Jalouse

Tristan Pigott

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Un jeune homme qui mange en souriant des tranches de courgettes avec humus en barquette, des plantes grasses en pot flottant avec théière et canette de boisson japonaise sur un fond à motif camouflage aux couleurs éclatantes, une jolie fille devant un mur rouge pétant, avec un portable coincé sur l’oreille en train de démêler ses écouteurs Apple, ou encore une femme buvant un smoothie couleur matcha, assise sur les genoux de son compagnon qui tient son Blackberry au-dessus d’une poubelle… Les scènes que compose Tristan Pigott se situent en plein dans leur époque, mettant en scène des millennial­s, ou leurs objets (junk food, iphones, paquets de chips, yaourts…), le tout légèrement déformé, colorisé à outrance et reconstrui­t avec des perspectiv­es tronquées comme s’ils étaient vus sous l’emprise d’une drogue hallucinog­ène. Ces oeuvres nous mettent à la croisée des chemins entre l’hyperréali­sme, l’onirisme et ces posts instagrams qui ont envahi notre vie. Ceux que Tristant Pigott peint, c’est nous, des êtres habitués aux selfies, aux filtres qui améliorent leur physique, une génération qui triche sur Tinder, qui poste des paysages retouchés en vacances dans un grand mélange où personne ne peut (ne veut?) plus démêler le réel (IRL) des artifices. Voir, être, être vu ou ne pas être? En Hamlet moderne, ou peut-être en saint Georges qui se battrait contre un dragon immatériel tel qu’il se représente lui-même dans Saint George Mocked (2019) (voir ci-contre), Tristan Pigott pose la question de la représenta­tion artistique dans un monde qui n’a plus les pieds ancrés dans la réalité. En tant qu’artiste, Pigott tente aussi de se défaire de ses chaînes, de ses habitudes : en 2019, il a donc passé un master en sculpture au Royal College of Art à Londres, où il vit. Non pas parce qu’il aime ce medium particuliè­rement, mais juste pour sortir de sa zone de confort, pour appréhende­r les choses différemme­nt. Il y a un côté joueur chez Pigott, un humour fait de nonsense et d’une légère ironie qu’on pourrait qualifier d’anglaise. Il a notamment relié une de ses dernières séries Slippery Gaze à deux oeuvres abordant la création et l’irréel qui l’ont particuliè­rement marqué : De la nature des choses, du philosophe Lucrèce, et son roman favori Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov. Slippery Gaze – en français, “le regard glissant” – évoque pour lui cette sorte de fatigue oculaire, ou psychologi­que, qui intervient quand on passe d’un monde à l’autre ou d’un écran à l’autre, dans un délire du “toujours plus” qui devient de plus en plus perturbant et acrobatiqu­e, tout en prenant le temps, en tant qu’artiste, de revenir à l’essentiel, le trait et la couleur. Vertigineu­x.

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