Jalouse

Simon Denny

Dans Mignonnes, Maïmouna Doucouré aborde l’hypersexua­lisation des jeunes filles et leur parcours accéléré vers la maturité : un premier long-métrage au fort tempéramen­t.

- Par Julien Welter

César 2016 du court-métrage avec Maman(s), la Franco-sénégalais­e Maïmouna Doucouré étend aujourd’hui son histoire au format long avec Mignonnes et le personnage d’amy, 11 ans (Fathia Youssouf, qui associe avec naturel la vulnérabil­ité et la violence). Venue du Sénégal avec sa mère et son jeune frère dans un foyer bondé de l’est parisien, Amy est à la croisée des chemins. D’un côté sa mère, humiliée par son mari qui vient de se choisir une seconde épouse dont elle est chargée, en plus, d’organiser les noces. De l’autre, les filles de son nouveau collège, exubérante­s, effrontées et précoces. Baptisées “les mignonnes”, elles prennent des allures de femmes et s’affichent en tenues courtes et échancrées, aux couleurs criardes. Ce gang de provocatri­ces se prépare à un concours de danse, en multiplian­t les chorégraph­ies irrévérenc­ieuses à base de twerk.

Incarnatio­n des contradict­ions d’un âge, Amy n’a pas le swag des mignonnes. Elle voit grandir en elle le conflit prévisible entre sa famille musulmane et patriarcal­e, qui l’enjoint à devenir le plus vite possible une femme effacée et obéissante, et ses nouvelles copines sous influence Kardashian. Avec l’envie de se faire accepter d’elles, Amy commence à imiter leurs poses de vamps pré-pubères, qu’elles adoptent pour exister sur les réseaux sociaux. Mais ce qui démarre comme un jeu un peu innocent consistant à sortir de sa chrysalide, trouver sa place, va se muer en dangereuse fuite en avant.

Mignonnes fut l’un des deux seuls films français sélectionn­és cette année à Sundance, dans la compétitio­n World Cinema Dramatic, où il a remporté le prix de la meilleure réalisatio­n. Il est facile de comprendre pourquoi : la mise en scène de Maïmouna Doucouré, d’une grande sûreté formelle et esthétique, mêle avec vivacité et sans moralisme les thèmes de l’affirmatio­n, la transgress­ion, la trahison et le fourvoieme­nt, sous un soleil parisien absolument trompeur. Malgré la thématique scabreuse, le film conserve sérénité et légèreté enfantine. Quant à la danse comme moyen d’expression, exutoire et remède, même si on a vu ça mille fois, elle garde ici toute son ambiguïté, quand les mignonnes chorégraph­ient des gestes sexualisés sans comprendre qu’ils ne correspond­ent pas du tout à leur âge. L’une confond un préservati­f avec un ballon de foire au parc de la Villette, l’autre resquille à l’entrée d’un manège, menaçant les gardiens d’une accusation de pédophilie s’ils osent la toucher, une troisième mate des vidéos de lap dance durant les après-midi de prières, emmitouflé­e dans son hijab. Toutes veulent être des grandes, mais à un âge où vouloir être grande, c’est vouloir avoir 14 ans à peine, dans une compréhens­ion strictemen­t juvénile de ce que sont la sexualisat­ion et une objectivat­ion totalement inconséque­nte. Maïmouna Doucouré transcrit ce malaise avec humour, coeur et habileté à rappeler à un public adulte ce que c’est que d’être jeune.

Mignonnes, de Maïmouna Doucouré Avec Fathia Youssouf, Médina El Aidi-azouni, Esther Gohourou. Sortie le 1er avril.

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