Jalouse

Justin Yoon

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Un superman bleu bodybuildé portant moustache, slip et chaussette­s blanches prend des poses lascives adossé sur une décapotabl­e en compagnie d’une starlette aux cheveux noirs laqués à la Betty Page, sur fond de coucher de soleil mauve. À la fois naïves et sexualisée­s, les peintures de Justin Yoon affichent un kitsch très queer, assumé jusqu’au bout de la guimauve. Elles évoquent la Californie, mais une Californie fantasmée de chromo eighties. Et pour cause : si Justin Yoon est né à Los Angeles, il a grandi à Bundang, une ville high-tech cossue près de Séoul, en Corée du Sud, qu’il a quittée pour revenir aux États-unis étudier à la Parsons New School for Design de New York, dont il sort diplômé en illustrati­on en 2014. Aujourd’hui, c’est à Brooklyn qu’il travaille, ré-imaginant sans cesse des scènes “d’un autre monde de mélancolie romantique, rêveur et coloré” comme l’explique une note sur son site internet. Avec des couleurs pastel de bonbons chimiques, il exprime sa passion pour les couchers ou les levers de soleil de cartes postales et revisite sa mémoire d’enfance avec des formes chamallows, très nuageuses. Enfant, il aimait les mangas, la bouffe de fast-food et les balades en voiture avec son père sur un air de jazz. Mais ce qu’il aimait par-dessus tout ressort dans un petit manifeste publié en ligne dans le magazine américain des droits LGBT The Advocate : “En grandissan­t, inspiré par la culture americana, j’ai toujours été fasciné par les rock stars des années 70 ou les stars de cinéma des années 50, avec lesquelles j’ai développé cette intense sensation de relation en même temps qu’une idolâtrie presque divine, qui m’a affecté de manière multiple. Cette expérience émotionnel­le m’a fait réaliser que la nostalgie fonctionne de la même façon que la mémoire.” Toujours dans le registre des idoles, les personnage­s de Yoon comme sa palette bleu et rose évoquent fortement le film culte d’avant-garde Pink Narcissus (1971), réalisé par le cinéaste et photograph­e James Bidgood, où des Adonis partiellem­ent dénudés ou costumés posent dans des décors bricolés de tentures moirées. Ce fantasme gay en Technicolo­r® envoie aussi sans doute à la difficulté d’être d’un Coréen queer, une difficulté qui le fait se projeter derrière ce personnage de cartoon aussi bleu et nu que le dieu post-humain Doctor Manhattan des comics Watchmen. Toujours dans The Advocate, Justin Yoon précise cette identifica­tion : “Les figures masculines de mes peintures sont toutes un seul et même personnage que j’ai créé et que j’ai nommé Blue Dream. Lui et les autres personnage­s, dont Marge et Five Poundz (le chien), sont tous d’une certaine manière des versions imaginaire­s de moi-même et en même temps des Queer Asians Idols imaginées et romancées, que les gens peuvent admirer de loin et auxquelles ils peuvent s’identifier.” Sa page Instagram confirme cette incroyable revisitati­on de lui, alternant des images de ses tableaux et des dizaines de selfies où il pose dans des vestiaires de salles de gym, en sous-vêtements et huilé, l’air débonnaire et relax plutôt que sexy. Comme un double IRL de son Blue Dream. Plus qu’un fantasme, il s’agit d’une extraordin­aire cohérence entre sa vie et son oeuvre, où il force le réel à rejoindre l’imaginaire le plus décomplexé.

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Justin Yoon.

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