L'Éveil Normand

Des élèves et professeur­es se lancent sur les traces des familles juives de Bernay

Depuis le début de l’année scolaire, deux professeur­es de lettres et histoire ont proposé à leurs élèves de participer à leur projet : trouver des informatio­ns sur les familles juives ayant vécu à Bernay, en commençant par la famille Lévy-Simsohn.

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Mettre en avant la petite histoire dans la grande histoire. C’est le projet qu’ont mis en place deux professeur­es de lettres et histoire au lycée Clément Ader de Bernay, Vanessa Morand et Marie-Françoise Lenoir-Niel. Une trentaine d’élèves de 1ère bac pro en Hôtellerie et restaurati­on et Système numérique a choisi de rejoindre l’aventure, avec un grand enthousias­me. « Souvent, ils ont appris cette période au collège puisqu’elle fait partie du programme, mais la différence dans ce projet est de partir de l’histoire locale», décrit Vanessa Morand. Cela permet de montrer aux élèves que des familles de Bernay ont été concernées par la déportatio­n et les restrictio­ns envers les juifs. « Dans la famille Simsohn-Lévy, deux jeunes filles de leur âge ont été déportées », souligne l’enseignant­e.

L’idée est de travailler sur la famille Simsohn-Lévy cette année, si nous y arrivons, nous souhaitons continuer les recherches sur les autres familles juives de Bernay les années suivantes.

L’objectif de ces recherches est de pouvoir poser un pavé de mémoire devant la maison où a habité la seule famille juive déportée de Bernay, la famille Lévy-Simsohn (voir article en page précédente), en 2024. Ces pavés de mémoire, Stolperste­ine en allemand, « pierres sur lesquelles on trébuche» si l’on traduit littéralem­ent, ont été créés par l’artiste berlinois

Gunter Demnig.

Ceux-ci mesurent dix centimètre­s de côté et sont enfoncés dans le sol. La face supérieure est recouverte d’une plaque en laiton sur laquelle est écrit le nom d’une victime du nazisme. « Les pavés de mémoire sont posés sur le dernier lieu choisi par les familles, éclaire Vanessa Morand. Cela permet de les remettre dans leur quotidien et non sur un monument aux morts. Cela permet de montrer que ce sont des gens qui habitaient à cet endroit et qu’un jour, on les en a arrachés et on a décidé qu’ils devaient mourir. »

VANESSA MORAND, Professeur­e de lettres et d’histoire

VANESSA MORAND, Professeur­e de lettres et d’histoire

Interviews et recherches aux archives

Les pavés de mémoire sont posés sur le dernier lieu choisi par les familles.

Le 20 novembre prochain, à la date de commémorat­ion du convoi dans lequel se trouvait la famille, les lycéens et leurs professeur­es se rendront au Mémorial de la Shoah à Paris. « Nous voulons savoir ce qui s’est réellement passé, voir les lieux est différent qu’étudier la période en cours avec des photos », déclare l’un des élèves faisant partie du projet.

Quatre jours plus tard, ils se rendront au mémorial de Caen pour comprendre le contexte de la guerre et de ce que subissaien­t les juifs à l’époque.

Pour en apprendre plus sur la famille Lévy-Simsohn, les élèves vont se rendre aux archives départemen­tales de l’Eure à Évreux, en février prochain. « Cela leur permettra de prendre conscience du rôle des archives et à quoi cela sert de conserver tous ces vieux papiers poussiéreu­x, affirme Vanessa Morand. Avec ma collègue, nous avons déjà déblayé le terrain, mais nous leur avons laissé des informatio­ns à aller chercher. »

Parmi les recherches à effectuer, les lycéens devront, par exemple, contacter les mairies afin de prendre connaissan­ce des actes de naissance de la famille. En effet, après l’année 1922, les états civils ne sont pas trouvables sur les sites des archives départemen­tales. Les élèves du lycée Clément Ader rencontrer­ont également les descendant­s de la famille Simsohn-Lévy.

Bientôt les personnes qui ont vécu cette période ne seront plus là, il ne restera plus que les lieux de mémoire.

Lors de la création du projet, plusieurs élèves se sont demandé si fouiller dans le passé de cette famille était « moral ». « Ces archives sont, pour la plupart, totalement ouvertes au public, car elles remontent à plus de 75 ans, annonce leur professeur­e. Cela peut être délicat, car Bernay et une petite ville où les familles ne bougent pas forcément. Notre démarche rentre dans le cadre de l’histoire en général et non de l’intime. » « Nous sommes dans la posture de l’historien, ne posant pas de jugement, mais essayant de trouver des explicatio­ns à des faits, en se basant sur des documents d’archives », complète la proviseure, Anne Descamps.

Leur professeur­e les prépare dès maintenant, certaines questions resteront sans doute sans réponse, « il faudra l’admettre ». Parmi les questions peuvent se trouver la dénonciati­on ou encore la non-réaction d’autres Bernayens. « Revenir à la “petite histoire” permet de se plonger dans le contexte et se demander ce que nous-même aurions fait dans cette situation», souligne Vanessa Morand.

Le point final de cette enquête, en dehors de la pose d’un pavé de mémoire, doit être un voyage dans l’ancien camp de concentrat­ion d’Auschwitz en Pologne. « Nous avons déposé un dossier de candidatur­e à la Région pour y aller en janvier», explique Vanessa Morand. « Cela va être un temps fort, les prévient la proviseure. Bien que vous ayez travaillé sur le sujet pendant plusieurs mois, cela sera une étape compliquée et il faudra s’y préparer. Personnell­ement, je ne suis pas sûre d’être en capacité d’absorber ce que vous verrez à Auschwitz. »

Plusieurs élèves, la proviseure et la professeur­e redoutent leur réaction et l’impact que cela peut avoir sur eux, mais « c’est un voyage exceptionn­el, car peu de gens peuvent y aller », met en avant Anne Descamps.

ANNE DESCAMPS, Proviseure du lycée Clément Ader

Un voyage à Auschwitz

Les deux professeur­es souhaitent continuer les recherches sur les autres familles juives de Bernay ces prochaines années, comme celle de Léon Barsky, qui possédait un magasin de chapeaux dans la rue Thiers dans les années 1940.

Coralie Maux-Renard

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