Le Covid-19 contrarie les vacances au pays
Cet été, ils ne rentreront pas en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. L’épidémie les a obligés à revoir leurs habitudes et leur rapport au « bled ». PAR THIBAUT SOLANO
d’un isolement de quatorze jours : ça ne vaut pas le coup d’y aller. »
La raison plie, mais le coeur ne se rend pas. Car le programme de Faouzi s’annonçait chargé : « Je suis de Nefta, dans l’ouest, une région d’oasis et de poètes. J’ai acquis une propriété sur place, j’ai une palmeraie à cultiver et, surtout, il y a ma mère, qui est âgée. Je devais aussi être témoin au mariage de ma nièce. » A ces obligations s’ajoute une exigence plus spirituelle : « J’ai besoin de m’y ressourcer. Cette région, c’est mon héritage, mes ancêtres. Les gens sont voisins depuis des siècles, ils connaissent toute l’histoire des uns et des autres, ils sont capables de vous dire qui a épousé qui et le prénom de chaque enfant. Quand on n’est plus là, on nous oublie et on s’oublie. »
Une tradition scelle ces retrouvailles : les cadeaux. « On se doit d’en offrir à chaque membre de la famille, ce qui représente pour moi une vingtaine de personnes. Avant, on faisait des présents à presque tout le quartier. Depuis l’installation de grandes chaînes comme Leclerc et Auchan, les Tunisiens trouvent plus de choses sur place, et la coutume se desserre. » Faouzi pourrait se consoler en pensant à son compte en banque, mais non : « On ne raisonne pas comme ça. Entretenir cette relation n’a pas de prix. »
L’hésitation marquée par Faouzi ne taraude pas Momo, employé dans une pizzeria du nord parisien depuis qu’il a cédé son entreprise. Ce sexagénaire a réservé cinq billets d’avion pour Tunis et partira coûte que coûte avec femme et enfants, dont l’aîné de 30 ans. « Ce n’est pas discutable, tranche-t-il. Depuis que j’ai obtenu mes papiers d’identité français, en 1982, j’y vais tous les ans. Tant que mes parents sont en vie, je dois le faire. Quand je rentre à la fin du mois d’août, je prépare déjà l’été suivant et je trime toute l’année pour m’offrir les billets. » Très conservateur, Momo déplore d’ailleurs que « la tradition se perde chez les jeunes, notamment à cause des mariages mixtes ».
Ces congés ne sont pas négociables non plus pour Mohammed Qorchi, président de l’association du centre culturel marocain du Puy-de-Dôme : « Même si
le prix du billet augmente, des gens partiront forcément au pays, au moins trois semaines. La France est notre deuxième coeur, mais celui qui est marocain le restera toujours, qu’il soit né ici ou là-bas. »
Pourtant, le spectre de l’épidémie prend parfois le dessus sur les sentiments. A Auxerre, dans l’Yonne, Farid, restaurateur, a fait son deuil : il n’ira pas en Algérie cette saison. « En cas de deuxième vague, on risquerait d’être bloqués sur place et de rater la rentrée scolaire. » Cette crainte se retrouve d’un témoignage à l’autre : et si les frontières fermaient à nouveau ? Et si une contamination se déclarait à bord d’un des bateaux qui font la navette entre les deux rives de la Méditerranée ?
Farid a d’autant mieux accepté la fatalité que, à 48 ans, ce natif de Béjaïa, en Kabylie, arrivé en France à l’âge de 9 ans, a déjà séché quelques rendez-vous. « Dans les années 1990, je n’y suis allé que trois fois, à cause du terrorisme. En 1995, il y avait 80 morts par jour. A 19 heures, on ne pouvait plus sortir et la nuit, on
La plupart des hommes de
être enterrés là-bas, davantage que les femmes, qui n’ont pas profité de la même liberté qu’eux. Pour mes parents, le rapport était encore différent. Ma mère répétait souvent : “Je vais là-bas pour sentir l’odeur de mon pays.” Cela la ramenait à son enfance. Ils gardaient le lien parce qu’ils pensaient y finir leur vie. D’une certaine façon, c’est ce qui est arrivé à mon père : il est mort en Tunisie, lors de son dernier voyage. »
Question de génération, mais aussi de géographie, selon Mohamed Ben Khaled, qui préside la section Aquitaine de l’association des Tunisiens en France : « Cette tradition du retour au bled est plus marquée pour les familles conservatrices du sud de la Tunisie. Pour ceux qui viennent du nord ou des plus grandes villes, le retour ne veut plus dire grand-chose. Ils sont plus modernes et plus à l’aise avec des moyens de communication comme Messenger ou WhatsApp qui permettent de garder le contact avec les proches sur place, surtout en cette période. »
Du Val-d’Oise jusqu’aux quartiers nord de Marseille, Abdellah Boudour détecte un autre frein au départ : l’argent. « Les conséquences du Covid-19 pèsent lourd sur les comptes en banque, souligne cet animateur social qui sillonne l’Hexagone pour promouvoir des opérations de soutien scolaire. Des femmes de ménage n’ont pas pu faire leurs heures puisque les entreprises avaient mis en place le télétravail. Des chauffeurs de VTC n’avaient plus de clients. Des livreurs de Deliveroo ou des conducteurs de poids lourds, plus de commandes… » Pour ne rien arranger, le prix des billets d’avion s’est envolé : un aller-retour en Tunisie frise aujourd’hui les 750 euros, contre moins de 500 en temps normal.
Conscientes que leur population partirait moins en vacances que les étés précédents, certaines municipalités se retrouvent face à un casse-tête : comment muscler leurs programmes d’animations tout en respectant les contraintes sanitaires ? Comment trouver des financements supplémentaires, recruter davantage de saisonniers et proposer plus d’activités, en accueillant moins de public à la piscine ou dans les espaces de jeux ?
Ces changements pourraient être les prémices d’une nouvelle ère, selon Abdelhafid Hammouche, sociologue et professeur à l’université Lille-I. « Après la décolonisation, explique-t-il, le rapport entre les immigrés et leur pays d’origine a connu plusieurs phases. Depuis les années 1980-1990, l’idée de s’installer durablement en France a gagné du terrain au détriment d’un retour définitif au bled. Mais si l’augmentation du prix des billets, des assurances santé, et la crainte d’être bloqué sur place perdurent, ces voyages seront encore moins fréquents. Les plus pénalisés seront ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques. » Ou ceux qui voudraient encore « sentir la terre », sans en avoir les moyens.
W« Si je ne pars pas, ce sera douloureux. J’ai une palmeraie à cultiver et, surtout, il y a ma mère »
Nombre d'aspirants bacheliers en 2020
d’annuler les épreuves du baccalauréat et de recourir au contrôle continu. Seules les notes des premier et deuxième trimestres sont donc officiellement prises en compte pour cette session 2020, même si l’« assiduité » et la « motivation » des élèves, pendant et après le confinement, sont également regardées de près.
Voilà pour les principes. Comment s’appliqueront-ils aux cas particuliers, telle cette bonne élève, tombée malade en début d’année et hospitalisée plusieurs semaines au deuxième trimestre ? Si la jeune fille a tout fait pour rattraper son retard pendant le confinement, elle n’est pas sûre de voir ses efforts récompensés. Même interrogation pour ce candidat dont la mère est décédée d’un cancer cet hiver et qui a aligné des résultats en dents de scie. Les règles « classiques » du jeu du bac auraient pu lui permettre de se rattraper par la suite… Pas cette année.
Sans oublier les jeunes atteints de handicap, ou souffrant de troubles comme la dyslexie ou la dyspraxie, qui bénéficient d’un aménagement particulier au moment des épreuves du bac. Ils pourront éventuellement invoquer le fait de n’avoir pas pu profiter d’un accompagnement spécifique cette tâche. « Si ces cas étaient avérés, on pourrait mettre en avant une rupture d’égalité », estime Valérie Piau.
Le flou entoure aussi les conditions d’accès à la session de rattrapage du mois de septembre. Les candidats dont la moyenne est inférieure à 8 sur 20 pourront être invités par le jury, « à titre exceptionnel », à se présenter aux épreuves de remplacement organisées au début de la prochaine année scolaire. Sous quelles conditions exactement ? Les textes ne le précisent pas…
Tous les recalés désireux de contester leurs résultats pourront formuler un recours gracieux auprès du service interacadémique des examens et concours (pour Créteil, Paris et Versailles) ou auprès de leur rectorat. Tout en saisissant, en parallèle, le médiateur de l’Education nationale. En cas d’échec, il leur faudra alors se tourner vers le tribunal administratif. « L’important est d’être le plus factuel possible, et de présenter le maximum de preuves et d’éléments », conseille Valérie Piau.
Le sociologue Pierre Merle ne croit pourtant pas à une explosion du nombre de contentieux. Selon ce spécialiste des questions scolaires, les jurys du baccalauréat se montreront sûrement indulgents cette année. « Ne serait-ce que pour éviter ces risques de recours, souligne-t-il. Conscient du fait que certaines méthodes appliquées sur le terrain sont contestables, le ministère a tout intérêt à faire en sorte que le plus de candidats possible décrochent leur diplôme. » Un discours rassurant pour ceux qui passent les oraux de rattrapage ou qui tenteront leur ultime chance à la session de septembre.
WDes établissements prestigieux auraient succombé à la tentation de « réajuster » les notes
mortifères, qui confondent les enfants juifs de la Seconde Guerre mondiale avec les enfants musulmans d’aujourd’hui, se retrouvent chez les Verts. J’aurais pu vous dire que réfléchir à l’environnement sans même débattre du nucléaire, c’est se tirer une balle dans le pied, et laisser la fenêtre ouverte aux émanations toxiques des énergies fossiles.
L’humanisme n’est pas un gros mot
J’aurais pu vous donner envie de redécouvrir Paris vidée de ses touristes, et proposer une balade dans un Louvre qui vaut tous les voyages, car tous les mondes, tous les temps s’y retrouvent. J’aurais pu vous décrire mon Louvre, celui jalonné de corps qui racontent la révolution de la nudité féminine, toujours en débat, toujours sacrée, alors qu’il suffit de constater l’interdit lié à ces nus pour y voir la gloire subversive du corps de la femme. J’aurais pu prendre des accents lyriques et décrire Paris post-confinement, un peu triste, un peu agressive, mais qui a survécu à tant de pandémies, de guerres, de tragédies et de victoires qu’elle se relèvera toujours, car Paris a une mémoire peuplée de bohème, de liberté, d’arrogance, de certitude, de rires – et de quelques pas de danse. J’aurais pu encore vous proposer des livres d’hier pour peupler cet été, faire un éloge de la relecture, car les bons livres sont organiques et évoluent avec nous qui découvrons, presque malgré nous, que les émotions ne sont pas figées ; qu’Anna Karénine, tant aimé à 14 ans, est horripilant à 20 ans, et indispensable à 40 ; qu’il faut relire Romain Gary avant tout, que Les Racines du ciel (premier roman où apparaît le mot « écologie ») décrypte notre présent en nous armant pour l’avenir, que Chien blanc est le roman de la crise identitaire, que l’amour doit gagner avec Les Clowns lyriques, et que l’humanisme n’est pas un gros mot qui cache de méchants racistes.
Perdue dans ma ville de vie
J’aurais pu faire tout ça – et un peu plus. J’aurais aimé le faire. Mais c’était oublier que je suis née à Téhéran. C’était oublier que je suis exilée à Paris. Oublier que, depuis trente-cinq ans que je vis en France, je pense, j’écris, je rêve, j’aime, je baise en français. Oublier que j’ai perdu ma langue maternelle, oublier que je n’ai jamais remis les pieds en Iran, oublier que j’ai écrit trois livres dans ma langue d’adoption, qui est ma langue tout court. Oublier que, si je suis une métèque française, que je le proclame et que je le revendique, je ne suis finalement qu’une Iranienne pour tant d’autres yeux. C’est d’autant plus violent que ces autres yeux sont ceux de la gauche, de ceux qui sont censés défendre une autre idée de la nation, de la liberté de choix et de faire la nique aux frontières.
Il y a quelques jours, dans un cadre amical et intime, dans un cocon de littérature et de bon vin rouge, j’ai été renvoyée à ma naissance et à mon sang. Je me suis entendu dire : « Mais tu n’es pas française ! » Instantanément, je me suis imaginée perdue dans les rues de ma ville de naissance et je me suis découverte perdue dans ma ville de vie. J’ai ressenti une petite douleur, là, dans mon del. Le del, en persan, c’est le ventre et l’âme.
Le deuxième cerveau et l’esprit. J’aurais pu trouver un mot en français. Mais parfois, la traduction est impossible.
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