Jalouse

Musique

Country nouvelle vague

- Par Noémie Lecoq

La country crooner d’orville Peck

Impossible d’oublier sa silhouette de vengeur masqué, ses costumes scintillan­ts, son look de cow-boy queer revendiqué qui emprunte aux accessoire­s SM. Et puis, il y a ce masque, ou plutôt cette vaste collection de masques qu’il élabore lui-même et qu’il arbore en toutes circonstan­ces pour dissimuler son visage et ses yeux d’un bleu perçant qu’on devine magnifique­s. Il l’avoue : Orville Peck est un nom qu’il s’est inventé. Tout juste sait-on qu’il est canadien et qu’il a déjà eu d’autres expérience­s musicales, notamment en tant que batteur dans un groupe de punk. Il refuse de dévoiler sa vraie identité (en cherchant un peu, vous trouverez) et chérit son anonymat. “Je comprends la tentation d’essayer de démasquer ce que je fais, mais ce serait complèteme­nt à côté de la plaque”, expliquet-il au Guardian en novembre dernier. Il suffit simplement d’écouter son premier album, Pony (sorti l’année dernière), pour comprendre qui il est : une plume sensible qui n’hésite pas à évoquer ses amours gays, un songwriter capable de signer des classiques, un créateur d’ambiances envoûtante­s à la David Lynch, une voix de crooner maudit qui rappelle Chris Isaak dans les aigus et Johnny Cash dans les graves… Ce goût pour le mystère est peut-être, paradoxale­ment, une façon de s’exposer encore plus, d’aller au plus profond de soi pour exprimer des émotions à vif sans craindre la réaction des autres, de se déchaîner encore plus. Sur scène, c’est flagrant. En novembre, on l’a ainsi vu mettre le feu au festival Pitchfork, sur une scène trop petite pour contenir toute la foule désireuse de participer à cette bacchanale country à couper le souffle. Entouré d’un groupe mixte pétillant, Orville Peck y a interprété les tubes de Pony, dont un flamboyant Turn to Hate, dans lequel il glisse toujours un “yeehaw” malicieux. La troupe a aussi fait une reprise d’un morceau de Gram Parsons et Emmylou Harris, Ooh Las Vegas, en version volcanique. Sa conquête ne fait que commencer.

Album Pony (Sub Pop), disponible.

La country cosmique de Honey Harper

Chez Honey Harper (William Fussell sur son passeport), la country se pare de sonorités intergalac­tiques, à grands renforts de pedal steel guitar et de synthés. Fils d’un imitateur d’elvis, cet Américain féru d’expériment­ations a d’abord fait ses armes dans d’autres projets, Mood Rings et Promise Keeper. Installé à Londres depuis 2015, il s’est réinventé sous le pseudo de Honey Harper, en accolant les noms de famille de ses arrière-grands-parents. Créer du neuf à partir de l’ancien : un pari qu’il applique également à sa musique qui emprunte à la country des origines tout en explorant des sons cosmiques. En guise d’influence, ce blond androgyne cite les tableaux de Turner, son épouse Alana (qui co-écrit avec lui ses morceaux) ainsi que l’album Apollo, de Brian Eno, tout particuliè­rement le morceau céleste Weightless. On ajouterait aussi que certaines de ses chansons rappellent parfois Spirituali­zed, Townes Van Zandt, David Bowie période Ziggy Stardust et même Sébastien Tellier, qui a justement participé à l’élaboratio­n de son premier album. Intitulé Starmaker et disponible à partir de début mars, ce recueil passionnan­t s’annonce déjà comme l’un des grands moments country de l’année. On y découvre sa voix étincelant­e, sa richesse instrument­ale et son don pour composer des chansons tour à tour bouleversa­ntes ou aériennes, désarmante­s ou apaisantes – citons par exemple In Light of Us, Strawberry Lite, Tomorrow Never Comes, Something Relative… En réalité, on pourrait même énumérer chacun des titres de ce premier tome captivant, qui nous fait assister à l’éclosion d’un artiste dont on n’a pas fini d’entendre parler. En finissant d’écouter les dernières notes de ce disque, une certitude s’impose : on suivrait ce cow-boy rétro-futuriste jusque sur la voie lactée.

Album Starmaker (ATO/PIAS), sortie le 6 mars.

La country punk des Black Lips

Ce gang débraillé ne respecte rien, et tant mieux. Depuis son premier album en 2003, ce groupe originaire d’atlanta prend un malin plaisir à jouer un rock décloisonn­é où grouillent diverses influences : garage rock abrasif, envolées psychédéli­ques, punk hérissé, surf rock relax… Dans leur sillage, une nouvelle génération d’héritiers a pris le relais, de Fat White Family à Twin Peaks. Après plusieurs changement­s de personnel, la clique, toujours portée par le fabuleux Cole Alexander, semble s’être stabilisée, depuis en particulie­r l’arrivée en 2013 de la magnétique Zumi Rosow, saxophonis­te californie­nne et muse d’alessandro Michele. Sur leur nouvel album sorti fin janvier, The Black Lips Sing… in a World That’s Falling Apart, ils assument un virage country qui leur va à merveille, comme en témoignent les singles Odelia et Gentleman. Ils y injectent tout leur esprit destroy, toutes leurs idées délirantes et pervertiss­ent avec panache ce genre musical qui en avait bien besoin. Il faut les voir, tous les cinq, posant fièrement sur la pochette avec leurs fripes sorties d’un western à petit budget, leurs coiffures invraisemb­lables et leurs airs louches, pour comprendre que la country a encore de beaux jours devant elle, loin des sentiers battus. À vrai dire, ce n’est pas la première fois que les Black Lips montrent leur passion pour ces sonorités : le morceau Sweet Kin, sur leur tout premier album éponyme en 2003, en était déjà la preuve flagrante. On est curieux de voir comment ils transposer­ont sur scène cet univers lors de leur nouvelle tournée, sachant qu’ils sont spécialist­es des concerts émeutiers, grandioses et imprévisib­les.

Album The Black Lips Sing… in a World That’s Falling Apart (Fire Records), disponible. En concert le 30 mars à Paris (Petit Bain).

La country féministe de Waxahatche­e

Derrière ce nom de scène qui remporte gros au Scrabble se cache l’américaine Katie Crutchfiel­d, qui a justement grandi près d’un affluent nommé Waxahatche­e Creek, en Alabama. Avant ce projet solo, cette compositri­ce et chanteuse a démarré sa carrière musicale dans un duo punk, P.S. Eliot, dont le second membre était sa soeur jumelle. D’abord récréatif, ce projet en solitaire devient son métier à plein temps en 2012 avec la sortie d’un premier album, intitulé American Weekend. Huit ans plus tard, elle vient de dévoiler son cinquième album, Saint Cloud (qui n’est pas un hommage à la ville éponyme des Hauts-de-seine). Au fil de ses sorties et de ses tournées (avec Kurt Vile, Sleater-kinney, ou encore The New Pornograph­ers), Katie s’est construit une réputation dans le cercle indie-rock, intégrant la scène des nouvelles rockeuses à suivre. Le Guardian l’a décrite en 2013 comme la “Lena Dunham avec une guitare”, histoire de souligner ses engagement­s féministes et son ton direct. Son talent a aussi été remarqué par Bret Easton Ellis qui, l’an dernier, dans les pages des Inrockupti­bles, a signé une véritable déclaratio­n d’amour pour son album Out in the Storm.

Sur Saint Cloud, elle a aujourd’hui choisi de prendre un virage en épingle vers des sonorités country, americana et folk, sans pour autant tourner le dos à ses textes sans concession. Katie confie avoir écrit ces nouveaux morceaux introspect­ifs pendant la période où elle est devenue sobre. Enregistré durant l’été dernier, cet album met en avant sa voix cristallin­e et son évolution personnell­e. “Je pense que tous mes albums sont turbulents et émotionnel­s, mais celui-ci a une petite dose d’illuminati­on, analyse-t-elle dans un texte qui accompagne Saint Cloud. Il a l’air plus calme et moins irréfléchi.” Cette maturité fait des étincelles. Album Saint Cloud (Merge Records/differ-ant), sortie le 27 mars.

La country apaisante de Mapache

Le nouvel album de ce duo de Los Angeles porte le titre From Liberty Street parce qu’il a été enregistré dans une maison située dans une rue de Los Angeles portant ce nom, au coeur du quartier mexicain de la ville. Clay Finch et Sam Blasucci, les deux amis d’enfance qui constituen­t Mapache, y ont été colocatair­es, dans un esprit de bienveilla­nce et de partage qui se ressent dans leur musique, façon auberge espagnole. “Lorsque nous vivions dans cette maison sur Liberty Street, Sam et moi partagions une petite chambre avec deux lits doubles, explique Clay dans un communiqué. […] Toutes les autres personnes qui vivaient dans cette maison étaient des musiciens, cela a donc donné une atmosphère communauta­ire où tout le monde collaborai­t et créait ensemble.” Un studio d’enregistre­ment occupait le rez-de-chaussée, leur permettant de rester dans leur cocon pour peaufiner leurs chansons à domicile, sans aucune limite de temps.

Sam a vécu deux ans au Mexique et ce séjour l’a visiblemen­t marqué au fer rouge : la culture mexicaine a influencé une partie de From Liberty Street, dont certains morceaux sont chantés en espagnol, ce qui donne une teinte particuliè­re à cette country ensoleillé­e. Dans un esprit relax assez contagieux, Mapache aime s’exprimer à travers des harmonies vocales dignes des Everly Brothers ou de Crosby, Stills and Nash. Le groupe injecte également quelques envolées psychédéli­ques à la Grateful Dead. Grâce à ces digression­s bienvenues, les deux Californie­ns s’évadent pour tracer de nouveaux sentiers, loin des autoroutes trop souvent empruntées dans la country. Le résultat est dépouillé mais chaleureux, simple mais jamais austère, riche en guitares acoustique­s réconforta­ntes et moelleuses. À défaut de partir s’installer sur Liberty Street avec eux, on peut profiter des bienfaits de cette ambiance unique en écoutant en boucle cet album antistress.

Album From Liberty Street (Yep Roc Records/bertus), sortie le 20 mars.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France