Kiteboarder

DOSSIER MATOS

Rentrez dans les coulisses de Naish à Hawaii

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Dans le cycle de développem­ent d’un kite qui sortira dans le commerce en été, comme les Naish, tout commence et se finit en avril au moment du photoshoot­ing annuel de la marque. À ce moment-là, Damien Girardin l’avoue, il est « super content de ses ailes et ne sait pas comment faire mieux. Franchemen­t, chaque année je me dis qu’on a tout mis dedans. C’est l’état d’esprit qui prédomine toujours ou presque à cette époque. Avec le photoshoot, le retour rideur ne tarde pas. En général, eux aussi sont contents et ensuite ils repartent avec leur matos. » À ce moment-là, tout va bien, mais c’est en vérité le début du processus qui amènera à la sortie de nouvelles ailes dans les magasins un an et demi plus tard ! En effet, l’équipe de R et D travaille avec un peu plus d’un an d’avance sur la sortie des nouveautés. Lorsque les coureurs repartent avec leurs kites, ils vont les utiliser ardemment et livrer leurs retours au fur et à mesure qu’ils ont du recul sur chaque aile. Entre les tests, les commandes de matériaux, la conception de la déco, du design proprement dit et la recherche sur les matériaux, le processus est très long et demande à être largement anticipé. Chez Naish, Damien est censé finir son développem­ent en mai pour un début de production en mai et une arrivée dans les shops en août.

PHASE 1 RECUEILLIR DU FEED-BACK POUR FIXER LES OBJECTIFS

D’avril à août, l’objectif est de recueillir des retours sur les produits avec les rideurs, les importateu­rs, les revendeurs et les clients. « Dès que les importateu­rs ont leurs échantillo­ns, je leur demande de les essayer, de les faire essayer à leurs revendeurs et de remonter des feed-back, positifs, mais surtout négatifs. Après les retours des importateu­rs et après avoir moimême navigué avec les ailes depuis plus d’un mois, déjà au bout du mois de juin, je commence à voir des choses sur lesquelles on peut travailler. De mon côté, j’ai déjà commencé à faire des protos avec des améliorati­ons ou à définir des objectifs de design pour le futur, j’ai vu ce qu’a fait la concurrenc­e aussi. En général, vers la fin août, mi-septembre maximum, on a clairement la direction. Là, j’enquille les protos. » Quand on parle de la veille concurrent­ielle, Damien explique essayer de rider les ailes des concurrent­s ou au moins d’avoir des contacts réguliers avec de bons revendeurs ou avec la presse pour glaner des infos sur le marché. « J’avais beaucoup moins à le faire lorsque j’étais en France, car je sentais moi-même le marché. J’allais à la plage, je regardais et je voyais. Ici à Maui, ce n’est pas vraiment la réalité du marché. Le gros du boulot c’est vraiment de sentir ce qui se passe et de le traduire dans un produit. Et ça, c’est un mix de mon feeling, de ce que vont me dire les pro rideurs, mais pas trop, car ils sont sur leur planète, et c’est beaucoup regarder les gens rider, et où le marché va. Pour ça, j’ai besoin de parler aux distribute­urs et aux revendeurs. Ce qui est compliqué ensuite c’est de traduire l’idée de ce que l’on veut, par exemple du drift sur la Slash, en design. Souvent, ça marche, mais souvent ça ne marche pas non plus… Au début du kite, franchemen­t, je ne faisais jamais d’oignons. À l’époque, c’était tellement plus facile de faire mieux, qu’à chaque proto l’aile était meilleure. Aujourd’hui, c’est plus difficile et les oignons d’aujourd’hui auraient été de super ailes à l’époque ! » PHASE 2

TRADUIRE LES OBJECTIFS EN DESIGN

Une fois que les objectifs sont fixés, il s’agit donc de les traduire en design. Pour dessiner les kites, Damien utilise un logiciel de dessin 3D customisé avec des formules de correction­s spéciales. Toute la difficulté de l’exercice c’est que le design de kites ne s’apprend pas dans les livres, c’est très expériment­al d’autant plus que les différents paramètres d’une aile interagiss­ent entre eux et que le logiciel n’est pas exactement réaliste. « Quand je fais l’aile j’ai un logiciel 3D, qui est un logiciel qu’on est plusieurs à utiliser dans l’industrie, mais je pense que l’on a chacun une version un peu custom. En tout cas, moi, ma version est assez customisée avec des fonctions que je veux avoir sur le calcul de bridage ou sur les calculs de tension sur le bord d’attaque, par exemple, car ça m’intéresse d’avoir ces informatio­ns. Donc je dessine l’aile en 3D, je la vois en 3D et après je sais que ce que je vois ce n’est pas la réalité, car ce que je vois est un truc rigide en tension avec des panneaux et des tissus droits alors qu’en réalité il gonfle un peu. Mais ça, ce n’est pas grave, car les erreurs que j’ai sur le logiciel, je sais que je les ai

et que telle vue me donnera ça en l’air. Et à la limite, je ne veux pas corriger la vue, car le jour où ça sera corrigé, je ne sais pas ce que ça donnera en réalité. Je suis bien avec l’outil que j’ai. » Lorsque Damien passe sur l’ordi et commence à faire de nouveaux kites, l’idée pour lui c’est de mettre en applicatio­n les trucs sur lesquels il a réfléchi. « Au fil des années, j’ai un peu changé les trucs sur lesquels je bosse, car au bout d’un moment tu as tellement peaufiné un truc que tu sais que ça fonctionne. Pendant un moment, on était vachement sur le diamètre du bord d’attaque et la forme générale du kite. Il y a 2 ou 3 ans, j’ai commencé à travailler un peu plus sur les aspects ratios (AR), à essayer des trucs un peu plus radicaux, et je me suis aperçu que je progressai­s vachement. C’est pour ça que j’ai fait la Pivot avec un AR plus élevé que ce que l’on faisait avant. L’aile était vraiment réussie et on a fait un bond en avant. L’étape d’après ça a été la Park HD, où on est passé d’un AR bas à un AR beaucoup plus haut qui a significat­ivement amélioré l’aile. Maintenant, j’ai un peu tout testé avec les AR, j’ai ma gamme d’AR qui fonctionne­nt et avec lesquels je joue. Aujourd’hui, je bosse plus sur ce que j’appelle le “taper du leading edge” qui est en gros la variation de diamètre du bord d’attaque. En gros, la théorie dictée par Bruno Legainou il y a longtemps c’était qu’au centre le bord d’attaque était gros et sur l’oreille il était petit. Sa théorie c’était que tu calculais le diamètre du bord d’attaque en pourcentag­e de la corde du kite à cet endroit-là. Plus ou moins tous les designers ne se posaient pas la question et se disaient que c’était comme ça. Et puis doucement, je ne pense pas avoir été le seul, mais je me suis aperçu qu’avec les bridages, les tensions se répartissa­ient différemme­nt dans les ailes, qu’on avait besoin de plus de support en bas et en tout cas, moi, j’ai commencé comme ça pour faire un leading edge plus gros sur les oreilles. Bref, c’est comme ça que je me suis aperçu que ça changeait la façon dont les ailes tournaient. Et plutôt en positif par rapport à ce que l’on cherchait, soit moins autour de l’oreille, mais plus en pivot, ce qui était quelque chose que l’on recherchai­t. Et en tout cas, maintenant je continue à bosser là-dessus. C’est du travail de précision. Sur un proto, à partir d’une aile qui fonctionne bien, j’ai changé le diamètre de 5mm à un endroit et ça a changé l’aile en moins bien. C’est hyper précis. »

PHASE 3 FABRICATIO­N DE PROTOS EN CHINE

Dans cette même période, une fois les premiers designs effectués sur l’ordi, il est temps d’envoyer les fichiers en Chine pour réaliser les protos. « Le logiciel 3D me génère des panneaux en format autocad que j’envoie à l’usine. Eux, ils reçoivent ça, ils les coupent, ils les assemblent, ils mettent en gros 3 à 4 jours à le faire et il y a autant de shipping, donc 10 jours plus tard, je reçois le proto à Maui. Je dessine les bridages sur l’ordi aussi. C’est quelque chose de très technique, car pour moi, il y a beaucoup d’intuition quand je les vois avec l’aile qui vole, mais maintenant ça fait deux ou trois ans que je commence à réussir à bien designer le bridage dans le logiciel. Et ensuite c’est beaucoup de tests. »

PHASE 4 LES TESTS SUR L’EAU

Dès les premiers protos reçus, l’heure est donc aux essais sur l’eau pour voir si la théorie et la pratique se rencontren­t comme il faut. « Les tests, c’est parfois assez radical, explique le designer Naish. Des fois, il peut y avoir un proto sur lequel j’ai passé plusieurs heures, l’usine a passé des heures à le construire, il a fait le tour du monde pour venir ici et au bout de 5 minutes je sais qu’il n’est pas bien. Là, c’est parfois un peu déprimant, t’es un peu dégoûté d’avoir dépensé du temps, de l’argent, du carburant. Mais en même temps, l’aile avait l’air parfaite dans le logiciel, tu l’as fait voler, tu vois qu’elle ne marche pas et pourquoi, et là tu retournes dans le logiciel et bien souvent c’est là que tu vois ce qui ne va pas. » Damien explique que ça peut se jouer à rien, à un petit détail comme le sens dans lequel doit être coupé le tissu. « La façon dont je coupe le leading edge c’est aussi mon petit secret. D’après ce que j’ai vu des autres marques, je suis le seul à procéder comme ça. Je sais que cela me permet d’avoir des kites qui sont droits dans 99,9% des cas. Je sais que les tissus ont des problèmes, il n’y a pas de tissus parfaits, même les Japonais n’y arrivent pas. On en a parlé avec eux, la façon dont le tissu est tramé, dont le fil passe, il a un léger écart qui représente plusieurs centimètre­s sur 1,50m de large. Mais sachant cela, j’arrive à couper les morceaux pour que cela s’annule. Ça, c’est top secret. » Au niveau méthodolog­ique, Damien ne croit pas aux grandes salves de protos, il travaille pas à pas. « J’essaye de ne pas faire trop de protos d’un coup parce que si au bout de cinq minutes l’aile que j’ai essayée ne marche pas… Si j’ai une idée principale qui ne fonctionne pas, mais que j’ai fait quatre protos autour de cette idée, au bout de cinq minutes, je mets tous les protos à la poubelle. Donc je ne fais pas qu’un seul proto, mais pas beaucoup à la fois. Il faut que j’avance étape par étape, sans les brûler. Et si un proto était effectivem­ent une étape, l’étape suivante, je ne peux pas la deviner avant d’avoir validé sur l’eau. Donc un proto, c’est vraiment une version N+1, mais c’est dur de faire la N+2 directemen­t. Bon, ensuite c’est assez réactif quand même, en dix jours j’ai un nouveau proto. » Là où ça se corse pour Damien, c’est que pour l’usine c’est un peu plus compliqué de faire les protos que les séries. «Une aile de série c’est 20 à 25heures de boulot, un proto c’est plutôt 35 heures et en plus ils sont obligés de faire de la place dans leur production et donc ça ralentit le reste, explique Damien. Donc des fois, quand l’usine est au taquet, ils disent qu’ils ne font plus de protos. Là, c’est galère, car je peux attendre le proto trois semaines. Le rythme avec l’usine ce n’est pas tous les jours, mais je leur envoie quand même souvent des fichiers. Environ 300 protos par an… Concentrés sur un peu plus de 6 mois de septembre à mars. » L’idée c’est donc d’avancer pas à pas, proto après proto, sur une période de développem­ent continu assez longue.

 ??  ?? Designer des kites, c’est aussi beaucoup de temps à théoriser les enseigneme­nts du terrain sur l’ordinateur et le logiciel 3D. Toute la difficulté du design des kites est d’aller du logiciel à la plage en passant par l’atelier. Le design des bridages,...
Designer des kites, c’est aussi beaucoup de temps à théoriser les enseigneme­nts du terrain sur l’ordinateur et le logiciel 3D. Toute la difficulté du design des kites est d’aller du logiciel à la plage en passant par l’atelier. Le design des bridages,...
 ??  ?? La spéciale du designer Naish qui est avant tout un excellent kiteur français ! Damien échange avec Vincent Hamon de Corner Shop et Yann Nguyen, l’importateu­r français. © Erwan Jauffroy
La spéciale du designer Naish qui est avant tout un excellent kiteur français ! Damien échange avec Vincent Hamon de Corner Shop et Yann Nguyen, l’importateu­r français. © Erwan Jauffroy
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 ??  ?? Quand Damien Girardin teste ses kites, il ne fait pas rire les mouettes.
Quand Damien Girardin teste ses kites, il ne fait pas rire les mouettes.

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