Infrarouge

Patrick Dempsey

- Par Audrey Poux

« Les 24 Heures du Mans vous apprennent à vous focaliser sur un objectif. »

Cet automne, il tiendra la vedette de la mini-série événement La Vérité sur l’affaire Harry Quebert. Mais Patrick Dempsey est bien plus que le beau gosse de Hollywood. Pilote et patron d’écurie automobile, il nous avait donné rendez-vous, il y a quelques semaines, à l’occasion des 24 Heures du Mans, pour nous prouver qu’il est aussi sympa que la légende qui le précède.

Patrick Dempsey m’avait promis un tête-à-tête aux 24 Heures du Mans. 7h30 du matin, une fois arrivée sur place la nouvelle tombe : l’une de ses deux Porsche vient de déclarer forfait. Sur le circuit, la tension est palpable. Son attachée de presse m’informe que Patrick sera peut-être contraint d’annuler notre rendez-vous, car le manque de sommeil combiné au stress le rendrait peu réceptif à mes questions. Ultime rebondisse­ment ! La jeune femme m’agrippe le bras et m’entraîne avec elle. En surdose d’adrénaline, je suis mon guide, direction le stand Porsche. Patrick Dempsey tient à me recevoir. Point de tête-à-tête dans la loge VIP, comme il était initialeme­nt prévu, mais dans les paddocks, au milieu des mécanicien­s et dans les vrombissem­ents des moteurs. Rencontre sous haute tension.

Audrey Poux : Bonjour, Patrick, comment allez-vous ? C’est un jour spécial pour moi, car je peux rayer deux choses de ma liste des « premières fois ». Je pose le pied sur un circuit de course et j’interviewe une star de ciné américaine. Patrick Dempsey : Bienvenue, alors !

AP : Sur une échelle de 0 à 10, à quel point est-ce pénible pour vous de répondre aux questions des journalist­es en pleine course ?

PD : Oh, ça va, je n’ai pas à me plaindre.

(Il n’y a pas à dire, ces Américains sont pros jusqu’au bout, même après une nuit blanche.)

AP : Normalemen­t, je n’oserais pas poser cette question, mais les circonstan­ces l’exigent : Comment était votre nuit ?

PD : Elle était longue, un peu fraîche, mais globalemen­t c’était bien. Même si on dort peu, il y a l’adrénaline de la course et ça, c’est précieux. AP : Êtes-vous venu souvent aux 24 Heures du Mans ? PD : En tout, huit fois, dont quatre en compétitio­n.

AP : Et la magie opère toujours ?

PD : Bien sûr, grâce au travail d’équipe. C’est ce qu’il y a de plus palpitant, ici. Tout repose sur l’équipe, même si c’est stressant ou fatigant.

AP : Justement, cette année, vous êtes là comme patron d’écurie. Avez-vous décidé de prendre votre retraite en tant que pilote ?

PD : Dans les courses d’endurance, oui. Ah, excusez-moi, c’est le boss !

(Patrick Dempsey me quitte pour un aparté avec Wolfgang Porsche, le grand patron du constructe­ur allemand, qui l’attrape pour une franche accolade. Après quelques secondes, il revient s’asseoir en face de moi.)

AP : Avez-vous eu peur pour votre vie ?

PD : Non, c’est plus une histoire d’engagement et de temps. J’ai suivi les objectifs que je m’étais fixés et là, je change d’objectifs. C’est un nouveau cap, qui me plaît tout autant.

AP : Lorsque vous pilotez, vous est-il déjà arrivé de penser à autre chose en pleine course, par exemple : « Demain, il faudrait prendre un vol plus tôt… » ? PD : En fait, dans ce pays, je me sens surtout concerné par les grèves (rires) ! Mais j’essaye de ne pas y penser, surtout lorsque je pilote. C’est vraiment l’un des exercices les plus difficiles, ne pas laisser son esprit divaguer, en particulie­r dans les lignes droites. (Effervesce­nce dans les paddocks, la Porsche 911 RS en compétitio­n arrive à toute allure pour le ravitaille­ment et le changement de pilote. Dempsey ne la quitte pas des yeux, tout est millimétré, à la seconde près. Le chrono affiche moins de deux minutes.)

AP : Vous avez commencé comme jongleur, vous êtes maintenant un pilote chevronné, vous participez au Tour d’Italie, la célèbre compétitio­n cycliste, et on peut dire que vous êtes un acteur bankable, au cinéma comme dans les séries. Par pitié, dites-moi qu’il y a quelque chose dans lequel vous êtes vraiment mauvais ? PD : Épeler ! Je suis épouvantab­le dès qu’il s’agit d’épeler quoi que ce soit et, à l’écrit,

Dans « cette série, je joue un homme de 35 à 67 ans, qui est loin d’être le “good guy ” que je joue en général »

ma ponctuatio­n est catastroph­ique. Voilà, ça fait deux choses (rires).

AP : Vous considérez-vous meilleur acteur ou pilote ? PD : Oh, c’est impossible de comparer les deux tant les discipline­s sont différente­s. Il faudrait demander aux gens compétents dans les deux domaines… Pour moi, c’est impossible de répondre.

AP : Êtes-vous superstiti­eux ? Avez-vous des tics avant de monter dans la voiture ?

PD : Pas vraiment superstiti­eux, mais j’ai clairement des rituels.

Attention, je ne fais pas de danses bizarres non plus, hein, mais j’essaye de me poser pour visualiser la scène. Je passe en revue chaque détail jusqu’au changement de pilote. C’est une façon de chasser l’angoisse et ça canalise le stress. C’est très efficace.

AP : Cannes en avril, Le Mans plusieurs années de suite… Vous connaissez aussi bien la France que moi. Quelle autre ville appréciez-vous ?

PD : Paris… et Monaco.

AP : J’ai lu dans une interview que vous cherchiez une maison près du Mans. L’avez-vous trouvée ?

PD : Non, mais j’ai élargi mes recherches à toute l’Europe maintenant !

AP : Vous avez déclaré : « Les 24 Heures du Mans, c’est une leçon de vie. »

Expliquez-nous pourquoi.

PD : Les 24 Heures du Mans vous apprennent à vous focaliser sur un objectif. Ensuite, si vous vous y mettez à fond, vraiment à fond, et que vous prenez le temps nécessaire, cet objectif peut se réaliser. Bien sûr, ça n’arrivera pas en un jour, ou peut-être même jamais, mais c’est possible et c’est tout ce qui compte. Lorsqu’on y arrive après tous les efforts et les sacrifices nécessaire­s, on n’est plus jamais le même, on est transformé.

AP : Pour le meilleur ?

PD : Heureuseme­nt, oui ! On gagne définitive­ment en confiance en soi.

AP : Vous sentez-vous plus vulnérable en tant que père de trois enfants ou sous votre casque, dans votre voiture ?

PD : Sans hésiter, en tant que père. L’endurance est bien plus importante qu’aux 24 Heures du Mans et aucun entraîneme­nt ne vous prépare à ça ! Les choix et les décisions que l’on prend avec ses enfants les programmen­t pour la vie.

AP : Après onze saisons de Grey’s Anatomy, avez-vous appris des choses en médecine ?

PD : Hélas, rien ! Je n’en sais pas plus que vous, j’imagine… Sérieuseme­nt, tout allait si vite que je n’aurais jamais pu retenir quoi que ce soit.

AP : Dans la série, vous étiez surnommé « Mc Dreamy » (« Dr Mamour » dans la version française). Avez-vous un surnom dans la vraie vie ?

PD : Eh bien, celui-ci semble me poursuivre partout, donc je pense que c’est assez ? En y réfléchiss­ant, ce surnom n’est pas si mal, même si, d’emblée, cela place la barre assez haut dans les attentes des gens.

AP : Est-ce que votre notoriété est une entrave à votre liberté ?

PD : Une entrave ? Non, pas du tout. Je vois plutôt ça comme une chance. La notoriété m’a permis de vivre des choses incroyable­s que je n’aurais pas pu vivre autrement.

AP : Qu’est-ce qui est vraiment cool quand on est une star ?

PD : Le regard des gens ! Leurs yeux s’illuminent et ils vous regardent avec bienveilla­nce. Leur attitude est positive. De ce fait, moi aussi je ressens ces bonnes ondes… AP : Depuis 2014, vous êtes ambassadeu­r pour TAG Heuer. Paul Newman et Steve McQueen étaient eux aussi des acteurs-pilotes proches de marques horlogères. Avezvous d’autres choses en commun ?

PD : C’est déjà pas mal, non ? Je dirais très certaineme­nt l’amour de la camaraderi­e qu’impliquent ces sports d’équipe, et aussi le challenge mental et physique.

AP : Comment expliquez-vous cette attraction des acteurs pour la course automobile ?

PD : Pour les autres, ça va être dur de répondre à leur place, mais, ce qui est vrai pour moi, c’est que c’est une façon de prendre le contrôle. En tant qu’acteur, on est souvent dans une posture passive, on exécute et beaucoup de gens décident pour nous. La notoriété qui va avec est abstraite alors que, ici, c’est du concret. Une victoire sur un circuit, c’est très tangible, car on connaît le succès de manière immédiate.

AP : Justement, quel est votre rapport au temps ? Êtes-vous plutôt du genre en avance ou en retard ?

PD : Depuis le temps que je travaille avec des équipes allemandes, croyez-moi, je suis en avance, ou tout du moins à l’heure !

AP : La série La Vérité sur l’affaire Harry Quebert va bientôt être diffusée en France, sur TF1. Les critiques ont dit, à la sortie du roman de Joël Dicker en 2012, qu’il avait toutes les qualités d’un polar américain, ce qui est plutôt un compliment. L’aviez-vous lu à l’époque ? Qu’est-ce qui vous a attiré à la lecture du scénario ? PD : J’ai reçu un email qui avait pour objet : « L’Affaire Harry Quebert & Jean-Jacques Annaud », alors immédiatem­ent j’ai acheté le bouquin, car j’étais intrigué. Jean-Jacques Annaud est un réalisateu­r avec lequel j’ai toujours rêvé de travailler. Je me fichais presque de savoir ce qu’il y avait dans ce livre, mais je l’ai lu quand même, dans l’avion, et j’ai adoré. Ce rôle est unique et très différent de ce que j’ai fait jusqu’à présent. Dans cette série, je joue un homme de 35 à 67 ans, qui est loin d’être le good guy que je joue en général.

AP : Comment était-ce de travailler avec un réalisateu­r français ?

PD : Sublime ! Ce n’est pas tant qu’il soit français, Jean-Jacques m’a donné beaucoup de liberté et fait confiance. Je n’ai jamais travaillé de cette façon, il n’y avait que trois caméras et très peu de prises. En un sens, on pourrait presque dire que j’ai éprouvé la même excitation que celle que je peux ressentir lors des courses, ici, avec sa façon de travailler sur le fil, toujours dans la spontanéit­é. C’est vivant, frais. Ce fut une vraie libération pour moi en tant qu’acteur !

AP : Vous vous sentez mieux aujourd’hui ou à vingt ans ? Est-ce que vous aimeriez remonter le temps ?

PD : Pas du tout ! Je me sens plus heureux aujourd’hui, parce que j’ai appris à profiter de la vie et ne plus me soucier des petites choses. En gros, je m’inquiète moins.

AP : Pour terminer, la devise de TAG Heuer est : « Don’t crack under pressure. » Quelle est la vôtre ?

PD : Elle n’est pas si différente de celle-là. Dans « Don’t crack under pressure », ce qui importe, c’est le cheminemen­t. Personnell­ement, j’aime beaucoup dire : « Ce qui t’appartient vraiment, on ne peut pas te le prendre. »

L’écurie de Patrick Dempsey a fini première dans sa catégorie GTE Am. Dempsey n’est pas tel qu’on l’imagine, il est encore mieux. Souriant, charmant, poli et attentionn­é, il a même voulu ramasser les feuilles de questions que je jetais par terre dans la panique, comme Julien Lepers. De cet entretien sous pression, je retiendrai que, en digne ambassadeu­r TAG Heuer, il n’a pas craqué. Et, heureuseme­nt pour cette interview, moi non plus.

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