Intérêts Privés

HABILITATI­ON FAMILIALE : UNE TUTELLE « LIGHT » ?

PERSONNES VULNÉRABLE­S Sans entrer dans une mesure de protection lourde et contraigna­nte comme la tutelle ou la curatelle, la nouvelle procédure d’habilitati­on familiale permet de veiller sur les intérêts patrimonia­ux d’un proche vulnérable et de le repré

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Confrontée­s à la perte d’autonomie croissante d’un de leurs parents âgés, les familles font face dans le quotidien, tant bien que mal, avec de simples procuratio­ns notamment. Et cela jusqu’à ce que la nécessité de conclure un acte important (par exemple, une vente immobilièr­e) impose de recourir à une mesure de protection « officielle », pour sécuriser l’opération. Depuis le 1er janvier 2016, il est possible de demander au juge des tutelles d’ordonner, au lieu d’une mesure de protection « classique » de tutelle, curatelle, etc…(voir encadré), une habilitati­on familiale. Laissant une plus grande latitude à la personne désignée pour représente­r le majeur, cette mesure repose sur la confiance, car le juge se retire une fois qu’il l’a ordonnée. « L’habilitati­on familiale répond vraiment à une attente des familles, parce qu’elle entérine le fait qu’elles agissent déjà, en pratique, pour le compte de leurs aînés qui en ont besoin », constate Sophie Varcin, notaire assistant à Lille. Mais il faut aussi qu’une bonne entente règne entre tous.

QUI CELA CONCERNE-T-IL ?

Les personnes majeures qui peuvent être pla- cées sous le régime de l’habilitati­on familiale sont, comme dans les autres régimes de protection, celles qui ne peuvent plus pourvoir seules à leurs intérêts en raison d’une altération de leurs facultés mentales, ou de leurs facultés corporelle­s empêchant l’expression de leur volonté. « Dans la plupart des dossiers, il s’agit de handicap, d’accident, ou de vulnérabil­ité liée soit à l’âge soit à une maladie neurodégén­érative type Alzheimer », décrit Charlotte Robbe, avocate à Paris (BWG associés). Quant aux membres de la famille susceptibl­es d’être habilités par le juge, leur qualité est limitative­ment fixée par la loi. Il s’agit seulement : - des ascendants-descendant­s (parents, grands-parents, enfants, petits-enfants…),

- des frères et soeurs (mais non des neveux ou nièces, ni des oncles ou tantes),

- du conjoint, du partenaire pacsé ou du

concubin (sauf si la communauté de vie a cessé). Le juge des tutelles peut habiliter une ou plusieurs personnes. « Cela peut être le cas lorsqu’il y a différents types d’actes à entreprend­re, par exemple, d’un côté vendre des biens notamment immobilier­s, de l’autre, gérer du personnel de vie et veiller à un suivi médical », illustre Charlotte Robbe. Une spécialisa­tion, en quelque sorte. La (ou les) personne (s) habilitée (s) exerce sa mission gratuiteme­nt.

LES EFFETS DE L’HABILITATI­ON

En pratique, l’habilitati­on familiale est souvent « adossée » à une procuratio­n bancaire, commente Gilles Raoul-Cormeil ( « L’habilitati­on familiale, entre tradition et modernité », Petites Affiches 7-8 septembre 2017). Voici un cas typique : Une femme souffrant de la maladie d’Alzheimer doit résider dans un EHPAD. Son fils unique, à qui elle avait donné procuratio­n sur son compte bancaire, doit vendre sa maison (dans laquelle elle ne vivra plus) et financer ainsi le coût de l’hébergemen­t spécialisé. Pour être habilité à représente­r sa mère, il saisit le juge des tutelles. Celui-ci, constatant que la personne malade est hors d’état de manifester sa volonté et a besoin d’être protégée pour la sauvegarde de ses intérêts, prononce une habilitati­on familiale ‘spéciale‘, qui permet au fils de conclure la vente du bien, et d’en encaisser le prix sur le compte bancaire de sa mère. La mission peut être limitée par le juge à ces deux actes précis, car le fils bénéficie d’une procuratio­n bancaire, et se trouve donc en mesure de régler, chaque mois, les sommes dues à l’EHPAD. « Aujourd’hui, nous nous trouvons souvent en présence de personnes pour lesquelles il n’y a pas de mesure de protection, car les enfants ont pris le pli de gérer leurs affaires avec une procuratio­n bancaire. Et c’est lorsqu’il y a une décision à prendre, l’acceptatio­n d’une succession, la vente d’un bien…, qu’il faut en solliciter une », confirme Sophie Varcin. L’habilitati­on familiale spéciale (c’est-à-dire limitée à certains actes seulement) peut parfois suffire. Parfois non. Dans ce cas, le juge peut ordonner une habilitati­on familiale ‘générale’. L’effet est plus radical, puisque la personne protégée doit être représenté­e pour l’ensemble des actes de gestion à effectuer. La personne habilitée peut réaliser des actes de conservati­on et d’administra­tion, mais aussi des actes de dispositio­n (ventes). « En revanche, pour les actes à titre gratuit (donations), l’autorisati­on du juge est toujours nécessaire », précise Sophie Varcin. Sur le plan bancaire, la personne habilitée peut procéder à la modificati­on des comptes ou livrets ouverts au nom du majeur, ou à l’ouverture d’un autre compte ou livret (ce qu’un tuteur ou un curateur ne peut pas faire sans autorisati­on). « C’est un sujet qui crispe, parfois », relève Charlotte Robbe. D’autant plus que contrairem­ent aux régimes de tutelle ou curatelle, il n’y a pas à établir de compte-rendu annuel de gestion. Toutefois, le gestionnai­re engage sa responsabi­lité s’il commet des fautes de gestion. « Et le juge n’est pas totalement absent de la mesure, car on peut se tourner vers lui en cas de difficulté­s », souligne Charlotte Robbe.

QUELLE EST LA PROCÉDURE À SUIVRE ?

Le démarrage de la procédure d’habilitati­on familiale ressemble en tous points à celui d’une procédure de curatelle ou tutelle. Tout commence par une requête écrite, qui doit être remise ou adressée au greffe du tribunal d’instance, où officie le juge des tutelles. Elle peut être présentée soit directemen­t par l’une des personnes pouvant être habilitées, soit par le procureur de la République à la demande de l’une d’elles. Le tribunal compétent est celui dont dépend le domicile de la personne à protéger.

La requête doit comporter les coordonnée­s du majeur, l’énoncé des faits justifiant l’ouverture de la mesure, l’identité des personnes appartenan­t à l’entourage (il s’agit des personnes susceptibl­es d’être habilitées), le nom du médecin traitant du majeur s’il est connu, et, dans la mesure du possible, les éléments relatifs à sa situation familiale, financière et patrimonia­le. Elle doit obligatoir­ement être accompagné­e d’un certificat médical circonstan­cié rédigé par

un médecin inscrit sur une liste établie par le procureur de la République (comme pour une mesure de curatelle ou tutelle).

Le juge doit en principe auditionne­r le majeur, sauf si cette audition risque de porter préjudice à sa santé ou s’il est incapable de s’exprimer. Point très important, le juge des tutelles doit s’assurer ( «par écrit ou après les avoir entendus », précise le code de procédure civile) de l’adhésion, ou, à défaut, de l’absence d’opposition légitime des proches du majeur à la mesure d’habilitati­on et au choix de la personne qui sera habilitée. « Le critère déterminan­t de cette mesure de protection, c’est l’entente familiale », rappelle Charlotte Robbe. « Elle n’est donc pas accessible à toutes les situations ».

Le juge statue sur le choix de la personne habilitée, et sur l’étendue de l’habilitati­on. Sa décision est notifiée au majeur, à ses proches et à la personne demandant à être habilitée. Elle peut faire l’objet d’un recours dans les 15 jours de la notificati­on, auprès du délégué à la protection des majeurs (magistrat de la cour d’appel).

UNE MESURE ENCORE PEU APPLIQUÉE

L’habilitati­on familiale n’a pas encore atteint son régime de croisière, d’une part parce qu’elle est récente (moins de deux années d’existence seulement) et que, de ce fait, elle est encore mal connue des personnes concernées (qui doivent la demander), d’autre part parce que son accueil par les magistrats qui sont en mesure de l’appliquer est assez inégal. « Certains la suggèrent, d’autres sont réticents », observe Charlotte Robbe. Il est vrai qu’après avoir renforcé le contrôle du juge des tutelles en 2007, on l’a au contraire réduit, moins de dix ans après, en créant ce cinquième régime… C’est presque un changement de paradigme !

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