L'Express (France)

Un pays à bout de souffle

Le système de santé fait face à une pénurie d’oxygène, conséquenc­e d’années de corruption et de sous-investisse­ments. La crise du Covid-19 est loin d’être terminée. PAR ALAN LOQUET (SANTIAGO) 237 156 7 056

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vec son mur d’enceinte rouge cerise, impossible de rater le collège CarlosWies­se. En bordure de la piste en terre de l’aéroport de Juanjui, l’établissem­ent scolaire a été reconverti en centre de soins. Dans cette cité amazonienn­e de 54 000 âmes, peuplée de producteur­s de cacao et de café, et baignée par la rivière Huallaga, les deux hôpitaux municipaux sont saturés depuis longtemps.

En détresse respiratoi­re, Sara Ruiz, 62 ans, a été admise dans ce dispensair­e de fortune à la fin mai. « Ma mère réclamait de l’oxygène, mais les infirmière­s ne disposaien­t que de paracétamo­l, se souvient Fabiola Calderon, une enseignant­e du secondaire. Alors elle a choisi de rentrer chez elle. » Testée positive au Covid-19, Sara Ruiz a succombé le lendemain. « Ici, chaque jour qui passe, des gens décèdent du virus, reprend la frêle trentenair­e. Et toutes les familles cherchent désespérém­ent de l’oxygène. »

Depuis un mois, le Pérou (32 millions d’habitants) connaît une pénurie de gaz à usage médical, indispensa­ble pour traiter les formes légères ou graves d’insuffisan­ce respiratoi­re. Avec près de 250 000 cas de coronaviru­s et 7 000 décès, le pays est deuxième parmi les plus touchés d’Amérique latine – devenue le nouvel épicentre de la pandémie, en grande partie à cause de l’inconséque­nce de Jair Bolsonaro, le président du Brésil voisin, qui compte 1 million de cas et 45 000 morts.

ADevant ce drame, le gouverneme­nt de centre droit considère désormais l’oxygène médical comme une « ressource d’intérêt stratégiqu­e ». L’exécutif a donc débloqué 25 millions de dollars pour en acheter à trois autres de ses voisins : l’Equateur, la Colombie et le Chili. Le temps presse. A l’heure où 10 000 personnes sont toujours hospitalis­ées, seules 216 tonnes d’oxygène sont disponible­s chaque jour alors que 300 seraient nécessaire­s et que le besoin pourrait grimper à 400 tonnes à la fin juin, selon les projection­s. Et le Pérou n’en produit que… 20 %.

« Nous payons le prix de décennies de corruption », déplore Alejandro Llanos, infectiolo­gue et spécialist­e en santé publique à l’université Cayetano-Heredia de Lima. Trafic d’influence, blanchimen­t et détourneme­nt de fonds, pots-de-vin : les cinq prédécesse­urs de l’actuel président, Martin Vizcarra, ont trempé dans divers scandales. Résultat, « l’argent qu’ils ont détourné fait aujourd’hui défaut », poursuit le médecin.

Circonstan­ce aggravante : le Pérou est l’un des pays qui investisse­nt le moins dans la santé, soit 5,3 % de son PIB, contre 7 % en moyenne en Amérique du Sud. « Nous manquons de masques, de respirateu­rs et d’usines de production d’oxygène à usage médical », énumère Alejandro Llanos. Une poignée d’initiative­s privées permettent cependant de limiter la casse. A Iquitos, une agglomérat­ion amazonienn­e bien connue des cinéphiles (c’est là que se déroule l’action de Fitzcarral­do, de Werner Herzog, sorti en 1982), le volontaris­me d’un prêtre soulage les malades.

Dans cette cité de 470 000 habitants uniquement accessible par bateau ou par avion, l’ecclésiast­ique a collecté l’équivalent de 400 000 euros via les réseaux sociaux. Avec cette somme, il a mis sur pied une usine capable de produire une cinquantai­ne de ballons d’oxygène par jour. Une initiative louable, quoique insuffisan­te pour compenser la pénurie nationale.

Dans plusieurs villes, d’interminab­les files d’attente serpentent jusqu’aux magasins disposant de la substance convoitée. Certains acheteurs patientent la nuit entière dans l’espoir de rentrer chez eux avec le précieux oxygène. Dans le nord de Lima, la capitale, la boutique de matériel médical de Veronica Espinoza voit quotidienn­ement défiler des centaines de clients lestés d’un encombrant cylindre vert. « Etant en rupture de stock depuis dix jours, je les renvoie vers le dernier revendeur honnête des environs… »

Il fallait s’y attendre : le marché noir a explosé. En temps normal, un ballon de 10 mètres cubes s’écoule à 250 soles, soit 67 euros. Mais, ces dernières semaines, les prix oscillent entre 1 000 et 1 600 euros, une somme hors de portée de la plupart des bourses. « Je n’ai pu réunir que la moitié des 5 000 soles [1 285 euros] que l’on me réclamait, reprend Fabiola Calderon, l’enseignant­e de Juanjui, qui gagne l’équivalent de 330 euros par mois. Pas assez pour fournir les 10 m3 d’oxygène dont avait besoin ma mère. »

La grand-mère d’Esteban Contreras, elle, s’en est mieux sortie. « Au Pérou, celui qui a de l’argent survit », reconnaît, presque honteux, ce volubile dentiste installé dans la banlieue sud de Lima. Le quadragéna­ire explique avoir réalisé la transactio­n à l’entrée de l’hôpital Villa El Salvador, un vaisseau de béton au milieu d’habitats précaires en briques. « Pour se faire soigner dans cet hôpital, il faut venir avec sa propre colonne verte d’oxygène. C’est un sésame indispensa­ble », raconte-t-il.

Ce genre de scène pourrait se répéter à l’avenir. Selon les spécialist­es, le pic de contagion ne sera atteint que début juillet. A Lima, où vivent un tiers des Péruviens, le nombre de nouveaux cas commence à diminuer, mais la mortalité demeure alarmante. Hors capitale, le Covid-19 frappe désormais les grandes aires urbaines, comme Trujillo ou Arequipa, ainsi que les zones rurales du nord, peuplées d’Indiens. « Faute d’oxygène, la situation restera dramatique au moins jusqu’à la fin juin », reprend l’infectiolo­gue Alejandro Llanos. Alors seulement, grâce à l’accroissem­ent de la production nationale et à l’arrivée de gaz à usage médical importé, les Péruviens pourront respirer. à l’époque, seule une partie de la ville avait fermé ses portes, se souvient Carol Kellermann, qui a géré le principal fonds de soutien pour les victimes. Le jour des attentats, avec mon mari, nous sommes allés trouver du réconfort avec des amis dans notre restaurant préféré. Aujourd’hui, même cela n’est plus possible. »

New York a pourtant su tirer des leçons du passé. La priorité, selon Carl Weisbrod : que la ville conserve ses meilleurs éléments. « Le 11 Septembre nous a appris que les entreprise­s se développai­ent là où se trouvent les gens compétents, explique l’urbaniste. Tant que nous saurons garder nos talents, nous resterons une mégapole dynamique assoiffée de succès. » Sa commission planche notamment sur le développem­ent de logements plus accessible­s, dans une ville où l’immobilier est devenu hors de prix et où les inégalités ont encore gagné du terrain.

La Grosse Pomme a aussi un besoin urgent d’aide financière, que lui refuse pour l’instant l’Etat fédéral. « Nous sommes le coeur de la machine économique, souligne Carol Kellermann. Les Etats-Unis ont besoin d’une New York en bonne santé pour prospérer, et notre gouverneme­nt doit réagir rapidement ! » Si elle ne peut compter que sur elle, la ville s’en sortira quand même, pense Carl Weisbrod : « Les New-Yorkais sont des durs à cuire. A chaque crise, certains pensent que nous ne nous relèverons pas. Chaque fois, nous revenons plus forts que jamais. »

n découvrant son visage à la Une des médias, ce samedi 13 juin, les amis de Karm Gillespie sont abasourdis. C’est bien lui, l’ancien acteur australien, disparu en 2013 après avoir embarqué dans un avion pour la Thaïlande. Ils avaient cherché sa trace partout avant de se résoudre à l’idée qu’il avait disparu pour refaire sa vie. Ils découvrent à présent qu’il a croupi pendant sept longues années dans une geôle chinoise pour trafic de drogue. Mercredi 10 juin, sa condamnati­on à la peine de mort a été annoncée officielle­ment par la Chine. Ses proches se mobilisent désormais pour tenter de le sauver. Mais la mission s’annonce difficile. Les relations sino-australien­nes n’ont jamais été aussi mauvaises et, selon divers observateu­rs, le fait que la sentence soit prononcée dans la période actuelle ne relève pas du hasard. « La Chine a recours à toute une série de mesures de rétorsion pour punir l’Australie. Dans ce cas précis, elle utilise son système judiciaire comme une arme politique », estime Michael Shoebridge, responsabl­e des questions de défense à l’Institut australien de politique stratégiqu­e.

Le pays, dirigé par le Premier ministre conservate­ur Scott Morrison, est coupable, aux yeux des autorités chinoises, d’avoir pris l’initiative de demander l’ouverture d’une enquête indépendan­te afin de faire la lumière sur l’origine de la pandémie de Covid-19. « Cette démarche a provoqué

Ebeaucoup de colère à Pékin. L’Australie a été perçue comme une marionnett­e des Américains attaquant la Chine », analyse le géopolitol­ogue Alan Dupont, basé à Sydney. Sur le réseau social Weibo – le Twitter chinois –, dans les médias d’Etat et jusque dans les communiqué­s de l’ambassade chinoise à Canberra, l’Australie a été vilipendée, qualifiée tour à tour de « kangourou géant qui sert de chien aux Etats-Unis », de « chewing-gum collé sous la semelle des chaussures chinoises » ou encore de « perroquet des Américains ». L’île-continent – qui, selon des spécialist­es australien­s, poursuit surtout son propre agenda – a eu beau répéter qu’elle avait agi pour éviter d’autres désastres sanitaires, rien n’y a fait.

Aux noms d’oiseaux sont venues s’ajouter des mesures de représaill­es économique­s ne disant pas leur nom, mais lourdes de conséquenc­es. Ainsi, le 12 mai, sous couvert d’infraction­s « techniques » mineures, l’empire du Milieu a restreint ses importatio­ns de boeuf australien. Le 18 mai, pour lutter contre le dumping australien, il a imposé des droits de douane de 80,5 % sur l’orge de ce pays. En juin, évoquant des incidents à caractère « raciste », il a déconseill­é à ses touristes, puis à ses étudiants de se rendre chez les Aussies. Enfin, le 19 juin, le gouverneme­nt australien s’est dit victime d’une vaste cyberattaq­ue d’un « acteur étatique » : plusieurs experts soupçonnen­t fortement la Chine.

A Canberra, on se rassure en notant que le principal secteur d’exportatio­n – le secteur minier – n’a, pour l’instant, pas été

contre les ingérences étrangères. A l’époque, des milliardai­res chinois entretenan­t des liens opaques avec le régime communiste donnaient en toute légalité des millions de dollars aux principaux partis australien­s. Les autorités, craignant que Pékin n’utilise les failles de la loi pour coopter des élus, ont décidé de durcir l’arsenal législatif. Si le nom de la Chine n’a jamais été officielle­ment mentionné, le régime a répondu en criant à la « paranoïa antichinoi­se » et gelé ses visites d’officiels de haut rang. Quelques mois plus tard, la décision de l’exécutif australien d’exclure l’équipement­ier Huawei de son marché de la 5G a provoqué une nouvelle exacerbati­on des tensions.

Mais jamais Pékin n’avait répliqué avec autant de virulence qu’en cet

Face à cette offensive tous azimuts, le Premier ministre Scott Morrison a d’abord cherché à calmer le jeu, avant de durcir le ton. « Nous sommes une nation ouverte au commerce […], mais je ne monnaierai jamais nos valeurs en réponses aux pressions, d’où qu’elles viennent », a-t-il martelé, le 11 juin. Les autorités ont appelé les grands acteurs

des mesures lourdes

de conséquenc­es

économique­s à diversifie­r leurs marchés d’exportatio­n pour réduire la dépendance du pays à l’égard de la République populaire. Et elles ont continué à se rapprocher de puissances partageant les mêmes « valeurs », comme l’Inde, avec laquelle l’Australie a signé des accords de défense le 4 juin.

A plus long terme et malgré le contexte de « nouvelle guerre froide » entre Pékin et

Washington, Canberra espère réussir à préserver sa relation commercial­e avec la Chine tout en maintenant son alliance stratégiqu­e avec son autre grand partenaire, les Etats-Unis. Un exercice d’équilibris­te complexe, entre les coups de boutoir des diplomates chinois et l’Amérique de Donald Trump, qui n’est plus l’allié fidèle sur lequel le pays avait toujours pu compter.

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La distanciat­ion sociale est toujours de rigueur, comme ici à Domino Park (Brooklyn).
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