Infrarouge

Aïssa Maïga, la guerrière

- Par Olivia de Buhren

Révélée dans Les Poupées Russes, Aïssa Maïga trace sa route au sein du cinéma français depuis plus de vingt ans et se bat pour défendre ses idées. À l’affiche du film documentai­re « Pygmalionn­es », réalisé par Quentin Delcourt, elle évoque avec ses consoeurs, la réalité d’être une femme dans le septième art aujourd’hui. Femme... être une femme... telle est la question.

Olivia de Buhren : Assumez-vous qui vous êtes ? Aïssa Maïga : Oui, il faut bien. Il y a des challenges dans la vie. Avec les années qui passent, on change, et je pense que les défis m’ont fait grandir et m’ont permis de régler plein de choses. Vous voyez le jeu Trivial Pursuit : quand j’ai complété un camembert de ma vie, je passe à un autre. Je m’assume complèteme­nt avec mes moments de joie et de tristesse, mes hauts et mes bas.

OB : Comment pourriez-vous vous définir ? AM : Je suis une guerrière qui a peut-être un peu déposé les armes. Il y a des combats à faire, mais la guerre, non. J’ai lâché prise. On ne peut pas se battre contre tout. Sinon, je dirais aussi que je suis très gourmande !

OB : Qu’est-ce que votre métier vous a apporté ?

AM : L’empathie. Vous ne pouvez pas dresser le portrait de gens si vous n’êtes pas vous-même dans l’estime de l’autre. C’est très important. Vis-à-vis des autres, mais vis-à-vis de soi aussi, on apprend beaucoup.

OB : Quel est votre plus beau rôle au cinéma ?

AM : Celui dans le film Le Garçon qui dompta le vent (The Boy Who Harnessed The Wind, diffusé depuis janvier 2019 sur Netflix). J’ai tourné des scènes qui m’ont marqué à vie. Je joue le rôle d’une mère exposée à la famine et qui cherche des solutions pour maintenir le cap et élever ses enfants.

OB : Le rôle dont vous rêvez ?

AM : La liste est longue. J’aimerais faire un film politique comme Music Box (film de Costa-Gavras réalisé en 1989), mais mon plus grand rêve serait de participer à un chef-d’oeuvre absolu. Plus que le réalisateu­r, c’est le projet qui me fait vibrer réellement. À part si Spike Lee me propose de travailler un jour avec lui. Là, j’avoue, c’est le mythe ultime !

OB : Quelle est la femme qui vous fascine au cinéma ?

AM : Gena Rowlands. C’est avec elle qui j’ai compris mon métier de comédienne. Elle m’a toujours ensorcelée, elle m’a donné envie de jouer, d’être qui je suis.

OB : Pourquoi avoir accepté de tourner Pygmalionn­es ?

AM : Pour le projet et la personnali­té de Quentin Delcourt. Il a une envie et une forme de magie dans le regard qu’il porte sur ces comédiens qui m’ont tout de suite plu, je me suis lancée.

OB : Que signifie ce titre ?

AM : « Pygmalionn­e », c’est un mot-valise qui n’existe pas. Quentin Delcourt s’est amusé à féminiser le mot « pygmalion ». Du coup, il désigne bien « la force », « la guerrière ».

OB : Quel est le pitch du documentai­re ?

AM : Un film d’interviews face caméra qui donne la parole aux femmes sur ce qu’elles vivent dans le métier du cinéma. Ça va au-delà de la dénonciati­on. On a chacune un espace pour parler de notre profession et de ce qu’on ressent en tant que femme. Ce ne sont que des personnes inspirante­s.

OB : Vous sentez-vous investie dans la cause des femmes ?

AM : Oui, depuis toujours. Le combat féministe a été invalidé quand j’étais plus jeune. Nous avons été complément intoxiquée­s. On nous faisait croire que les féministes étaient des harpies qui n’aimaient pas les hommes. Aujourd’hui, on nous écoute beaucoup plus. Heureuseme­nt, tout a évolué. La vraie question qui a pris le devant, c’est l’apparence physique, la couleur de ma peau dans un métier qui se caractéris­e comme blanc alors que le monde autour de lui est métissé.

OB : Vous êtes-vous déjà sentie jugée dans votre métier ?

AM : Jugée, je m’en fiche un peu. En revanche, reléguée, oui, je l’ai été, caricaturé­e aussi, « invisibili­sée » bien entendu. Je ne connais aucun acteur noir, arabe, métis ou asiatique qui n’a pas vécu des moments difficiles dans son activité artistique, ou dans n’importe quelle autre activité d’ailleurs. Je n’aurais pas pu me soustraire à ces questions-là.

OB : Certains rôles vous ont-ils permis d’avancer ?

AM : Oui. Je pense à l’un des premiers, dans un téléfilm pour Arte. Je jouais une peintre qui cherchait à s’en sortir. C’était un film très dur. Je me suis posé plein de questions. Ça m’a fait avancer, grandir. Je garde ce personnage en moi.

OB : Infrablanc oblige, est-ce que vous aimez la montagne ? AM : J’adore la montagne. Quand j’étais petite, je partais en colonie de vacances en Haute-Savoie. J’y ai fait de belles rencontres, des amis pour la vie. On faisait des randonnées. J’en garde un souvenir incroyable. Des petites fleurs graciles, des fondues, des rigolades… Par la suite, j’ai beaucoup skié en famille. J’ai le vertige, mais, quand je suis sur les pistes, j’ai l’impression de voler, de m’élever…

OB : Plutôt première étoile ou chamois d’or ?

AM : Je ne suis pas une très grande skieuse. Disons que je suis entre les deux.

OB : Plutôt luge ou patinoire ?

AM : Patinoire. Ça me rappelle mes années collège, durant lesquelles j’ai rencontré mon amoureux de l’époque. Il faisait du hockey sur glace. Il me tournait autour et nous sommes tombés amoureux. On est restés deux ans ensemble.

OB : Plutôt raclette ou fondue ?

AM : Raclette, évidemment. Tenez, ça me donne envie d’en faire une, là !

OB : Quelle station nous conseiller­iez-vous ?

AM : J’irais soit dans les Pyrénées-Orientales ou, sinon, je retournera­is autour d’Annecy pour revivre ma madeleine de Proust.

OB : Quels sont vos projets après ce film ?

AM : Une série irlandaise, Escale fatale, qui sera diffusée sur Arte les 23 et 30 janvier 2020 à 20h55, et que j’ai adoré faire. Une autre série pour France 2, Il a déjà tes yeux, de Lucien Jean-Baptiste, ainsi que deux documentai­res que je suis en train de réaliser*. *Noire n’est pas mon métier, qui fait suite au livre du même nom coécrit par 16 actrices noires françaises aux Éditions du Seuil (diffusion prochaine sur Canal+). Marcher sur l’eau, film documentai­re sur l’accession à l’eau au Niger (Produit par Bonne Pioche).

Film documentai­re Pygmalionn­es, réalisé par Quentin Delcourt. En salle le 22 janvier 2020.

« LA VRAIE QUESTION, C’EST L’APPARENCE PHYSIQUE, LA COULEUR DE MA PEAU DANS UN MÉTIER QUI SE CARACTÉRIS­E COMME BLANC ALORS QUE LE MONDE AUTOUR DE LUI EST MÉTISSÉ. »

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