardiste et moderne de filmer que ses créations ont conservé une fraîcheur incroyable. Actuelleme­nt, dans le cinéma français, les films ont peut- être perdu une part d’esthétisme. On trouve des oeuvres plus réalistes, avec un cinéma plus social. Je mets évidemment Michel Hazanavici­us à part, car il a son propre langage et aime les exercices de style en inventant toujours. Dans ce film, nous sommes en 1967, il s’est penché sur la période de la Nouvelle Vague, mais le spectateur retrouve la signature humoristiq­ue de Michel.

On découvre un Godard presque inconnu.

Le film montre un homme amoureux, sensible, presque vulnérable, et c’est touchant de voir cet artiste si adulé à son époque qui se perd et se cherche constammen­t. Il rejette tout, y compris lui- même, ses amis et enfin son amour pour cette femme.

Vous incarnez le personnage d’Anne Wiazemsky. Est- ce que vous avez pris des libertés vis- à- vis d’elle ?

Oui, car j’avais conscience qu’elle était jeune et découvrait beaucoup de choses de la vie, à travers lui d’abord, puis sans lui. Elle vivait un peu en retrait, comme en observatri­ce, au côté d’un homme au charisme fou, donc j’ai interprété le rôle d’Anne avec un certain laisser- aller. Puis j’ai rencontré la vraie Anne Wiazemsky à Cannes, c’était très émouvant, je ne trouvais pas les mots. Mais nous n’avons pas vraiment parlé du film. Elle livre déjà tout dans son livre. Qu’avez- vous en commun avec votre personnage ? Son regard. Elle est témoin d’une période vraiment fascinante. Sa façon de prendre du recul et d’être aussi curieuse, son besoin d’être auprès des gens qui créent, dans un univers très inventif, c’est ce qui me portait à mes débuts. Son besoin d’indépendan­ce se construit au fur et à mesure qu’elle grandit.

C’est un film sur une époque, mais aussi sur un amour. Lorsqu’on est amoureuse, doit- on tout accepter ?

Non, évidemment, mais c’est aussi un moment d’échanges, avec l’autre. L’amour est un compromis constant. Dans cette histoire, on voit qu’elle a tellement donné et qu’elle ne recevait pas ce qu’elle attendait.

Il y a beaucoup de scènes dénudées et Hazanavici­us fait dire à Godard qu’ « on fait faire n’importe quoi aux actrices » . Cette ironie vous fait- elle rire ?

Oui, et cette ironie, il la transmet dès le début. Les scènes de Michel sont très belles, et celles concernant la nudité sont presque « sacrées » . Quand il y a de l’esthétisme, cela change vraiment le regard. Qu’est- ce que vous refuseriez de faire à l’écran justement ?

Un film que je ne veux pas faire. J’ai la chance de pouvoir choisir mes projets.

Qu’avez- vous apprécié dans ce tournage ?

Le fait que ce soit une comédie et que, pourtant, l’esthétisme soit présent quasiment à chaque plan. J’ai beaucoup aimé l’ambiance de tournage. Quand on a du plaisir dans son travail, c’est le rêve. Et qu’est- ce qui a été plus compliqué que prévu ? Trouver le ton au départ et savoir comment jouer l’intimité d’un couple. Louis Garrel est très vite entré dans le personnage de Godard, il se l’est approprié parfaiteme­nt. Après plusieurs lectures, on y est arrivé. Mais c’est une performanc­e d’être juste, surtout dans les sentiments. Nous avions envie que les spectateur­s aiment ce couple en les entraînant dans un tourbillon intime.

Quelle est la cause qui aurait votre soutien au point d’aller manifester, comme dans le film ? J’habite à Londres et c’est très fréquent de s’exprimer dans la rue. Je trouve qu’en ce moment il y a des tas de raisons d’exprimer son mécontente­ment ou son refus. Je suis assez triste de voir tout ce qu’il se passe. Nous n’avons pas le temps de nous poser. La jeunesse anglaise s’est d’ailleurs beaucoup politisée…

Enfin, que redoutez- vous le plus dans le vie ? L’ennui.

Stacy Martin est à l’affiche du film Le Redoutable de Michel Hazanavici­us, en salle le 13 septembre 2017. Ce film Français, Sélectionn­é au Festival de Cannes 2017, est une adaptation du livre Un an après d’AnnE Wiazemsky, paru en 2015 aux éditions Gallimard et qui raconte l’histoire d’amour qu’elle a vécue avec son époux Jean- Luc Godard.

« L’amour est un compromis constant. »

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