Les « ultras » réinvestissent la rue
6 107 AGNÈS LAURENT
si une partie de ces faits a été l’objet, selon le ministère de la Justice, d’une « requalification » en raison de la difficulté d’établir le motif raciste du délit. Enfin, le taux de condamnation a fortement diminué entre 2017 et 2018, puisqu’on est passé de 461 peines à seulement 393.
Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer ces faibles ratios. D’abord, il y a la complexité à apporter la preuve des actes puisqu’il s’agit souvent de propos sans témoin. Ensuite, en cas de multiples infractions, le caractère « raciste » des faits peut paraître secondaire au regard des autres forfaits reprochés, notamment lorsqu’il s’agit de violences ou d’homicide. Avocats et magistrats renoncent alors à mettre en avant le racisme comme circonstance aggravante. Par méconnaissance ou par impossibilité d’étayer l’accusation. Au risque de laisser s’installer l’idée d’un système judiciaire indifférent à la lutte contre les discriminations, voire complice, pour les adeptes du concept de « racisme d’Etat ».
De gauche comme de droite, les groupuscules extrémistes violents font à nouveau parler d’eux. Les services de renseignement redoublent de vigilance. ne voiture retournée sur la chaussée, un bus caillassé, une pluie de projectiles et du matériel urbain dégradé. A Paris, la manifestation des soignants du 16 juin a dégénéré en heurts violents. Avec comme un air de déjà-vu. « On se serait cru en décembre 2018 lors du chaos des manifestations de gilets jaunes. On était face à des fous furieux », lâche un gradé de la préfecture de police. A l’origine des débordements, la même minorité : des gilets jaunes ultras – entre 250 et 300 – et des dizaines de membres de l’ultragauche. « La cause de la manif’ est bonne. C’est le bouclier parfait pour les casseurs qui veulent passer à l’acte », pointe David Le Bars, à la tête du Syndicat des commissaires de la police nationale.
UWPendant les longues semaines de confinement, la révolte radicale n’a pas pu s’exprimer dans la rue. « L’impossibilité d’agir a entraîné une grande frustration chez ces individus. A défaut, les échanges, prises de parole et outrances verbales ont explosé sur les réseaux sociaux », analyse un cadre des services de renseignement qui redoute déjà un regain de mobilisation à l’automne. Dans une note confidentielle du 6 mai, le renseignement territorial estimait que « les mouvances contestataires radicales espèrent plus que jamais pouvoir tirer profit de la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19, comme elles l’avaient fait de la crise des gilets jaunes ».
La menace est prise très au sérieux. D’autant que le risque d’actions individuelles clandestines n’a pas disparu. Une centaine d’antennes-relais de téléphonie mobile ont été détruites au printemps. Dans de nombreux cas, la piste de l’ultragauche est privilégiée par les enquêteurs. A l’autre extrémité du spectre, un agent de sécurité au discours antisémite, Aurélien C., 36 ans, a été interpellé à Limoges fin mai. Il s’était procuré une arme et avait mené des recherches sur des synagogues.
Le 4 juin, ultras des deux bords se sont même livrés à un affrontement direct. Le groupuscule d’extrême droite des Zouaves de Paris s’est attaqué à un bar du XXe arrondissement connu pour être un fief d’antifascistes. Bilan : un blessé. Et la crainte d’un match retour. « Il y a un an, le niveau de tension était monté très haut avant de s’apaiser, se souvient une source sécuritaire. Le risque, actuellement, c’est que les choses repartent de plus belle. »
W
de Scarlett O’Hara ! Autant en emporte le vent est un long-métrage qui dit la volonté et la résilience, en décrivant l’impossibilité pour certains, prisonniers d’un monde enseveli, de se détacher du passé. Etrange ironie que celle qui veut effacer le passé au travers d’un film qui reflète la névrose passéiste.
Faire le tri
Le déboulonnage des statues de personnages historiques ayant théorisé, applaudi ou profité de l’esclavage ou la colonisation suit la même logique : cachez ce passé que je ne saurais voir. Alors, comment raconter et analyser les mouvements de l’Histoire ? Si celle-ci est truffée de grandeurs, elle l’est à parts égales de violences, de guerres, de sinistres individus. Nous n’avons pas à juger l’Histoire. Nous n’avons pas à faire le tri entre ce qui nous arrange, ce qui nous grandit, ce qui nous console, ce qui nous humilie ou ce qui nous fait de la peine. L’Histoire n’est pas là pour vous rassurer ou vous aider à dépasser votre mal-être, l’Histoire n’est pas un manuel de savoir-vivre ou de coaching, l’Histoire n’est ni belle, ni moche, ni méchante, ni gentille. Elle est. La seule chose que peut faire l’Histoire pour nous, c’est de nous permettre de comprendre les mécanismes, les logiques, les idées qui la façonnent.
Aucun peuple n’a les mains propres
L’Histoire nous enseigne que nul peuple, nulle nation, nul pays n’a le privilège de la beauté ou de l’humanisme, comme aucun pays ni aucun peuple n’a les mains propres. L’Empire perse a offert au monde le mode d’emploi brutal de la colonisation, en inventant, entre autres, les satrapes, gouverneurs envoyés pour diriger les territoires soumis. Ce qui n’a pas empêché les invasions arabes du viiie siècle ni les conversions forcées ni le départ des zoroastriens récalcitrants pour l’Inde, où ils devinrent des Parsis qui fondèrent Bombay. Alors ? Chaque arabe sunnite que je croise devrait-il se mettre à genoux devant moi pour s’excuser d’avoir changé la religion de mes ancêtres et disloqué l’empire ? Le monde arabo-musulman a pratiqué plus longtemps et à plus grande échelle l’esclavage : la traite transatlantique a concerné entre 9,6 et 11 millions d’individus quand la traite arabo-musulmane a conduit à la déportation de plus de 17 millions d’Africains. Mais les descendants d’esclaves transatlantiques s’élèvent à 70 millions, contre 1 million pour ceux de la traite arabo-musulmane, conséquence de la castration systématique. Alors ? Faut-il « applaudir » l’Occident et condamner « seulement » le monde arabo-musulman ? Les nettoyages ethniques ont débuté à la fin du xixe siècle dans les Balkans, soumis à l’Empire ottoman. Cet empire-là valait-il mieux que les empires occidentaux ? L’esclavage et la colonisation sont des évènements historiques abjects, mais ils ne sont pas l’apanage des « Blancs ». Si nous voulons sortir de cette hystérisation raciale qui vise à raser le passé, réécrire l’Histoire, glorifier les uns et condamner les autres sous prétexte de couleurs ou d’ethnies, nous devons résister à la simplification mensongère, accepter d’être les descendants du pire comme du meilleur – de l’humanité, en résumé –, et admettre que notre présent dépend de nos choix politiques, non de ceux de nos aïeux, qu’ils aient été satrape à Bagdad, gouverneur à Dakar ou vizir à Belgrade.
W