L’annexion de tous les dangers
Soutenu par les Etats-Unis, Benyamin Netanyahou entend prendre possession d’un tiers de la Cisjordanie dès le 1er juillet. Un pari dangereux. PAR STÉPHANE AMAR (JÉRUSALEM)
d’autres secteurs de Cisjordanie, la vallée du Jourdain est, depuis longtemps, largement épargnée par la violence. Mieux : malgré les tensions politiques, les rapports entre Palestiniens et colons israéliens demeurent cordiaux.
Loin du messianisme exalté des colons religieux, la plupart des Israéliens du Jourdain se réclament en effet de la gauche travailliste. Et justifient leur présence au nom des valeurs du sionisme originel : l’agriculture et la sécurité. « Lorsque j’étais jeune, nous nous considérions comme des paysans-soldats, se souvient le solide sexagénaire David Elhayani, président du Conseil des colonies juives de la vallée. Nous labourions nos champs durant la journée et montions la garde la nuit. Sans notre présence ici, les terroristes du Hezbollah ou de Daech menaceraient Tel-Aviv et Haïfa. »
Zone tampon entre la Jordanie et la Cisjordanie, la vallée est, en effet, jugée essentielle à sa sécurité par l’Etat juif. Avant sa conquête par Tsahal, en juin 1967, cette bande frontalière était régulièrement infiltrée par des escouades palestiniennes basées en Jordanie : les fameux fedayins (martyrs). Le souvenir de leurs incursions sanglantes en Israël reste vif chez les
anciens. Raison pour laquelle, sans doute, Benny Gantz, l’allié centriste de Benyamin Netanyahou, consent à soutenir le plan d’annexion du Premier ministre. Sauf coup de théâtre, la Knesset devrait donc enclencher le processus législatif au début de juillet. Après quoi, la loi civile se substituera à la loi militaire, en vigueur depuis 1967. Et la vallée, où vivent environ 7 000 juifs, fera partie d’Israël. Cette officialisation devrait permettre d’attirer de nouveaux Israéliens et des investisseurs, jusqu’ici rebutés par le statut de territoire occupé et par la loi militaire, en vigueur sur les rives du fleuve. « Nous serons enfin des Israéliens comme les autres », soupire d’aise un agriculteur de la région.
Mais la vie n’est jamais un long fleuve tranquille. Le roi Abdallah II de Jordanie, allié traditionnel d’Israël, menace déjà de remettre en cause l’accord historique de paix signé en 1994 : « Une annexion conduirait à un conflit majeur », prévient-il. Le ministre des Affaires étrangères saoudien, le prince Faisal bin Farhan, lui, estime que l’initiative américano-israélienne constitue « une dangereuse escalade ». Quant au prince d’Abou Dhabi (Emirats arabes unis), Mohammed ben Zayed, il a fait savoir par son ambassadeur à Washington que « l’annexion remettrait en cause, immédiatement et définitivement, toutes les améliorations des relations d’Israël avec le monde arabe et les Emirats arabes unis ». Enfin, l’Union européenne envisage des sanctions économiques, tandis que l’ONU multiplie les mises en garde.
Première concernée, l’Autorité palestinienne reste pour l’instant discrète. « Le moment venu, nous prendrons les décisions adéquates pour lutter contre ce vol de notre patrie, assure Hazim Yacine, un notable de la région de Naplouse. Cela pourra être une résistance pacifique, une guerre des pierres ou le recours aux armes… » Ces derniers jours, des affrontements sporadiques ont éclaté à travers la Cisjordanie. Certains Palestiniens se prennent même à rêver d’une troisième Intifada. « La veille du déclenchement de la première Intifada en 1987, tout était calme, prévient Raëd Rihayi, un militant des brigades des martyrs Al-Aqsa du camp de réfugiés de Balata, près de Naplouse. Puis tout s’est embrasé d’un seul coup. Notre peuple est comme ça. Il courbe l’échine et se révolte subitement contre l’humiliation. »
WProvoqué par le meurtre de l’AfroAméricain George Floyd, le 25 mai, étouffé sous le genou d’un policier blanc, le débat sur la présence de symboles liés à l’histoire coloniale et la traite négrière touche aussi l’Afrique.
Au Sénégal, c’est la statue du général Faidherbe trônant sur une place de SaintLouis qui suscite la polémique. Comme dans sa ville natale, à Lille (Nord), où se trouve une autre effigie en bronze de l’ex-administrateur colonial du Sénégal. Dans l’ancienne capitale de l’Afrique coloniale française, des habitants réclament son déboulonnage. « L’existence de cette statue est une aberration », considère l’historien sénégalais Ibrahima Seck, qui relève qu’au pied du monument est toujours écrit : « A son gouverneur L. Faidherbe, le Sénégal reconnaissant ». « Pourtant, il a
a période actuelle donne parfois le sentiment d’être revenus aux années 1950. On oublie souvent à quel point la Chine était, jusqu’au voyage de Nixon à Pékin en 1972, presque autant au coeur des préoccupations américaines que l’Union soviétique. Il est vrai que, si la révolution maoïste fascinait une bonne part de la jeunesse européenne, le « péril jaune » s’est longtemps situé assez haut dans l’échelle des fantasmes politiques occidentaux.
Les Etats-Unis ne se sont confrontés militairement à la Chine qu’une seule fois. Mais le choc fut brutal et sanglant. Il y a soixante-dix ans – le 25 juin 1950 –, Pyongyang envahissait la Corée du Sud pour tenter de réunifier la péninsule. L’intervention américaine a commencé un mois plus tard, sous le couvert d’un « commandement des Nations unies », dont elle représentait 90 % des forces. En octobre, la coalition pénétrait en Corée du Nord. Pékin, qui venait de renoncer à envahir Taïwan, n’attendait que cela pour défendre son allié, avec la bénédiction de Moscou et un soutien militaire – limité – de sa part. La guerre s’est achevée en 1953 par un retour au statu quo ante, l’armistice aboutissant à pérenniser la division de la péninsule grosso modo le long du 38e parallèle. Sur le plan militaire, l’Amérique s’est battue avec les moyens et les tactiques de la Seconde Guerre mondiale, alors que le comportement des forces chinoises augurait celle du Vietnam du Nord. D’où la déroute initiale de l’armée de terre américaine – et des pertes que l’on dit souvent les plus graves depuis la guerre de Sécession – avant que les marines débarquent à Inchon pour renverser le cours du conflit.
Le bilan économique et humain de cette guerre est effroyable, avec 3 millions de morts au total – majoritairement des civils –, la plupart des villes de la péninsule détruites, et une Corée du Nord exsangue. Les Etats-Unis ont perdu 35 000 hommes, la Chine, près de 200 000.
Coincée entre la fin du second conflit mondial et la tragédie indochinoise, cette guerre est parfois oubliée en Occident. La mémoire peut jouer des tours : on pense souvent que la célèbre série M.A.S.H., l’un des plus grands succès hollywoodiens des années
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