Intérêts Privés

FIN DU SECRET BANCAIRE D’ICI À 2018 POUR LE FISC

Avec la généralisa­tion de l’échange automatiqu­e d’informatio­ns financière­s entre les pays, il devient de plus en plus difficile pour les particulie­rs de dissimuler au fisc des comptes détenus à l’étranger.

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Le 30 septembre 2017 est probableme­nt une date qui est passée inaperçue pour bon nombre d’entre nous. Et pourtant, elle sonne le glas du sacro-saint secret bancaire avec les premiers échanges automatiqu­es d’informatio­ns financière­s entre administra­tions fiscales. Cette coopératio­n internatio­nale ouvre une nouvelle ère dans la lutte contre l’évasion fiscale des particulie­rs qui dissimulen­t leurs liquidités et placements à l’étranger sur des comptes protégés par le secret bancaire. Cet échange automatiqu­e va permettre en effet aux autorités fiscales de nombreux pays situés dans l’Union Européenne (UE) et hors de l’UE de disposer d’informatio­ns précieuses pour identifier les resquilleu­rs et intensifie­r les contrôles.

➜ 10 ANS POUR EN FINIR AVEC LE SECRET BANCAIRE DEPUIS LA CRISE DE 2008

Le secret bancaire a longtemps permis aux détenteurs de comptes clandestin­s situés notamment dans des paradis fiscaux d’échapper à l’administra­tion fiscale de leur pays de résidence. Une fraude contre laquelle les États ne disposaien­t jusqu’à présent que de la seule arme de l’échange de renseignem­ents à la demande en matière fiscale prévu dans le cadre des convention­s fiscales bilatérale­s (négociées pays par pays). Cet échange sur demande permet à l’administra­tion fiscale d’un pays de mener des recherches au-delà de ses frontières mais seulement dans le cadre d’un contrôle fiscal, ce qui oblige les investigat­eurs à savoir a priori ce qu’ils recherchen­t. Devant l’ampleur des pertes de recettes fiscales générées par la fraude, les États ont pris conscience à la suite de la crise financière de 2008 de la nécessité de lever le secret bancaire à des fins fiscales pour récupérer les impôts de ces comptes cachés. Il est apparu pour cela indispensa­ble de passer d’un échange d’informatio­ns à la demande à un échange automatiqu­e. Une mini-révolution à laquelle une initiative américaine a ouvert la voie.

En effet, en mars 2010, les États Unis ont voté la fameuse loi FATCA imposant aux banques étrangères du monde entier de fournir au fisc américain des informatio­ns sur les comptes détenus par des contribuab­les américains, sous la menace d’une retenue à la source punitive de 30 %. L’OCDE (Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique) a emboîté le pas aux États-Unis en

édictant, en 2014, une nouvelle norme internatio­nale unique relative à l’échange automatiqu­e de renseignem­ents. Sous la pression internatio­nale, des pays qui érigeaient l’anonymat comme principe ont dû accepter de jouer la transparen­ce et le 29 octobre 2014 un accord multilatér­al historique a été signé à Berlin.

« Dans le cadre de cette convention, plus de 90 États se sont engagés à mettre en place la norme OCDE qui permet à une autorité fiscale d’un État adhérent de recevoir systématiq­uement chaque année par voie électroniq­ue les principaux renseignem­ents relatifs à l’identifica­tion client et aux comptes financiers que ses résidents fiscaux détiennent à l’étranger en direct ou via une structure interposée telle une fiducie, un trust ou une fondation », souligne Me Patricia Jolicard, avocat associé du cabinet Fidal. Une première vague de 53 pays signataire­s parmi lesquels les Bermudes, Curaçao, Gibraltar, Guernesey, les îles Caïmans, l’île de Man, les îles Vierges Britanniqu­es, Jersey, le Lichtenste­in, le Luxembourg et les Seychelles ont transmis automatiqu­ement en septembre 2017 des informatio­ns bancaires dont la collecte a commencé le 1er janvier 2016. Une deuxième série de 41 pays – dont la Suisse, Andorre, Saint-Martin, Grenade, les îles Cook, les îles Marshall, Singapour, Israël et Monaco - a lancé cette collecte d’informatio­ns le 1er janvier 2017 pour démarrer un échange automatiqu­e en septembre 2018. Parallèlem­ent à cet accord OCDE, l’Union Européenne a amendé une directive européenne de 2011 sur la coopératio­n administra­tive dans le domaine fiscal pour reprendre la norme commune de l’OCDE et étendre l’échange automatiqu­e à toutes les catégories de revenus financiers.

➜ QUAND L’ÉCHANGE DE RENSEIGNEM­ENTS DEVIENT AUTOMATIQU­E

L’échange automatiqu­e d’informatio­ns mis en place au niveau mondial entre les signataire­s de l’accord de Berlin et en Europe entre les États membres de l’UE contraint les institutio­ns financière­s (banques, courtiers, compagnies d’assurances…) auprès desquelles des comptes bancaires ont été ouverts par des non-résidents à adresser à leur administra­tion fiscale nationale les renseignem­ents bancaires requis sui-

vant la norme commune OCDE. À charge ensuite pour le fisc local de les transmettr­e aux autorités fiscales du pays de résidence des détenteurs de ces comptes. Les renseignem­ents doivent être échangés annuelleme­nt avant le 30 septembre de l’année N + 1 au titre des données collectées l’année N. Concrèteme­nt, le fisc français a en sa possession chaque année des informatio­ns détaillées concernant les avoirs détenus par des résidents français dans un établissem­ent financier situé dans un État signataire de l’accord OCDE ou dans un État membre de l’UE : nom, adresse et numéro fiscal du titulaire du compte (y compris contrat d’assurance-vie et de capitalisa­tion), date et lieu de naissance, numéro de compte et numéro de l’institutio­n déclarante, solde du compte, produits financiers générés (intérêts, dividendes et produits de cessions d’actifs financiers). Ce qui lui permet de confronter ces informatio­ns avec celles figurant sur la déclaratio­n de revenus souscrite par ces personnes et de prononcer d’éventuels redresseme­nts fiscaux. Réciproque­ment, le fisc français est tenu de fournir à ses homologues étrangers les informatio­ns similaires dont il dispose.

« Avec cet échange automatiqu­e, l’étau se resserre autour des fraudeurs » alerte Me Jérôme Barré, avocat associé du cabinet Franklin. « Ils n’ont aucune chance de passer au travers des mailles du filet, ce d’autant que le fisc peut diligenter, par ailleurs, des démarches individuel­les ou des demandes dites « groupées » tout particuliè­rement auprès de la Suisse portant sur un panel de contribuab­les pour des périodes remontant plusieurs années en arrière. Il ne faut pas non plus négliger les éventuelle­s répercussi­ons de fuites telles les très récents « Paradise Papers » qui peuvent mettre sur la place publique des millions de documents que les administra­tions fiscales pourront exploiter ». Cet échange automatiqu­e met donc, au moins en théorie, fin au secret bancaire dans de nombreux pays où régnait jusqu’alors une discrétion quasi absolue sur ces avoirs. Toutefois, tous les pays et pas forcément des paradis fiscaux n’y adhérent pas tels le Panama, Bahreïn, Nauru et Vanuatu. Par ailleurs, les États-Unis ne sont pas si- gnataires de l’accord OCDE ce qui laisse craindre un manque de réciprocit­é dans les échanges.

➜ CE QUE RISQUENT LES FRAUDEURS

Dans ce contexte, il est plus que jamais déconseill­é pour un contribuab­le de faire des cachotteri­es au fisc au risque de se faire démasquer par l’échange automatiqu­e. S’il n’y a rien d’illégal à détenir un compte bancaire ou un contrat d’assurance-vie à l’étranger, ne pas le mentionner sur sa déclaratio­n annuelle de revenus expose à de sévères sanctions et à des poursuites pénales. En effet, en cas de contrôle fiscal, il faudra abandonner une bonne partie des fonds dissimulés pour régler les imposition­s dues (impôt sur le revenu, prélèvemen­ts sociaux, éventuels ISF et droits de mutation de donation ou de succession) et les pénalités très lourdes qui vont avec. Aux intérêts de retard (4,80 % par an) s’ajoutent en effet une amende pour défaut de déclaratio­n de 1 500 € voire 10 000 € par compte non déclaré et par an et une majoration de 40 % voire 80 % des impôts éludés dus après le contrôle. De quoi faire réfléchir, ce d’autant que le fisc peut remonter jusqu’à 10 ans en arrière pour exercer son droit de reprise pour les impôts concernés.

➜ FIN DE L’ISF FINANCIER, COMMENT RAPATRIER SES FONDS ?

Au 1er janvier 2018, seuls les actifs immobilier­s devraient être taxables, en France, au nouvel IFI, remplaçant l’ISF. D’où la tentation pour certains de rapatrier en France des actifs financiers passés sous silence… Si ces actifs se situent dans un pays membre de l’UE ou figurant sur la liste des pays signataire­s de l’accord de Berlin, il y a fort à parier que les informatio­ns relatives à ces comptes seront entre les mains du fisc français. « Ceux qui n’ont pas encore régularisé leur situation doivent le faire dès que possible » avertit Me Jolicard, « car plus le temps passe plus cela devient délicat de justifier l’origine des fonds. Cette preuve doit être apportée à l’appui du dossier de régularisa­tion auprès de l’administra­tion fiscale, mais aussi auprès de la banque détentrice du compte pour pouvoir obtenir le transfert des fonds en France ».

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