L'Express (France)

C’était Philippe : un Premier ministre inédit

LAURELINE DUPONT

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L’ancien locataire de Matignon a inventé une façon nouvelle d’assumer le rôle qui était le sien, avec le sens de l’Etat pour seule ligne de conduite.

Quand Thierry Solère raccroche son téléphone ce jour de mai 2017, Edouard Philippe, enfermé dans le salon parisien de cet ami si cher, est fébrile. Au bout du fil parlait Emmanuel Macron. Du regard, le lieutenant d’Alain Juppé interroge le député de droite. La réponse du premier claque dans l’air, assortie d’un rire de satisfacti­on : « Il va te nommer à Matignon. » Après sa brève conversati­on avec celui qui vient d’être élu président de la République, le député des Hauts-deSeine n’a aucun doute. Emmanuel Macron n’a certes pas prononcé les mots mais ses sous-entendus paraissent limpides. Edouard Philippe, lui, doute encore. Comment un homme qui ne vient pas de son bord politique et qui, au fond, le connaît à peine peut-il décider de lui confier les clefs de Matignon ? Le pari ne manque pas d’audace. Et de confiance.

Combien de fois entendra-t-on, durant leurs trois années passées rue de Varenne, le Premier ministre et ses camarades répéter cette sentence : « Nous sommes ici grâce à Emmanuel Macron. »

Dès lors, aux yeux de l’ambitieux Philippe, une seule ligne de conduite existe : celle de la loyauté sans faille. Motus et bouche cousue sur ses échanges avec le président, rien ne filtre si ce n’est qu’il n’y a pas entre eux « une feuille de papier à cigarette ». Il est le « chef d’orchestre » fidèle, respectueu­x de l’Etat et des institutio­ns et donc de la figure présidenti­elle. Même s’il aime rappeler que son modèle est Pompidou, il savoure encore le mot du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, le comparant à un « Raymond Barre longiligne » : sérieux, en aucun cas dans le rapport de force avec le président, s’assurant que l’ingénierie fonctionne. A l’Elysée, on commence à le juger « absent », « pas assez paratonner­re » au début de l’affaire Benalla ? A Matignon, on jure qu’entre le président et le Premier ministre, de tensions il n’y a pas. A l’aube des gilets jaunes, des conseiller­s élyséens le tiennent pour responsabl­e, lui et son orthodoxie budgétaire, du vent de révolte qui souffle sur les ronds-points ? Les collaborat­eurs philippist­es assurent ne rien avoir entendu de tel à l’Elysée.

C’est sans précédent sous la Ve, ce Premier ministre pourtant capable d’orgueil n’a été ni un aiguillon ni un futur adversaire. Ni, non plus, un simple exécutant. Quand il s’est installé à Matignon, certains ont été tentés de le prendre pour Chirac. ChiracGisc­ard, l’un des couples exécutifs les plus explosifs de l’histoire politique. Une relation faite de petites humiliatio­ns et de grandes trahisons. Mais Macron et Philippe ont beau avoir en commun avec leurs prédécesse­urs une jeunesse, une distance politique et un panache, la comparaiso­n semble s’arrêter là. Parce qu’Edouard Philippe s’est évertué à ne prêter aucune attention à toutes ces petites vexations infligées par les conseiller­s du chef. Seulement a-t-il admis une incompréhe­nsion quand, récemment, Emmanuel Macron a paru lui donner tort sur la date de réouvertur­e du Puy-du-Fou.

Parfois, il a semblé surjouer un respect et une admiration sans limite pour la fonction suprême et son occupant, en répétant par exemple à ses interlocut­eurs, durant la crise du coronaviru­s, que « plus on est Premier ministre, plus on voit qu’être président c’est très difficile ». A la fin du confinemen­t, il faisait même en privé ce constat : « C’est un truc que les gens qui ne le vivent pas comprennen­t mal : pour un Premier ministre, plus ça dure, moins c’est dur, c’est l’inverse pour un président de la République, il y a une différence de temporalit­é terrible. » Dans l’esprit d’Edouard Philippe, l’élection présidenti­elle exerce sur le chef de l’Etat une pression incomparab­le avec celle qui pèse sur les épaules de l’hôte de Matignon. « Pour le président, le juge de paix est la capacité à sortir de son quinquenna­t par le haut ou par le bas, plus on s’approche, plus on est dans la zone où c’est angoissant… », observait-il.

Jamais il n’a mentionné, publiqueme­nt en tout cas, la dureté pour un Premier ministre de savoir son sort soumis au bon vouloir élyséen. Tout juste a-t-il osé confier son envie de poursuivre sa tâche. Tandis que les macroniste­s les plus proches du chef de l’Etat alertaient sur le risque d’une trahison de sa part en 2022, ses fidèles martelaien­t : « Il est là pour aider le président, quel que soit son avenir à Matignon, à la place qui sera la sienne le moment venu. » Depuis ses bons résultats sondagiers, ils sont de moins en moins nombreux à croire à son effacement dans deux ans. Dans son entourage, on trompette que c’est bien mal le connaître. « Edouard a le sens de l’Etat », s’époumone Solère, et le sens de l’Etat signifie respecter et soutenir celui qui vous a nommé, quoi qu’il en coûte.

W

sans violence excessive, avec cette forme d’évidence tranquille qu’ont toujours les mouvements de relève. Pour les partis aussi, l’heure de la retraite finit toujours par sonner. Le PS né à Epinay se prépare à prendre la sienne à l’approche de la cinquantai­ne. Comme les douaniers d’autrefois…

Les premiers touchés, par ricochet, sont ceux qui ont incarné au niveau national la domination socialiste et qui, à un titre ou un autre, pouvaient imaginer la rétablir demain. Pour Hollande, Cazeneuve et d’autres encore d’un moindre calibre comme Vallaud-Belkacem, c’est vraiment fini. On l’avait hier deviné, on le sait désormais avec certitude : ceux-là ne reviendron­t jamais, pour la simple raison que le rôle auquel ils pouvaient aspirer a disparu du répertoire. Royal ne l’a pas encore compris, mais cela ne change rien à l’affaire. Ses multiples offres de service ne recueillen­t, à gauche, que des silences navrés. Au sens propre du terme, la voilà hors jeu à son tour. Plus significat­if encore de cet épuisement aussi psychologi­que que politique est l’attitude des maires socialiste­s, élus ou réélus, qui, quels que soient leur parcours et leur pedigree, n’imaginent pas un seul instant que leur expérience locale puisse être le laboratoir­e de politiques nationales. Pour nombre de leurs aînés, c’était pourtant là une évidence doublée d’une tentation constante : ces barons de province avaient toujours Paris en ligne de mire.

Ce qui reste du vivier socialiste préfère aujourd’hui se tenir à l’écart de la capitale, non par crainte de prendre des coups inutiles ou par lassitude des débats jugés stériles, mais tout simplement parce qu’il juge avoir mieux à faire, localement, à demeure, là où son pouvoir est entier, même s’il n’est pas immense.

Une euthanasie organisée

Dans ce contexte, Olivier Faure dit l’évidence lorsqu’il reconnaît que pour le rendez-vous décisif de 2022 son parti n’est pas en mesure de présenter un candidat ou une candidate qui ait la moindre chance, sinon de l’emporter, du moins de figurer dignement. Le problème – si problème il y a – est qu’à partir de ce simple constat le premier secrétaire du PS construit une ligne politique qui offre un rôle pivot au partenaire écolo, sans vraies contrepart­ies. La difficulté – qui, elle, est indéniable – est qu’en pratique il organise ainsi l’euthanasie d’un parti qu’il est censé diriger. Evidemment, cette double casquette de prétendu capitaine et d’assassin affiché le place, parmi les siens, dans une situation impossible dont on voit mal comment elle peut être durable.

Au PS, où on a encore un peu de mémoire, nul n’ignore que les communiste­s ont signé leur perte le jour où ils se sont effacés devant Mitterrand lors de la présidenti­elle de 1965, montrant ainsi que, pour cette élection-là, passer son tour, c’est disparaîtr­e pour toujours. Cela dit, les mêmes savent aussi que la vieille SFIO et son dernier trésor, c’est-à-dire son réseau d’élus, se sont sauvés en rejoignant, un jour, un ensemble plus large, ouvert à d’autres composante­s de la gauche, dont Mitterrand – encore lui – était le porte-drapeau et donc le candidat naturel à la présidenti­elle. Sans doute est-ce pour l’instant la vraie limite de la stratégie d’Olivier Faure. Le premier secrétaire est un enfant de Mollet qui n’a pas de champion crédible sous la main et qui, d’ailleurs, ne fait même pas semblant de le chercher. En ce sens, c’est un liquidateu­r par abstention. Le rôle n’est pas glorieux, il n’est pas forcément inutile.W

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Le 5 juillet, l’ex-chef du gouverneme­nt retrouve son écharpe de maire du Havre.

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