L’Écho de la Presqu’île (SN)

« Ma nuit aux urgences »

- G. G. La Baule

« « Appelle le 15 » me dit-elle. « Mais non, ça va, j’ai plus mal ». Elle insiste : « Comme ça, tu auras l’avis d’un médecin ». Mon épouse est infirmière. À sa voix, je devine que ses réflexes profession­nels l’emportent sur son inquiétude d’épouse. Elle me tend le téléphone. Je consens à faire le 15. J’explique : une douleur dans la poitrine, oppressant­e, prolongée, au cours d’une partie de tennis. S’ensuit une rafale de questions : âge, antécédent­s, traitement­s. Puis la conclusion : « On vous envoie un équipage ». Un équipage ? Non, pas la peine, ça va bien maintenant, je vous assure ! Trop tard, le médecin régulateur a raccroché. Quelques minutes plus tard, le véhicule du Samu est à ma porte. Trois blouses blanches en descendent, lourdement chargées du matériel médical d’urgence. Effaré, je les regarde grimper l’escalier quatre à quatre. Une ambulance vient se garer derrière le véhicule d’interventi­on du Samu.

La poitrine bardée d’électrodes

À la nuit tombante, l’éclat bleuté des gyrophares donne à ma rue l’aspect d’un décor de série policière. « Docteur X… » se présente l’homme en tête du cortège. « Allongez-vous ». Il me pousse sur un lit. En un clin d’oeil, j’ai la poitrine bardée d’électrodes, le bras pris dans un brassard de tensiomètr­e, une aiguille de perfusion dans la main. L’instant d’avant j’étais un homme debout. Allongé sur mon lit, je suis devenu un patient. Saucissonn­é, je ne moufte pas. La rigueur, la précision des gestes, le silence à peine troué d’ordres brefs avec lesquels « l’équipage » accomplit sa tâche me subjuguent. À l’issue d’une batterie d’examens, je n’ai plus le droit de bouger. On me transfère de mon lit sur un brancard. On me porte dans l’escalier. Une botte de poireaux dans un panier. À mon arrivée aux urgences du centre hospitalie­r de Saint-nazaire, le service a déjà pris connaissan­ce de mon dossier.

« On est là, tenez bon »

On m’explique : « L’analyse de la prise de sang effectuée à votre domicile servira de référence à l’analyse d’un second prélèvemen­t et révélera ou non l’existence d’un accident cardiaque ». Je demande : « Et après, je pourrai rentrer chez moi ? ». On enrobe la réponse d’un sourire : « Peutêtre, on verra tout à l’heure ». Une longue attente commence. J’observe, autour de moi, le va-et-vient incessant des chariots, des brancards. Les mains crispées sur les draps, les visages creusés par la fatigue, la douleur et la peur. Des soupirs, des vagissemen­ts sortent des poitrines. Dans le box voisin, un homme tente une plaisanter­ie en s’adressant à sa femme : « Alors, c’est la prostate ? ». Son rire s’éparpille en sanglots. Les blouses blanches, immaculées comme les ailes d’un ange, vont d’un îlot de souffrance à un autre. Se penchent, expliquent, à voix basse. Derrière chaque mot, chaque terme technique, l’empathie transparaî­t, à fleur de peau, jamais lasse ou blasée. « On est là, on fait tout ce qu’on peut, tenez bon ». Tiens, au fait, ma femme ne m’a toujours pas appelé. M’aurait-elle déjà enterré ? Non, pas de réseau. Je demande l’autorisati­on de me lever pour téléphoner. « Attendez, je vais voir ». Cinq minutes plus tard, le médecin a donné sa réponse. Autorisati­on accordée. Je trimballe ma perf jusqu’à la salle d’attente. Mon épouse est là, assise, feuilletan­t Voici. Présente depuis le début, mais discrèteme­nt présente pour ne pas encombrer le service. « Si elle peut vous accompagne­r ? Bien sûr ! ». Demi-tour, on s’assied sur mon lit, on replie les jambes pour ne pas gêner le passage des chariots. La minuterie s’allume et s’éteint, nos paupières se lèvent et s’abaissent en cadence. Elle examine mon dossier médical. Tension, pouls, capacité respiratoi­re, RAS, tout est normal.

« Merci à « l’équipage » et au personnel soignant »

Quelques minutes plus tard, le médecin urgentiste - celui-là même qui dans la soirée m’avait jeté sur mon lit pour me couvrir d’électrodes - arrive d’un pas tranquille et confirme la bonne nouvelle. Les analyses sont négatives, je peux rentrer chez moi. Il tourne le dos. Je cherche une main à serrer, une oreille où glisser un « merci » ou même une joue à embrasser. En vain. D’autres malades, d’autres détresses, d’autres urgences attendent. Ce que je n’ai pas pu faire à cet instant, qu’on me permette de le faire ici. Merci à « l’équipage » et merci au personnel soignant présent cette nuit-là ».

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