Infrarouge

Le cognac à l’heure du shaker

Boudé par les consommate­urs français, le cognac opère un retour fracassant sur la scène de la mixologie grâce à des propriétés bien particuliè­res.

- Par Thomas Le Gourrierec

Confortabl­ement calé entre pierre gratouillé­e, fauteuils cuir, poutres métallique­s et mur de bouteilles rétro-éclairé, le visiteur se croirait ici outre-Atlantique, à East Village ou SoHo. Le bar Luciole campe pourtant sur une petite place tranquille de Cognac, dans un bâtiment du XIXe siècle jadis occupé par un garage automobile. C’est ici que sévit, depuis l’année dernière, Guillaume Le Dorner, mixologue émérite et transfuge du 69 Colebrooke Row, à Londres, qu’il propulsa parmi les meilleurs bars à cocktails de la planète. Sur la carte des dix-huit breuvages, les deux tiers apparaisse­nt « shakés » avec le spiritueux du cru. Un parti pris inédit en France. Le dénommé « Avignon » acoquine ainsi cognac et sirop de camomille dans un verre fumé avec de l’encens confection­né maison. « Le Firefly, lui, brasse citron, sirop de gingembre, angostura bitter et eau gazeuse. C’est un hommage à la région car, ici, on allonge depuis longtemps le cognac avec du Canada Dry ou du Schweppes », explique Guillaume. Une consommati­on décomplexé­e, aux antipodes de la sacralisat­ion de celui qui fut, durant longtemps, considéré comme un digestif à consommer pur, sans adjonction.

Une complexité inouïe

« On travaille de très bons whiskies en cocktails, pourquoi ne le ferait-on pas avec cet alcool ? », interroge Joffrey Etienne, ambassadeu­r de la marque Rémy Martin en France. « Les tout premiers cocktails, tels le Mint Julep ou le Old Fashion, créés aux États-Unis durant la deuxième moitié du XIXe siècle, étaient confection­nés avec du cognac », renchérit Loys Vallon de Testa, chef de marque à l’internatio­nal pour Hennessy. « Puis le parasite phylloxéra est passé par là, détruisant 90 % des vignes charentais­es, avant que la Prohibitio­n ne permette au bourbon et aux whiskies canadiens, consommés clandestin­ement à l’époque, de s’imposer. Le cognac a néanmoins regagné du terrain dans les années 1950 à New York, car il est très aromatique et offre une complexité inouïe. Celle-ci ouvre sur davantage de possibilit­és, en mixologie, que le whisky, le rhum ou le gin. »

Une qualité conférée par le raisin, constituan­t de base qui fait valoir davantage de qualités organolept­iques qu’un grain simple comme l’orge ou le seigle. À Paris, les prestigieu­x comptoirs d’hôtels mais aussi les bars à cocktails du type Candelaria, Little Red Door, Moonshiner ou Danico ne s’y sont pas trompés et ont emboîté le pas de leurs prestigieu­x homologues londoniens ou new-yorkais. Margot Lecarpenti­er, que d’aucuns désignent comme la mixologue star du moment, voue chez Combat une affection toute particuliè­re au nectar ambré de la Spirits Valley : « Je suis passionnée de vin et j’aime l’idée de le retrouver ici distillé, travaillé de manière minutieuse, avec toutes les exigences propres à ce terroir si particulie­r. » L’une de ses créations, baptisée le Passion Sélection, mêle cognac, fruits de la passion, chartreuse jaune, sirop d’agave, citron vert et Bitter Barbecue : « Les grands producteur­s charentais sont très innovants en matière de mixologie. Merlet, qui a participé à la création du bar Luciole à Cognac, est allé jusqu’à créer des produits quasiment dédiés aux barmen. »

Arôme de fleurs et fruits frais

La tendance est la même chez Rémy Martin, dont le 1738 Accord Royal et le VSOP Mature Cask Finish frayent volontiers avec le shaker. « La variété des gammes offre un champ des possibles impression­nant », s’enthousias­me Joffrey Etienne. « Un cognac classé VS, c’est-à-dire constitué avec un assemblage d’eauxde-vie dont la plus jeune a vieilli au moins deux ans, développer­a des arômes de fleurs et fruits frais, tandis que des cognacs plus vieux du type VSOP ou XO, pour lesquels on passe respective­ment à quatre et dix ans d’âge minimum, feront valoir davantage de rondeur, ainsi qu’un côté épicé, réglissé. »

Pas étonnant, dès lors, de constater que le bar Luciole précité accueille au total 200 bouteilles différente­s, représenta­nt 80 marques et affichant chacune leur typicité. Parmi la garnison trône un flacon de la Maison Ferrand, qui confie avoir poussé le vice jusqu’à faire appel à David Wondrich, légende et historien de la mixologie américaine, pour inspirer son maître assembleur Alexandre Gabriel. À renfort d’échanges passionnés, qui s’étiraient parfois très tard dans la nuit, les deux hommes ont conçu le 1840 Original Formula, assemblé selon les techniques du XIXe siècle pour recréer le type de cognac utilisé alors par les barmen pionniers. Le « yak », comme le nomment les rappeurs américains, qui en ont fait leur boisson favorite, n’a pas fini de faire « shaker ».

« Ici, on allonge depuis longtemps le cognac avec du Canada Dry ou du Schweppes. »

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Bar Luciole
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Bar Luciole

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