Des citoyens très affranchis, par Emmanuelle Mignon
La convention pour le climat réactive le débat public. Un modèle de démocratie représentative ?
Quoiqu’on pense de la manière dont les participants ont été sélectionnés, du contenu de certaines propositions et de la viabilité du concept de démocratie participative, les 460 pages du rapport final de la convention citoyenne sur le climat méritent très certainement le détour. Elles donnent une leçon de bon sens et de sincérité sur lesquelles méditer.
Le rapport présenté est structuré en cinq chapitres, couvrant globalement toutes les activités humaines qui ont un impact sur le climat : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger et se nourrir. Au sein de chaque partie, plusieurs objectifs sont identifiés et déclinés en propositions, dont le contenu est généralement assez précis, à l’exception du sempiternel appel à une meilleure évaluation des politiques publiques. Chaque proposition fait l’objet d’une présentation synthétique puis développée, avec ses avantages et ses inconvénients, parfois ses alternatives, une évaluation sommaire de l’impact de la mesure sur les émissions de gaz à effet de serre et enfin des suggestions pour la rendre socialement acceptable.
Presque toutes ces suggestions sont accompagnées d’une transcription légistique, assortie, le cas échéant, de commentaires sur les problèmes juridiques pouvant être soulevés.
Bien sûr – on l’a suffisamment relevé –, le travail des membres de la convention a été encadré par un comité de gouvernance constitué de professionnels du rapport administratif, et par un comité dédié à la traduction des propositions en normes de droit positif. Le travail n’en est pas moins sérieux, prêt à l’usage, bien plus compréhensible et opérationnel que les études d’impact indigestes et creuses des projets de loi officiels.
Un ton comminatoire
Significative aussi est l’absence totale de langue de bois, la façon très affranchie des membres de la convention de reconnaître que telle ou telle mesure aura un impact radical, et d’ailleurs voulu, sur tel ou tel secteur d’activité
(les industries polluantes, l’agriculture, la publicité et les médias, etc.). C’est ce ton comminatoire qui donne au rapport son caractère un peu inquiétant, laissant peu d’espace à des opinions alternatives. Mais il change des débats aseptisés de la démocratie représentative, qui refuse de dire les choses comme elles sont et d’exposer les choix des décisions publiques tels qu’ils se présentent, au prix d’un désintérêt croissant pour la vie politique traditionnelle.
Il serait extrêmement intéressant que d’autres conventions citoyennes soient réunies afin de réanimer le débat public sur un certain nombre de sujets d’intérêt commun.
Le rapport contient aussi quelques pépites qui renvoient les gadgets et les lieux communs de l’action publique à leur juste place. La vision qu’ont nos concitoyens de l’utilisation du numérique à l’école mérite à cet égard d’être citée : « L’ordinateur et les réseaux ne sont pas la réponse aux questions pédagogiques ou sociales, et ils sont au contraire de nouvelles sources de problèmes.
Ce ne sont pas des milliers de tablettes dont les élèves ont besoin, mais de personnels d’éducation formés. » On ne saurait mieux dire.
A la source du changement
Le plus intéressant dans les conclusions de la convention reste la place accordée aux propositions qui sont de nature à infléchir le changement climatique, non pas par la contrainte légale et réglementaire, mais tout simplement par l’action coordonnée des citoyens.
A cet égard, toutes les suggestions, telles que l’inscription d’un score carbone sur tous les produits ou une plus grande diffusion des bilans carbone des entreprises, montrent bien que ce sont les citoyens, beaucoup plus que l’Etat, qui peuvent obliger les compagnies à changer, en boycottant toutes celles qui ne se convertissent pas à l’exigence écologique. La démocratie participative n’entend pas se contenter de contribuer à l’élaboration des normes, elle a l’intention d’être un acteur direct du changement. C’est d’ailleurs ce qui la rend incontournable.
Et les entreprises en ont bien plus peur. Bien sûr, le risque serait que l’action concertée des citoyens pour les contraindre à évoluer se métamorphose en contrôle social des comportements individuels. C’est, hélas, ce qui finira par arriver si nous n’agissons pas vite. Et ce sera alors insupportable.