En croisade contre la « délation »
Parce qu’il estime malsain le système voulant qu’une personne morale dénonce un salarié qui a commis une infraction au volant d’un véhicule professionnel, Pierre Jalet se désolidarise du pouvoir en place et « pense sérieusement à renoncer à son mandat de
Parce qu’il estime malsain le système voulant qu’une personne morale dénonce un salarié qui a commis une infraction au volant d’un véhicule professionnel, Pierre Jalet se désolidarise du pouvoir en place et « pense sérieusement à renoncer à son mandat de député suppléant. »
Avis de tempête à Bernay ! Maître Pierre Jalet, député suppléant de la 3e circonscription, fulmine. L’avocat bernayen est monté dans les tours en découvrant un avis de contravention pour non-désignation d’un conducteur, auteur d’une infraction avec son véhicule. L’homme de loi n’entend pas devenir « un mouchard ».
Un excès de vitesse banal
Tout a commencé par un banal excès de vitesse à Évreux. Le 29 septembre 2017, l’avocat se rend au Tribunal de grande instance. Comme il souffre d’un problème de vue, il laisse une personne de confiance conduire son véhicule. Un conducteur qui appuie sans doute un peu trop sur l’accélérateur, puisqu’un radar automatique le flashe 5 km/h audessus de la vitesse autorisée. « J’ai donc reçu l’avis de contravention avec le questionnaire type. J’ai retourné un chèque de 45 €, précisant que je n’étais pas le conducteur du véhicule, mais refusant de révéler l’identité de la personne qui était au volant », raconte maître Jalet.
Mais surprise ! Le 18 janvier dernier, un nouvel avis de contravention est reçu au courrier. « À première lecture, mon assistante m’apprend que j’ai de nouveau à payer 45 €, puis se reprenant, elle m’annonce 450 €. Pourquoi ? Parce que je n’ai pas dénoncé la personne qui conduisait mon véhicule. Mais ce n’est pas tout, si je ne règle pas dans les 45 jours, la demande est portée à 1 875 € ! »
Toutefois, aux dires de l’avoué, l’administration aurait réclamé une amende qui n’aurait pas dû s’appliquer. « Je ne suis pas une personne morale, (une entité juridique, N.D.L.R.), révèle-t-il. Je fonctionne en cabinet individuel, ce qui me permet de contester mon amende, du point de vue strictement juridique »
Les personnes morales tenues de dénoncer…
Effectivement, si l’administration somme Pierre Jalet de régler cette somme, c’est sans doute parce qu’elle le croit personne morale. Car depuis le 1er janvier 2016, l’article L 121-6 du Code de la route, impose aux représentants légaux des personnes morales de dénoncer un automobiliste flashé en excès de vitesse avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une entité juridique. Les administrations d’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, beaucoup d’entreprises et d’associations sont donc contraintes de divulguer les noms de tous ceux qui auraient commis une telle infraction.
L’employeur n’a pas à se substituer à l’État
Il s’agit d’une pratique qui révulse Maître Jalet. « Pour l’ordre public, les personnes morales sont amenées à être responsables de leurs préposés. Mais, je trouve extraordinaire qu’on puisse obliger un employeur à dénoncer ses salariés, cela induit des relations de travail délétères ! C’est une conception très policière ! On fait de l’employeur, le policier de son employé, or, il n’a pas à se substituer à l’État. »
Pire, pour l’homme politique bernayen, il y a dans cette délation, « quelque chose de dégradant, de moralement condamnable et même d’infantile et malsain ! »
« Où va-t-on si l’État demande aux citoyens de dénoncer les voisins ? », s’indigne l’homme de loi. « Ça touche à la cohésion sociale, c’est un glissement vers un totalitarisme dangereux ! Quand l’État délègue à une certaine catégorie, à des personnes privées, des fonctions policières, il est sur une très mauvaise pente ! »
Un passé familial dans la Résistance
« Je suis scandalisé ! », tonne Pierre Jalet. « Je considère que dénoncer quelqu’un n’est pas anecdotique, parce que cela renvoie à une période de notre histoire où la délation était érigée en principe. » Et pour le Bernayen, dont la grand-mère maternelle cachait des Anglais pendant l’occupation allemande, et dont le père, résistant à 16 ans, fut torturé, le mot dénonciation a un certain poids.
« La délation n’est certainement pas dans ma tradition familiale. Je ne conçois pas de dénoncer quelqu’un sauf si c’est de caractère criminel. Lorsque l’infraction est bénigne et ne porte pas atteinte à l’intégrité physique, qu’on ne compte pas sur moi et que chacun fasse le boulot pour lequel il est payé ! »
Menace de démission
Du point de vue politique, le Bernayen ne cache pas son malaise. « Cela m’interroge sur mes fonctions de député suppléant d’une majorité de laquelle se trouvent issues des dispositions comme celles-ci, encore qu’en l’occurrence l’obligation de dénoncer soit entrée en vigueur sous Hollande. Je pense sérieusement à renoncer à mon mandat de député suppléant [et] je suis dans un conflit de loyauté entre Marie Tamarelle (la députée titulaire, N.D.L.R.) et mes principes. »
« Je crois beaucoup aux symboles, ils ont autant de valeur que les actes. D’ailleurs, le président Macron se préoccupe beaucoup de symboles. »
Est-ce finalement l’air du temps que Pierre Jalet réprouve ? Car il avoue également que les hashtags de Twitter, #meetoo et #balancetonporc, ces mots-clefs utilisés, parfois, pour exposer à la vindicte des hommes au comportement jugé sexiste, lui inspirent de la répugnance.
« Je ne suis pas une personne morale » « Un conflit de loyauté entre Marie Tamarelle et mes principes »