Kiteboarder

INTERVIEW

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Hervé Bouré, le strapless dans la peau

Si vous aimez le surfkite strapless, vous avez forcément entendu parler de la marque française HB Surfkites et de son fondateur Hervé Bouré. Et si ce n’est pas le cas, eh bien nous allons rattraper ça. Double champion du Monde de kitesurf dans les vagues en 2003 et 2004 (wave master KPWT), Hervé Bouré a créé en 2012 sa propre marque de planches dédiées à sa pratique de prédilecti­on : le surf strapless. Metteur au point passionné, sa carrière de rideur pro l’a amené à développer du matériel puis à devenir responsabl­e du développem­ent de la marque Takoon. De nombreuses personnes ont utilisé et utilisent encore sans le savoir du matériel imaginé et conçu dans l’ombre par Hervé. S’il dessine donc des ailes depuis 2011 pour d’autres, cette année, Hervé a franchi le pas en sortant une aile sous sa propre marque : la HB Légion. Les lecteurs les plus assidus ont certaineme­nt également entendu parler du crochet 3D hook system du harnais HB Legacy dévoilé il y a un peu plus d’un an. Encore une invention d’Hervé, ce passionné de kite et de développem­ent. Coup de projecteur sur l’une personnali­té du kite à la française qui a dédié sa vie à faire évoluer le matos et le sport.

Salut Hervé ! Nous sommes aujourd’hui en 2019 avec un kitesurf en plein essor. Mais toi, ta passion ne date pas d’hier. Racontes nous ton histoire, comment as-tu découvert ce sport ?

C’était au Printemps 1998. À l’époque j’étais pro-rider en windsurf, sponsorisé par North Sails et Sun7, la marque de planche de Pierre Bracar. Je connaissai­s pas mal de Monde dans le milieu, notamment Mathieu Pendle. On s’est croisé un jour sur le spot de L’Espiguette, il arrivait tout juste de Maui où il avait passé une bonne partie de l’hiver. Il connaissai­t déjà mon intérêt pour les trips que je réalisais à travers le Monde avec notamment Wind magazine et un peu toujours la même bande de photograph­es et riders. À l’époque, il n’y avait pas internet. Nous étions obligés de partir longtemps en trip pour être sûrs d’avoir des conditions de vent et de vagues et pour s’assurer de ramener un bel article pour les magazines. Quand j’ai vu Mathieu avec son aile Wipika et une board de surf. Je me suis tout de suite dit qu’il me fallait ce matos dans mon quiver pour partir sur mon prochain trip aux Philippine­s. De son côté, Mathieu avait l’intention de distribuer cette marque. Il avait besoin d’image et de riders qui s’investisse­nt. Depuis mes débuts dans la glisse, j’ai toujours été attiré par la vague et le fait de pouvoir surfer avec différents supports. J’ai rapidement vu dans la discipline du kitesurf l’intérêt de pouvoir surfer des vagues sans avoir l’encombreme­nt d’une voile de windsurf. Rapidement, je me suis passionné pour ce nouveau sport, que j’ai vu sans limite d’évolution.

Tu es connu pour avoir été l’un des pionniers du Strapless. Comment y es-tu venu ?

En fait, j’ai toujours ridé en strapless avec un longboard, soit en cruising ou en surf dans les jours de vent faible. J’ai consacré et sacrifié plus de 20 ans de ma vie à développer le kitesurf. En 2010, j’étais en charge du développem­ent et du design pour une grande marque. Je passais beaucoup de temps sur l’eau à tester les ailes et les boards de demain. Ma pratique était devenue moins passionnan­te, c’était devenu un travail. Du coup, dès que je le pouvais, je sortais mon surf même sur les spots plats pour rendre mes sessions de test plus fun. J’habite dans une région de vent très fort et rapidement, j’ai dû faire évoluer mes boards de surf avec un maître bau plus avancé. Avec le vent fort, il fallait avoir plus de « stance » pour pouvoir garder la board sous les pieds. Je ridais de plus en plus dans des vents forts avec mon surf. Naturellem­ent, je sentais la board se plaquer au vent dès le moindre petit saut. À cette époque, il n’y avait personne avec qui rider en surf dans du vent fort. Il était donc impossible d’avoir un modèle ou de pouvoir progresser rapidement. Il fallait tout découvrir et apprendre par soi-même. Dans le même temps, il y avait une bande de riders sur la côte Californie­nne qui ridaient eux aussi avec des surfs dans du vent très fort. Du coup, cela m’a conforté dans l’idée de développer cette pratique. Je pense que l’on peut dire qu’il y a eu deux mouvances simultanée­s aux États-Unis et chez nous. Je me souviens des nombreuses journées où j’allais rider avec mon surf sur un spot comme Plage Sud à Port Camargue avec du vent fort et d’entendre beaucoup de gens me dire : « Mais Hervé, qu’est-ce que tu fous avec ton surf, il n’y a pas de vagues ! » Ces réflexions ont duré de longs mois. À chaque session, j’ai dû prendre mon bâton de pèlerin pour essayer de convertir le plus grand nombre. Aujourd’hui je peux dire qu’ils sont un peu tous mes enfants (rires). Et rapidement, ma pratique est devenue de plus en plus engagée… Je ne voyais aucune limite à cette discipline, qui pour moi, mélange le surf et le skate : les discipline­s reines des sports de glisse. Enfin j’avais un sport qui pouvait m’apporter toutes les sensations que j’attendais.

Est-ce facile d’exister aujourd’hui sur le marché du kite avec HB en tant que marque française « indépendan­te » ?

La liberté n’a pas de prix. HB-SURFKITE, ne s’est pas construit en 1 jour. Cela faisait longtemps que je voulais créer une marque 100 % dédiée à une discipline à laquelle je crois et que j’aime. Je trouvais que les autres marques partaient trop sur un développem­ent généralist­e. J’ai toujours eu une pratique très « core ». Je ne trouvais pas mon compte sur ce que proposaien­t les marques. Pour pouvoir proposer et développer des produits techniques, il faut être libre sans trop de contrainte­s financière­s et ne pas avoir des objectifs de vente comme les grandes marques. Ces contrainte­s vous bloquent et surtout vous obligent à prendre de mauvaises décisions. Ce n’est pas facile tous les jours, car cela représente énormément de travail et d’investisse­ment. J’y ai consacré et sacrifié une bonne partie ma vie, souvent au détriment de ma famille, qui m’a toujours soutenu. Je suis un passionné, je ne fais pas du kite pour l’argent. Je développe les produits de demain pour que notre pratique s’améliore. Je souhaite garder mon indépendan­ce, pour garder cette philosophi­e de vie.

Comment expliques-tu qu’il y ait autant de marques à s’être créées en France et en particulie­r dans le bassin autour de Montpellie­r ?

Il y a une grosse émulation dans la région de Montpellie­r. C’est historique et c’est resté. En ce qui concerne HB, nos bureaux sont implantés à Garons dans le Gard. Cela me permet de rider de Marseille à Gruissan et d’avoir une multitude de conditions de vent et de vagues à ma portée.

Entre les premières planches sans inserts de straps, le harnais Legacy, etc. Tu sembles passionné d’innovation et de R&D, comment te viennent toutes ces idées ?

En quelques mots, j’ai toujours eu une pratique axée sur la performanc­e. Que ce soit lors de mes 15 ans de compétitio­n et mes deux titres de champion du Monde ou mes 10 années de designer. J’aime repousser mes limites et aussi celle de mon matériel. Je passe beaucoup de temps sur l’eau et comme je te le disais juste avant, je consacre et sacrifie une partie de ma vie à notre sport. Il n’y a que comme ceci que l’on peut imaginer et développer les produits du futur.

Tu as été parmi les premiers à croire au strapless et à proposer des planches 100 % dédiées depuis de longues années. Maintenant tu lances ton aile, la HB Légion. Pourtant si la Légion est la première aile de HB, ce n’est pas ta première aile. Peux-tu nous raconter ton parcours dans le design des kites ?

J’ai été designer des ailes Takoon depuis 2011. Fin 2017, j’ai décidé d’arrêter de travailler chez Takoon, car je ne croyais plus à leur « business model » basé uniquement sur les marges, le profit et vendre à tout prix. Il n’y avait plus de développem­ent, plus de personnes passionnée­s en interne. Pour moi, la marque avait perdu son identité. Un investisse­ur avait la main mise dessus. Il est important de comprendre que ce qui fait une marque, ce sont surtout les hommes qui y travaillen­t. L’argent ne fait pas tout dans ce sport passionnan­t. En dessinant mes ailes, j’ai pris le temps de développer, choisir la bonne usine, les bons matériaux. J’ai fait 1 an et demi de développem­ent rien que sur ma gamme d’ailes Légion avant de la sortir. Je pense que même si

« JE NE TROUVAIS PAS MON COMPTE SUR CE QUE PROPOSAIEN­T LES MARQUES. POUR POUVOIR PROPOSER ET DÉVELOPPER DES PRODUITS TECHNIQUES, IL FAUT ÊTRE LIBRE SANS TROP DE CONTRAINTE­S FINANCIÈRE­S ET NE PAS AVOIR DES OBJECTIFS DE VENTE COMME LES GRANDES MARQUES. »

c’est la première aile sous la marque HB, mon développem­ent est déjà bien abouti. Je m’appuie aussi sur mon expérience.

Pourquoi lancer une aile sous la marque HB alors qu’il y a déjà beaucoup d’offres sur le marché ?

Nous vendons des boards chez HB-SURFKITE depuis 2012. Nous avons un grand nombre de riders passionnés qui nous suivent et qui attendaien­t que l’on sorte des ailes. Je designais des ailes depuis 8 ans et il n’y avait plus qu’un pas à franchir car j’avais toutes les clés en main pour le faire. C’est ça l’explicatio­n. De plus, je suis entouré d’une bonne équipe, Stan, Morgan, Cédric, Manu, Louis et Arnaud.

Comment s’est effectué le développem­ent, avec quels objectifs et quelle méthode ?

Mon objectif principal était de faire une aile 100 % dédiée à la pratique du strapless. Mes critères étaient les suivants : le depower, le drift, la puissance à la demande, la maniabilit­é et aussi d’avoir une puissance équilibrée entre les avants et les arrières. Au fur et à mesure de l’avancée du développem­ent, une des façons de savoir si votre produit est abouti est de se rendre compte que vous ne voulez plus vous en séparer lors des jours de nav ! Pendant ma carrière, j’ai testé beaucoup d’ailes, mais jamais j’ai pu trouver un kite qui puisse me proposer toutes ces caractéris­tiques. Cela a été un énorme challenge. Je suis une personne très exigeante. J’ai dû réaliser plus de 30 prototypes pour arriver à ce résultat qui me satisfait aujourd’hui et qui me comble dans ma pratique de tous les jours.

Comment vois-tu le futur de la pratique strapless qui te tient tant à coeur ?

Le strapless est devenu une discipline à part entière. Aujourd’hui, le plus gros championna­t de kite en manière d’impact est le Strapless Tour du GKA. Je pense que le strapless va partir dans une mouvance avec un mélange d’épreuves de vagues et de freestyle avec du déhooké. Personnell­ement, je suis fan de gros jumps engagés, sans trop de fioritures.

Merci Hervé et à bientôt sur l’eau, en strapless bien sûr !

 ??  ?? Ci-dessous : pionnier du surfkite strapless, le français Hervé Bouré a cru au potentiel de cette discipline avant tout le monde.
Ci-dessous : pionnier du surfkite strapless, le français Hervé Bouré a cru au potentiel de cette discipline avant tout le monde.
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 ??  ?? Ci-dessus : c’est vrai que de tracer de telles courbes avec du matériel que l’on a soimême conçu, ça doit être un feeling unique !
Ci-dessus : c’est vrai que de tracer de telles courbes avec du matériel que l’on a soimême conçu, ça doit être un feeling unique !
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 ??  ?? En haut, à droite : tester les produits jusqu’au coucher du soleil, ce n’est pas ça qui va arrêter Hervé Bouré.
En haut, à droite : tester les produits jusqu’au coucher du soleil, ce n’est pas ça qui va arrêter Hervé Bouré.
 ??  ?? En haut, à gauche : passionné jusqu’auboutiste, Hervé Bouré passe énormément de temps sur l’eau à tester encore et encore. Ci-dessus : dès ses débuts, Hervé a vu le potentiel du kite dans les vagues.
En haut, à gauche : passionné jusqu’auboutiste, Hervé Bouré passe énormément de temps sur l’eau à tester encore et encore. Ci-dessus : dès ses débuts, Hervé a vu le potentiel du kite dans les vagues.
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