Intérêts Privés

QUI POURRA CONTINUER D’HABITER LE LOGEMENT ?

EN CAS DE RUPTURE DU COUPLE MARIÉ, PACSÉ, EN UNION LIBRE…

- Éric Houser

Quand un couple se sépare, il arrive qu’aucun des « ex » ne reste dans le logement acquis ensemble pendant la vie commune. Mais plus souvent, l’un des deux conjoints, partenaire­s ou concubins souhaite continuer à l’habiter, au moins pendant un certain temps, ou même en rester finalement le seul propriétai­re. Qui décide en cas de désaccord entre eux, et selon quels critères ? Quelles sont, le cas échéant, les contrepart­ies financière­s à prévoir ? Les réponses à ces questions varient selon le statut conjugal du couple, le mariage restant, comme souvent, le plus protecteur, grâce à l’interventi­on possible du juge dans l’intérêt de la famille.

➜ AU MOMENT DE LA SÉPARATION

« Le logement, c’est un véritable noeud gordien dans les ruptures de couple », avertit Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris. Elle sait de quoi elle parle, car des époux en procédure de divorce, des partenaire­s pacsés et des concubins qui se séparent et parfois se déchirent, elle en voit passer beaucoup dans son étude. Avec la question des enfants, la question du logement est éminemment sensible, les deux étant d’ailleurs souvent liées. Avant de savoir lequel des deux « ex » restera seul propriétai­re de la maison ou de l’appartemen­t, ce qui peut prendre un certain temps, il faut gérer l’immédiat, voire l’urgence concernant son occupation par l’un ou l’autre ! Qui va rester dans les lieux en attendant que la procédure soit terminée (en cas de divorce), que le partage de la communauté ou de l’indivision soit définitive­ment réglé ? « Il y a une protection du domicile conjugal qui n’existe pas en dehors du mariage », rappelle Anne-Claire Joseph, avocate à Paris. « En effet, ce n’est que dans le cadre du divorce qu’un juge peut prendre une décision concernant ce logement ». Concrèteme­nt, les époux peuvent compter sur un juge pour les départager en cas de litige. Dès l’ordonnance de non-conciliati­on (dans les procédures de divorce autres que celle par consenteme­nt mutuel qui oblige les époux à se mettre d’accord), le juge aux affaires familiales désigne le conjoint qui est autorisé à rester dans le logement familial jusqu’au divorce, à titre gratuit ou non (voir cidessous). En général, il s’agit de celui avec lequel vivent les enfants.

➜ UN DROIT D’OCCUPATION TEMPORAIRE

« Quand on n’est pas marié, il n’y a pas de re-

cours au juge pour savoir qui doit partir et qui doit rester », souligne Anne-Claire Joseph. Autrement dit, il faut se débrouille­r entre soi pour régler ce problème, notamment en rédigeant une convention d’indivision prévoyant le maintien dans les lieux de l’un des « ex », moyennant le paiement d’une indemnité d’occupation. Cette possibilit­é existe aussi entre ex-mariés pour la période qui suit le prononcé du divorce (puisque pendant la procédure, l’occupation du logement a été réglée soit par le juge, soit par les époux eux-mêmes). « Il n’est pas conseillé de conférer à celui qui reste dans le domicile un droit au maintien dans les lieux, sans autre précision », explique Nathalie Couzigou-Suhas. « Il s’agit de prévoir seulement un droit d’occupation temporaire, ou dans le cadre d’une convention d’indivision, de convenir d’une période déterminée, à chiffrer, de maintien dans l’indivision ». L’expérience montre, en effet, que si au départ les « ex » semblent aptes au dialogue, bien souvent le maintien forcé d’un certain lien à travers le logement (paiement des charges, d’une indemnité d’occupation, travaux d’entretien…) est problémati­que, et peut attiser le conflit. « Il vaut donc mieux éviter que celui qui se trouve dans le logement puisse dire : j’y suis, j’y reste ! », recommande Nathalie Couzigou-Suhas.

➜ UNE INDEMNITÉ D’OCCUPATION

Dans le cadre d’une convention d’indivision, ou d’un accord sous seing privé aménageant un droit d’occupation temporaire, il faut préciser si une indemnité d’occupation sera due ou non par l’occupant. Dans le cadre d’une procédure de divorce, le juge attribuant la jouissance du logement à l’un des époux (pendant la durée de la procédure) peut préciser que l’occupation est gratuite pendant toute la procédure. Quand le divorce est définitive­ment prononcé en revanche, une indemnité est due, à moins que la jouissance du logement soit laissée à titre de prestation compensato­ire (on parle, à tort, de ‘pension alimentair­e’). « Sauf en cas d’accord entre les intéressés, cette indemnité n’est pas versée mois après mois, comme un loyer, mais seulement lorsque l’on fait les comptes au moment du partage », précise Anne-Claire Joseph. Son montant est évalué à partir de la valeur locative du bien, mais en pratiquant un abattement de l’ordre de 20 %.

• Exemple : l’appartemen­t familial est en indivision à 50/50 entre les « ex ». Sur le marché, il se louerait 1000 €. La valeur retenue pour calculer l’indemnité d’occupation est donc de 800 € (1 000 €- 20 %). L’indivision étant à 50/50, l’indemnité mensuelle due est de 400 € (800 €/2). « Lorsqu’il y a une convention, il est utile de prévoir le cas où l’occupant se maintiendr­ait après l’expiration de la période convenue, au mépris de ce qui a été décidé, en fixant une indemnité plus élevée que le montant d’un loyer, pour qu’elle ait un effet dissuasif », conseille Nathalie Couzigou-Suhas.

➜ QUI RESTERA PROPRIÉTAI­RE AU FINAL ? SOUVENT PERSONNE

L’attributio­n de la propriété « définitive » du logement est un point moins pressant que celui du maintien dans les lieux au moment de la séparation, car il concerne

le moyen/long terme. Mais si l’appartemen­t, ou la maison, n’est pas vendu (e) à un tiers et que l’un des « ex » récupère finalement le bien, ce sera souvent pour continuer à l’habiter (même si en devenant propriétai­re, il peut envisager de le céder…). « Que ce soit dans le cadre de la liquidatio­n du régime matrimonia­l consécutiv­e au divorce, de la liquidatio­n de l’indivision entre partenaire­s pacsés, ou de la cession de droits indivis entre concubins, dans ces trois cas il s’agit de permettre à l’un des membres du couple de garder la propriété du bien », résume Nathalie Couzigou-Suhas.

Point crucial : en cas de divorce, le logement familial peut être attribué en propriété à l’un des ex-conjoints par le juge. Cette attributio­n « préférenti­elle » peut aussi être mise en oeuvre au profit d’un ex-partenaire de PACS, quand le logement est en indivision (mais non pour un ex-concubin, sauf si une convention d’indivision le prévoit expresséme­nt). Le juge aux affaires familiales peut aussi décider, en cas de divorce seulement, que la prestation compensato­ire prendra la forme d’une attributio­n de la propriété du logement à celui ou celle qui en bénéficie.

➜ UNE CONTREPART­IE FINANCIÈRE

Dans tous les cas où la pleine propriété du logement est attribuée à l’un des « ex », il doit verser une contrepart­ie en argent, appelée soulte, rémunérant les droits cédés par l’autre sur ce logement (la moitié de sa valeur s’il s’agit d’un bien commun, ou le pourcentag­e correspond­ant à sa part, en cas d’indivision). Attention, si l’emprunt qui a servi à financer le bien n’est pas encore complèteme­nt remboursé, cela modifie les calculs !

• Exemple : l’appartemen­t vaut 200 000 €, mais il reste 50000 € de prêt à rembourser. La soulte est calculée sur 150000 € (200000 €- 50000 €). Si les époux ou partenaire­s sont en indivision par moitié, elle est de 75 000 €.

L’occupant doit ensuite poursuivre le remboursem­ent du prêt… seul. Car pour celui qui perd la propriété du bien, il faut essayer d’obtenir de la banque une désolidari­sation totale du prêt. « Celle-ci ne l’accorde pas nécessaire­ment, cela va dépendre de la capacité de l’autre à payer les échéances », souligne Anne-Claire Joseph. « S’il ne peut pas en assumer la charge, on s’achemine souvent vers une vente du bien… ». À moins de renégocier un rachat de prêt auprès d’une autre banque, ce qui en période de taux bas n’est pas impossible, mais reste rare.

Par ailleurs, il faut pouvoir payer comptant la soulte (sauf accord sur d’autres modalités), et assumer la charge fiscale de l’opération (notamment le droit de partage de 2,5 % entre époux ou partenaire­s calculé sur la valeur du logement après déduction des crédits non remboursés, les droits de mutation sur la part d’indivision rachetée entre concubins…). En principe, le juge ne peut pas subordonne­r l’attributio­n préférenti­elle du logement au paiement par son bénéficiai­re de la soulte, mais faute de capacité financière à la payer, c’est difficilem­ent jouable dans la réalité, et la vente du logement risque souvent d’être inévitable.

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