L'Express (France)

Dossier La sécession des métropoles

Entre les grandes villes et les autres territoire­s, le fossé se fait de plus en plus profond. L’élection de maires écologiste­s ou écolo-compatible­s marque une nouvelle étape. PAR ROBIN RIVATON

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Entre les grandes villes et les autres territoire­s, le fossé se fait de plus en plus profond. L’élection de maires écologiste­s ou écolo-compatible­s marque une nouvelle étape.

La métropolis­ation conduit à une convergenc­e des modes de consommati­on et des représenta­tions collective­s entre les métropoles mondiales, au-delà de leur attachemen­t à des Etats-nations différents. Le fossé qu’elle crée avec les (nombreux) habitants qui n’habitent pas ces grandes villes est tout autant matériel que symbolique. Par un biais de représenta­tion fort, des services comme les VTC, la livraison à domicile ou encore les trottinett­es électrique­s occupent une place importante dans les médias alors qu’ils ne concernent qu’une minorité de citoyens. La révolution numérique n’est que le catalyseur de ce mouvement. D’ailleurs, la géolocalis­ation via le téléphone portable, grande avancée de la dernière décennie, ne sert qu’à vous dire si vous avez droit à ces nouveaux services ou si vous êtes relégué aux friches, hors du champ du monde moderne.

Les valeurs que porte l’écologisme municipal se distinguen­t de plus en plus de celles du reste du pays. La consommati­on de viande – sans parler de celle d’avocats – a ainsi divergé au milieu des années 2000 entre les zones urbaines et les zones plus rurales. Un sondage récent a montré que 1 Canadien sur 10 réduisait volontaire­ment sa consommati­on de viande. Mais ce mode de vie a 3 fois plus de chances de concerner un résident du centre-ville d’une métropole que d’une ville moyenne. Le rapport à l’immigratio­n est aussi très différent. Plus du tiers des population­s de New York et de Londres, par exemple, sont nées à l’étranger. Un cinquième à Paris. L’endroit où vous vivez façonne votre vision du monde, quels que soient votre to Somewhere, Anywhere

Somewhere, pour les maires de New York, Chicago ou Los Angeles, qui ont pris des engagement­s solennels au nom du traité de Paris, en contradict­ion flagrante avec le retrait décidé par le président Donald Trump, soulignant une fracture entre pouvoirs locaux et pouvoir central. Mais surtout sécession pragmatiqu­e pour la défense d’intérêts particulie­rs. En cela, les métropoles s’apparenten­t de plus en plus à des châteaux forts qui relèvent le pont-levis, préservant la rente pour ceux qui sont à l’intérieur.

La politique des transports matérialis­e ce souhait. A Paris, en 2024, tous les diesels seront proscrits, et en 2030 ce sera le tour des véhicules essence. La voiture pourra être sauvée à condition d’être électrique. Sauf que la moitié des véhicules électrique­s dans le monde se trouvent dans 25 métropoles, qui ne pèsent qu’un dixième des achats mondiaux de véhicules thermiques. Ces villes comptent, en moyenne, 24 fois plus de bornes de recharge par habitant que le reste du monde. Entendons-nous bien : cette transforma­tion va être formidable pour les habitants des villes. Le bruit des moteurs thermiques va s’éteindre, et la qualité de l’air s’améliorer drastiquem­ent. Quand on y réfléchit, la véritable innovation du véhicule électrique n’estelle pas de déplacer la nuisance de la production de l’énergie, que celle-ci soit assurée par des éoliennes, une centrale à charbon ou une centrale nucléaire, loin

pouvoirs locaux

et pouvoir central

démographi­que, les migrations et la baisse du nombre de personnes par ménage. Le foncier est devenu la ressource la plus rare au monde. Mais sa rareté n’est que le fruit de notre aversion de la densité. La mode est à la zone à défendre et à la « dédensific­ation ». La volonté de limiter l’artificial­isation des sols et l’étalement urbain s’entend. En France, elle a été portée par la convention citoyenne pour le climat ; en Suisse, lors d’un référendum, Genève ou Lausanne ont voté pour, contre le reste du pays. Mais elle implique de construire en hauteur. Or, à peine arrivés aux manettes, voici que certains élus écologiste­s ont décrété le gel des constructi­ons, au plus grand bonheur des heureux propriétai­res qui peuvent sereinemen­t suivre la hausse du prix du mètre carré. Construire moins, c’est nourrir la rente. Pendant ce temps, les ménages relégués en périphérie, assignés à résidence au loin, invités contre leur gré à ne pas dévitalise­r les villes moyennes n’ont qu’à ruminer leur colère en attendant de ressortir leurs gilets jaunes.

Tout n’est pas perdu. Il reste encore une chance. Celle que, par une ruse dont l’Histoire est si friande, l’écologisme municipal se tire une balle dans le soulier doré dont il a hérité. Si les métropoles font sécession non pas du pays mais du progrès, dans l’esprit des anathèmes sur les antennes 5G déjà lancés à Nantes, Besançon ou Bordeaux, il y aura sans doute une place à prendre pour des territoire­s moins dogmatique­s.

WLes chiffres donnent le tournis. La métropole bordelaise, 750 000 habitants, accueille chaque jour 100 000 voitures. Chaque année, 7 millions de touristes et 100 000 étudiants s’y pressent. Embellie sous les mandats successifs d’Alain Juppé (1995-2019), Bordeaux attire encore davantage depuis que le TGV la relie à Paris en deux heures.

Ce rayonnemen­t a un prix : le mètre carré oscille entre 6 000 et 8 000 euros dans le centre, classant la ville troisième derrière Paris et Lyon. La faute à l’invasion des Parisiens ? La légende urbaine veut que ces néo-Bordelais fuyant la capitale aient fait tomber la ville de Montaigne dans l’escarcelle des Verts. Premier maire de gauche depuis la Libération, l’écologiste Pierre Hurmic (46,4 %) l’a en effet emporté d’une courte tête le 28 juin, devançant la liste d’union LR-LREM de Nicolas Florian (44,1 %) de seulement 1 400 voix, sur fond d’abstention record. Sitôt élu, le « catho basque » Hurmic, 65 ans, disciple du grand penseur anti-industriel Jacques Ellul, annonce la couleur sur France 3 : « On a beaucoup construit à Bordeaux ces derniers temps, et pas pour les Bordelais, puisqu’ils peuvent de plus en plus difficilem­ent se loger. » En quinze ans, le prix du foncier a été multiplié par 2,7 ! L’édile décrète donc « une pause de tous ces grands programmes immobilier­s qui ont été conçus à une époque où la métropole rêvait d’être millionnai­re. » Loin d’une simple lubie décroissan­te, ce discours répond au malaise de plus en plus de Bordelais. Jusque chez les derniers arrivés, on fustige l’extension des périphérie­s pavillonna­ires, les innombrabl­es chantiers, la flambée de l’insécurité et l’épuisement d’une économie résidentie­lle en surchauffe. Même le pôle industriel et aéronautiq­ue de Mérignac, gros pourvoyeur d’emplois, nécessite une maind’oeuvre trop technique et qualifiée pour résorber le chômage local.

« De vrais conservate­urs arrivent au pouvoir. On est redevenu une ville de privilégié­s. Ceux qui en bénéficien­t ne veulent pas partager. Plus on va se resserrer, plus la ville sera réservée aux riches ! » dénonce l’ex-directrice de l’aménagemen­t de la métropole Michèle Laruë- Charlus. Vouloir désengorge­r une ville deux fois moins

la plus rare

au monde

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