Les bandelettes de Margaret.
Quel lien entre les “Tech Bros” de Wall Street, une marque de mode outdoor, l’égypte antique, les surplus et Margaret Thatcher ? Aucun, sinon que l’artiste Simon Denny a fait de tout cela une oeuvre forte, politique, puissamment dénonciatrice.
La “Sécurité à travers l’obscurité” (“Security Through Obscurity”) annonce avec ironie le titre de la dernière exposition à la galerie Altman Siegel de
San Francisco de l’artiste néo-zélandais Simon Denny. Là, il a rassemblé des éléments pour le moins disparates afin de dresser un constat sans pitié sur notre époque, aussi social que politique. Début 2019, l’artiste remarque une vente aux enchères Christie’s : des lots de foulards de soie de marques de luxe ayant appartenus à Margaret Thatcher à des prix accessibles (malgré des enchères qui ont grimpé au-delà de toute espérance – chaque foulard étant estimé environ 600 euros pour partir dans les 4 000 euros). Un matériel de rêve à la puissance évocatrice forte pour Denny qui en achète dix-sept, dont un de la marque Nicole Miller sur le thème Forbes avec des motifs de dollars ou un autre motif léopard orné du mot “Africa”. Thatcher reste figée dans l’imaginaire collectif avec sa panoplie – la permanente laquée, le chemisier à noeud, le tailleur et le foulard. La “Dame de Fer” a prôné la dérégulation, un néolibéralisme et un capitalisme sauvage entre mineurs en colère et guerre des Malouines. La décennie qui vient de s’écouler n’a finalement été que le point culminant de ce qu’elle avait initié, avec des inégalités sociales qui culminent au niveau mondial en 2020. Denny montre aussi ce grand écart en jouant sur les provenances de ses matériaux :
d’une vente aux enchères prestigieuse aux friperies de seconde main à San Francisco. Dans ce berceau récalcitrant de la high-tech, près de la Silicon Valley, où se côtoient de plus en plus de milliardaires et de SDF, il déniche des gilets et des sacs de couchages usés Patagonia, une marque de vêtements de sports de plein air qui n’a jamais hésité à dénoncer la surconsommation. Voué à être porté par les écologistes et autres amoureux de la Nature, leur gilet Nano Puff en polaire rembourré est devenu, sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi, l’accessoire préféré des traders et des tech boys de Wall Street (attrait de l’idée de la survie dans la Nature ? virilité affichée ?) et fait même l’objet d’un compte Instagram @midtownuniform. Denny a délicatement tapissé ces gilets avec des foulards de soie de la terrible Maggie, puis les a estampillés du logo Salesforce, géant du logiciel de gestion de la relation client basé à
San Francisco. Idem avec les sacs de couchage qui deviennent des sarcophages modernes, annonçant prophétiquement les dérives létales et vénales de notre civilisation cupide et narcissique, aveugle aux signes du déclin ou du danger.