Merkel : l’Allemagne d’abord et tant mieux pour l’Europe
L’EXPRESS Les intérêts de Berlin et de l’Union européenne n’ont jamais été aussi proches depuis l’accession au pouvoir de la chancelière.
Pour l’événement, elles auraient dû se retrouver côte à côte, à Berlin. Mais, pour cause de pandémie, c’est par vidéos interposées qu’Ursula von der Leyen, restée à Bruxelles, et Angela Merkel, depuis la chancellerie, ont lancé de concert la présidence allemande de l’Union européenne, le 2 juillet. Leur connivence, malgré la distance, sautait aux yeux. Il n’en a pas toujours été ainsi. Les deux femmes se connaissent de longue date, mais leurs relations n’ont pas toujours été sereines. Trois fois ministre d’Angela Merkel, Ursula von der Leyen n’avait ainsi pas obtenu le soutien de la chancelière allemande lorsqu’elle visait, en 2010, la présidence de la République fédérale. De même, elle n’avait pu compter sur son vote, en 2019, pour prendre la tête de la Commission, comme le souhaitait pourtant Emmanuel Macron.
Tout cela est oublié. Issue de la bourgeoisie hanséatique de Hanovre et de Brême, la distinguée Ursula donne désormais du « chère Angela » à la fille de pasteur, qui a grandi dans l’austère Allemagne de l’Est. Ont-elles le choix ? Durant les six prochains mois, leurs destins vont être intimement liés. Dans une configuration astrale inédite, les deux dirigeantes ont en effet la lourde tâche de faire aboutir le plan de relance de 750 milliards d’euros proposé par la Commission européenne.
La chancelière le sait : son entente avec « Ursula » est un avantage de taille pour faire adopter cette mesure historique par les Vingt-Sept, lors du prochain sommet européen, les 17 et 18 juillet, ou encore durant le mois d’août. Merkel tient d’autant plus à ce plan qu’il reprend le grand principe imaginé avec le président français : un endettement commun des Européens – une révolution – et 500 milliards d’euros d’aides versées directement aux Etats. A cette occasion, le « couple franco-allemand », sans lequel l’Europe n’avance jamais, s’est remis en marche : ses deux têtes ont d’ailleurs affiché leur proximité le 29 juin au château de Meseberg, près de Berlin, pour faire entendre leur volonté de faire passer ce projet coûte que coûte. Le chef de l’Etat français, qui, il y a peu, déplorait le peu d’entrain de la chancelière à aller plus loin dans l’intégration européenne, a salué « l’agenda ambitieux de la présidence allemande ». Alors qu’elle se garde habituellement de toute formule grandiloquente, Angela Merkel a, pour sa part, reconnu « des défis économiques que nous n’avons jamais connus depuis des décennies, et sans doute même jamais auparavant ».
Le message s’adresse aux « frugaux », ces quatre pays (PaysBas, Autriche, Suède et Danemark) horrifiés à l’idée de subventionner les économies des « cigales » du sud de l’Europe, dont ils dénoncent depuis des années le manque de rigueur budgétaire. Mais la chancelière est d’autant plus à même de les convaincre qu’elle était encore à leur tête en début d’année. La crise du coronavirus est à l’origine de ce revirement, peut-être même plus encore que sa volonté de marquer l’histoire de la construction européenne, avant d’achever son dernier mandat, en 2021. Le contexte est inédit : le Covid-19 a fait plus de 130 000 morts au sein de l’Union et provoqué une récession économique fulgurante (– 10,2 % de PIB dans la zone euro cette année, selon le FMI, et au-delà de – 12 % pour l’Italie, l’Espagne et la France, les pays les plus endeuillés). Les images du défilé de camions de l’armée italienne pour évacuer les morts de Bergame, épicentre de la pandémie continentale, ont beaucoup ému en Allemagne. Elles n’ont pas laissé indifférente Angela Merkel, sensible aux drames humanitaires, sous ses airs de froideur, comme l’a prouvé l’ouverture des portes de son pays à 1 million de réfugiés syriens, au pire de la crise des migrants de 2015.
Mais son nouvel élan de solidarité à destination des pays latins, appelés à être les mieux dotés du plan de relance (82 milliards d’euros pour l’Italie et 77 pour l’Espagne), relève aussi du principe de réalité. L’appauvrissement de ses partenaires européens n’est pas bon pour la riche Allemagne, adepte de l’excédent commercial (223 milliards d’euros en 2019 !). Elle a en effet un besoin impérieux de continuer à leur vendre ses Mercedes, ses lave-vaisselle Bosch et ses machines-outils. Plus d’1 marchandise sur 5 vendue entre pays européens vient d’Allemagne ! A rapporter aux… 8,8 % de produits français, selon Eurostat. « Il est dans l’intérêt de l’Allemagne que nous ayons un marché unique fort, que l’UE devienne de plus en plus unie et qu’elle ne s’effondre pas », répète à l’envi Angela Merkel. En poussant de tout son poids à l’adoption du plan de relance, la chancelière ne déroge pas à sa ligne de conduite, soit la défense des intérêts allemands… « über alles ».
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