Pourquoi les populistes, de gauche comme de droite, parviennent-ils à se présenter comme les seuls représentants légitimes du peuple, alors que ce « peuple » n’a jamais été aussi hétérogène ?

Il se produit le même phénomène qu’avec la classe ouvrière. La représentation qu’on avait d’elle était en partie fantasmée. On avait superposé une image politique à des réalités sociologiques plus complexes. Dès le xixe siècle, pourtant, on savait fort bien qu’il y avait des différences abyssales entre l’ouvrière d’une manufacture accablée par sa tâche et l’ouvrier travaillant dans une petite entreprise. Comme on ne peut plus parler aujourd’hui de « classes » au sens strict du terme, on a utilisé ce mot globalisant de « peuple », qu’on ne parvient à désigner que par ce à quoi il s’oppose. Le peuple, c’est donc ce qui n’est pas l’élite, les 1 % les plus riches. Il y a là un recul spectaculaire de l’analyse sociologique.

Nous n’avons pas encore compris à quel point l’épisode des gilets jaunes avait été décisif. Il a montré de façon éclatante que la société ne pouvait plus être abordée sous le seul angle de la condition sociale. Les manifestants n’étaient pas des damnés de la terre, mais des patrons de PME, des chauffeurs routiers, des femmes seules avec enfants… De la même manière, le Covid-19 a mis sur le devant de la scène des professions peu prises en compte, mais dont l’utilité sociale est apparue en pleine lumière. Il faut désormais considérer les individus à partir de leur situation et de la position qu’ils imaginent occuper dans la société – ils peuvent se sentir « invisibles » ou, au contraire, considérés à leur juste place. Le mot « peuple » met une étiquette confuse sur une réalité diffuse. Alors que gouverner est devenu extrêmement difficile, du fait de la démultiplication des opinions, retrouver la capacité d’agir, pour un dirigeant, implique de bien comprendre ce qu’est la société.

« Nous n’avons pas encore compris à quel point l’épisode des gilets jaunes avait été décisif. Il a montré de façon éclatante que la société ne pouvait plus être abordée sous le seul angle de la condition sociale. Les manifestants étaient des patrons de PME, des chauffeurs routiers, des femmes seules avec enfants... »