Conserver ou remplacer Edouard Philippe : la pire des solutions
PAR LAURELINE DUPONT Quel que soit le sort réservé par Emmanuel Macron à son Premier ministre, ses conséquences seront fâcheuses.
«0-50. » C’est ainsi qu’un très proche du président de la République nous résumait il y a quelques mois les probabilités d’un maintien ou d’un remplacement d’Edouard Philippe à Matignon, après la crise sanitaire, après le second tour des municipales.
« 50-50. » C’est ainsi qu’un très proche du président de la République (le même) nous résumait il y a quelques jours les probabilités d’un maintien ou d’un remplacement d’Edouard Philippe à Matignon, après la crise sanitaire, après le second tour des municipales.
Cette constance est révélatrice, ces chiffres sont éloquents. Quel que soit le destin choisi pour le Premier ministre, il renferme à parts égales inconvénients et avantages. L’équilibre paraît inédit. Toujours, dans la Ve République, la balance a penché. Il y a eu dans l’histoire politique française les chambardements contraints, ceux pour lesquels le président n’avait pas ou peu de questions à se poser. Quand Jacques Chirac troque Alain Juppé pour le socialiste Lionel Jospin, après la dissolution ratée de 1997, ou quand il se sépare de Jean-Pierre Raffarin après l’échec du « oui » au référendum pour le traité européen en 2005, les événements le catapultent sur le « nouveau chemin ». Le libre arbitre présidentiel est minime, le dilemme inexistant. Parfois, l’Histoire se montre plus conciliante, changer l’occupant du 57, rue de Varenne ne relève plus de l’obligation, mais d’une option pour donner au mandat élyséen un nouveau souffle – François Hollande acceptant la démission de Jean-Marc Ayrault en 2014, notamment.
Le contexte actuel est paradoxal : la crise du Covid-19, les élections municipales qui devraient sonner la lourde défaite au niveau local du parti macroniste pourraient être autant de justifications au limogeage d’Edouard Philippe. C’est l’exact inverse qui se produit. Le coronavirus a beau avoir engendré des discours – beaucoup – sur le monde d’après, des promesses de lendemains qui n’auront plus rien de commun avec la veille, des envies de révolution, il a aussi généré un furieux besoin de stabilité, d’apaisement, de sobriété. Et, pour bien des esprits aujourd’hui, il semble que ce soit Philippe qui incarne politiquement ce triptyque. A tel point que sa cote de popularité ne cesse de grimper, qu’il souffle un air de « doudoumania » (qu’à Matignon on a la coquetterie de ne pas entendre), tandis que les macronistes les plus infatigables donnent de leur temps et de leur personne pour expliquer que, dans la résidence xviiie siècle du chef du gouvernement, un Etat dans l’Etat a vu le jour, et qu’il est grand temps de le neutraliser. Mais le « neutraliser » aura des conséquences pour Emmanuel Macron. Bien sûr, quelle « réinvention », pour reprendre le terme macronien, plus audacieuse et moins relative à la personne du chef de l’Etat que le changement de Premier ministre ? Le détrôner, c’est la possibilité de faire un coup et de lui donner des atours mitterrandiens si Macron choisit de nommer une femme ; chevènementistes s’il dégote enfin le « Chevènement moderne » qu’il paraissait chercher pour porter son souverainisme bon teint ; et pourquoi pas giscardiens s’il dénichait, hors partis, un économiste capable de conduire le redressement économique du pays… Sans parler du fameux « tournant social » réclamé par certains et que seul un rejeton de la gauche pourrait symboliser.
Mais ce coup aura un coût. Certes, il y a peu de chance qu’Edouard Philippe demain devienne une femme, et, a priori, tout aussi peu de chance qu’il balance par-dessus bord son libéralisme. Néanmoins, il peut permettre au chef de l’Etat d’amorcer d’autres transformations, peut-être plus fondamentales encore que celles liées aux personnes. Philippe, le point fixe. Pour tenter de réconcilier et d’amadouer un peuple « réfractaire aux changements », selon les mots d’un certain président, est-ce une idée si saugrenue ? Puis, il y a l’évidence : conserver à son poste le Havrais qui se bat dans sa ville contre les communistes, c’est aussi pour le chef de l’Etat la meilleure façon de ménager son bloc électoral de droite, devenu de plus en plus dense au fil du quinquennat. Sans écoeurer la gauche qui, la crise aidant, s’est rabibochée avec le techno de Matignon jusqu’à en oublier qu’il avait conduit la réforme des retraites avec la même rigidité qu’ils plébiscitent désormais.
Malheureusement, les Français ont la mémoire courte et les amours, surtout en politique, éphémères. Si le vent tourne – et la vie politique ces dernières années a montré qu’il tournait de plus en plus vite –, Emmanuel Macron sera tenté de penser qu’en consolidant Edouard Philippe, il s’est fragilisé.
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