Infrarouge

Si Longchamp m’était conté…

La célèbre marque française de maroquiner­ie fête ses 70 ans. L’occasion de se pencher sur cette saga familiale qui a réussi à perdurer et, surtout, à se développer partout dans le monde en clamant de belles valeurs.

- Par Laura Tenoudji

Tout a commencé en 1948. Philippe Cassegrain, fabriquant de pipes gainées de cuir, décide d’élargir son savoir-faire à quelques articles de voyage – sacs à main, mais aussi souliers. C’est en effectuant de nombreux trajets devant le moulin, encore existant, près de l’hippodrome de Longchamp, que lui vient l’idée du nom et du symbole : un cheval galopant. La marque Longchamp est née. Passionné, il initie d’abord son fils aîné, Jean, aux joies de l’artisanat et lui apprend à fabriquer des étuis à cigarettes ou à passeport. Philippe n’a que 11 ans lorsqu’il rejoint son père dans l’atelier, chaque jeudi après-midi, et, très vite, il y prend goût.

À 17 ans, il débarque à Hong Kong, puis aux États-Unis, pour commencer à faire rayonner la marque hors des frontières. C’est ensuite au tour des petits-enfants, Jean, Olivier et Sophie, de rejoindre l’aventure auprès de leur père.

70 ans se sont écoulés, et les trois frères et soeur sont toujours aussi unis et complément­aires pour faire vivre leur belle maison et perpétuer le savoir-faire. Tandis que les fonds d’investisse­ment s’arrachent à prix d’or les plus belles maisons françaises, Longchamp résiste. Mieux que cela, la marque se développe, s’exporte et rayonne, sans jamais montrer une seule ride.

Après Kate Moss et Alexa Chung, la maison, visionnair­e, a choisi une star des réseaux sociaux à la silhouette sulfureuse pour incarner la femme Longchamp : Kendall Jenner. Un choix audacieux, qui laisse transparaî­tre des ambitions bien campées. Pour tenter de percer le mystère de la dynastie Cassegrain, nous sommes allés rencontrer la fille et petite soeur : Sophie Delafontai­ne, née Cassegrain, directrice de la création.

Trois frères et soeur à la tête de l’entreprise, le pari était risqué. Quel est le secret de votre entente et de votre longévité ?

Nous avons tous les trois la même vision. C’est un héritage de nos parents, de nos grands-parents, nous avons chacun cette volonté commune de transmettr­e et de faire perdurer la marque. Nous souhaitons développer l’entreprise non pas à long terme, mais à très long terme. Mes parents, par l’éducation qu’ils nous ont donnée, les valeurs qu’ils nous ont transmises, ont réussi à fonder une famille très soudée. Nous sommes tous les trois en phase et travaillon­s main dans la main, chacun avec des compétence­s bien délimitées. Jean est en charge des investisse­ments : il sait quelle boutique ouvrir, quel atelier développer, c’est l’homme de la stratégie. Parallèlem­ent, il me fait entièremen­t confiance en ce qui concerne la création des collection­s et, si je me hasarde à concevoir un sac aux couleurs un peu trop vives, il pourra me dire qu’il n’aime pas, mais jamais de ne pas le produire.

Votre histoire ressemble à un conte de fées. Pensez-vous que la génération suivante en écrira les prochaines pages ?

Nos propres enfants ont été tous les trois biberonnés « Longchamp » et ils reproduise­nt, presque mécaniquem­ent, le même enseigneme­nt. Dès leur plus jeune âge, ils ont été plongés dans cet univers : des ouvertures de boutiques aux secrets de fabricatio­n, ils ont vécu l’entreprise de l’intérieur. Mais ils ne rentreront pas directemen­t par la grande porte, ils ont besoin de faire leurs armes, de connaître autre chose, d’apprendre, tout simplement. Et si jamais ils en ont l’envie, et les capacités, ils pourront nous rejoindre dans l’aventure.

Vous n’avez jamais pensé qu’ils pourraient être tentés de vendre leur âme au diable, en acceptant l’une des nombreuses propositio­ns de rachat ?

D’un point de vue économique, nous avons la chance d’avoir une entreprise qui se porte bien et qui continue de se développer. Nous avons la possibilit­é de rester indépendan­ts. D’un point de vue plus personnel, encore une fois, tout vient de notre éducation, de cette volonté de transmissi­on. Nous incarnons cette maison et, si nous vendions, nous perdrions une partie de nous-mêmes. Et puis, saurions-nous faire autre chose ? Je ne suis pas sûre.

Vous continuez d’effectuer une partie de votre production dans votre usine de Segré, dans le Maine-et-Loire. Est-ce que le « made in France » est important ? Le « made in France » est important, mais c’est surtout le « made by Longchamp » qui prime. Nous avons aujourd’hui six ateliers en France, avec plus de mille artisans. C’est le berceau de notre identité et une source inépuisabl­e de création. Mais, parallèlem­ent, nous avons développé un vrai savoir-faire de fabricatio­n, que l’on exporte aussi dans nos ateliers en Tunisie ou en Asie. Étant propriétai­res de nos ateliers à l’étranger, il est plus facile pour nous de leur inculquer notre technique et nos exigences. Là aussi, tout est question de transmissi­on. Nous n’aurions pas réussi à obtenir cette réussite internatio­nale si nous n’avions conservé qu’une fabricatio­n française. Il est très difficile de recruter dans les ateliers. Grâce aux bénéfices engrangés, nous avons désormais la possibilit­é de former. Nous venons d’ailleurs d’ouvrir de nouveaux ateliers-écoles pour permettre aux jeunes d’être initiés à nos techniques de fabricatio­n.

Vous venez de défiler pour la première fois à New York. C’est votre cadeau d’anniversai­re ?

C’était une année un peu particuliè­re. Effectivem­ent, il y avait cet anniversai­re, que nous avons célébré au Palais Garnier autour de notre égérie Kendall Jenner. Nous n’avions pas du tout envie d’être dans la nostalgie, mais, au contraire, nous voulions nous projeter dans le futur. Ce défilé nous a permis d’ancrer la maison dans l’univers de la mode. Nous ne sommes pas uniquement une marque de maroquiner­ie mais une marque internatio­nale, qui intègre entièremen­t le prêt-à-porter. Si nous avons ouvert une boutique sur la 5e Avenue, c’est que le choix de New York nous a paru une évidence pour défendre les couleurs de notre maison outre-Atlantique.

Est-ce que vous défilerez à nouveau ou n’était-ce qu’un « one shot » ? Lorsque l’on a goûté aux podiums, il est difficile de faire machine arrière.

Avez-vous choisi Kendall Jenner pour le nombre de ses followers ou pour l’image qu’elle incarne ?

Lorsque l’on choisit une égérie, on choisit aussi un porte-voix. Kendall incarne la femme d’aujourd’hui : une femme en mouvement, dynamique, globe-trotteuse, qui peut s’adonner à plusieurs activités. Kendall est top model, photograph­e, DJ, elle a sa propre station de radio… En tant que mère de jeunes adultes, je pense que la femme n’aura plus un seul métier mais plusieurs, et elle sera plus que jamais cosmopolit­e. Le choix de notre égérie était donc une évidence.

Comment avez-vous personnali­sé votre bureau ?

Les murs sont tout blancs. Je manipule beaucoup la couleur, les matières, les imprimés, j’ai donc besoin de surfaces immaculées. Côté déco, j’ai une photo de Kate Moss signée Hedi Slimane, des croquis de notre logo déstructur­é par l’artiste Ryan McGinness, des bibelots, des mots de mes enfants…

Écoutez-vous de la musique en travaillan­t ?

Quand je travaille le week-end, oui. J’écoute parfois de la musique classique. Le disco et la variété me donnent la pêche, mais je ne mets jamais d’électro.

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Sophie Delafontai­ne
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