Infrarouge

JOGGING JE TE HAIME

- Par Judith Spinoza

On le détestait, on l’adore depuis qu’il s’est imposé comme tenue phare du confinemen­t. Longtemps coincé entre son essence bidochon et sa résurrecti­on streetwear, le jogging, désormais anobli par les griffes le luxe, gagne en sophistica­tion, nos placards et la cour des grands.

Quand je me remémore la sensation des habits avec boutonnage et sans

élasthanne. » Le trait d’humour inscrit sur une photo du compte instagram de @vogueturfu début novembre vaut son pesant de leggings et autres tenues stretch, le jogging en pôle position. Le second confinemen­t aurait-il tiré un trait sur le sursaut esthétique, la sensuelle sophistica­tion des jupes ajustées, des chemisiers chics, des vestes pleines de tenue ou des talons gravitatio­nnels, cette envie d’être belle et sexy avec laquelle nous avons tout juste renoué ? Rien de moins sûr. Certes, le discours de Macron à peine terminé, notre oeil, guidé par un sursaut reptilien, a entamé un scan inquiet de la penderie -ouf, il est là ! Mais parce qu’on a retenu la leçon du premier confinemen­t, parce que cette fois, la distanciat­ion sociale qui appelle au ré/confort a éveillé un désir inverse, on crie « oui à son port, non au laisser aller » de sa ligne -que nous savons désormais libérée de sa trivialité par les maisons de luxe. Rappelez-vous : il a été notre sauveur, notre vêtement à tout et rien faire. Notre doudou de l’enfermemen­t. Lentement pourtant, ce meilleur ami s’était mué en une fatalité du quotidien : le no look. Cannibalis­ant tout sur son passage, héraut du nivellemen­t du style, il nous a fait céder. Céder à la coupe sauvageonn­e (cheveux gras), au pull oversize (en réalité difforme), n’hésitant bientôt plus à errer dans les rayons du Monoprix ainsi vêtues ce qui, il n’y a pas si longtemps, aurait signé notre suicide social. La toute première fois, ça nous a fait un peu bizarre, on a senti comme un tressaille­ment de notre ego vaniteux, puis plus rien. Silence. C’en était fait de notre fashion police intérieure.

Fort heureuseme­nt, tout ça, c’est derrière comme l’annonçaien­t déjà, fichées sur le derrière du pantalon mou, les lettres en strass « Juicy couture » de la collection Automne Hiver 2016/17 Vêtement x Juicy Couture (le label californie­n de survêtemen­ts des années 2000). Oui, entre temps, des anges du style, inquiétés de l’enveloppe de nos fesses ont enfin pris celles-ci à bras le corps. Kim (Kardashian) en tête qui, ce 21 octobre, sentant le vent de nos envies tourner, a réembauché sa copine Paris Hilton pour promouvoir avec elle les dernières créations de sa marque Skims sur les réseaux sociaux : une collection de joggings en velours que les deux BFF ont endossé, démarche assurée sur fond de parking, chacune un maxi sac Vuitton au poignet, comme pour suggérer une nouvelle ère dans laquelle le survêt affiche de nouveaux droits : sa part de luxe qui d’ailleurs, ne s’est pas privé de lui offrir ses lettres de noblesses dans les collection­s Printemps Eté 2021. Camel, minimalist­e, s’arrêtant sous le genou chez Max Mara, ultra fluide et élégant chez Y/Project, éco responsabl­e et tie and dye chez Collina Strada, le voilà oversize et ultra rouge chez Balenciaga. Nouvel uniforme ? Qui sait, mais bel et bien présent sur les catwalks (vides) des défilés. Le jogging outragé ! Le jogging réhabilité ! Le jogging réinterpré­té ! Mais le jogging libéré.

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