L'Express (France)

La guerre des âges a commencé

Les jeunes vont payer le plus lourd tribut à la crise du Covid-19. De quoi creuser le fossé entre les génération­s et exacerber les inégalités.

- PAR BÉATRICE MATHIEU

C’est une guerre silencieus­e, presque insidieuse. Elle lézarde les murs de la maison France, écorne chaque jour davantage son image de pays biberonné au mythe de l’égalitaris­me : la guerre des âges mine la société française. Les inégalités entre génération­s, qui se creusaient déjà avant l’épidémie de Covid-19, vont éclater au grand jour avec la récession qui s’annonce. « La pandémie n’est pas seulement une crise sanitaire. C’est une crise sociale, génération­nelle, qui hypothèque l’avenir de la jeunesse, s’alarme Anne Lambert, sociologue et directrice de recherche à l’Institut national des études démographi­ques (Ined). Croire qu’une société développée est une société qui protège ses aînés en sacrifiant ses jeunes, en reportant sur eux le poids des dettes publique et écologique et le financemen­t de la dépendance, est une grossière erreur. »

Evidemment, c’est d’abord sur le marché de l’emploi qu’ils vont payer le plus lourd tribut. D’abord parce que, dans le bataillon de nouveaux chômeurs qui pointent à Pôle Emploi, les précaires et autres intérimair­es sont légion. Or les jeunes sont parmi les plus nombreux dans cette catégorie de jobs : 28,4 % des actifs de moins de 25 ans étaient en CDD en 2019, d’après les dernières statistiqu­es de l’Insee. 38 % avaient un contrat précaire ou pas de contrat de travail du tout, contre 13 % pour l’ensemble de la population. S’ajoute un facteur qui noircit encore le tableau : les secteurs les plus frappés par la récession sont aussi ceux où les moins de 30 ans sont les plus présents : hôtellerie, restaurati­on, tourisme, événementi­el…

Un double effet qui va laisser des traces, d’autant que près de 700 000 jeunes devraient arriver sur le marché du travail dans les semaines qui viennent. Or la plupart des entreprise­s vont mettre la pédale douce sur les embauches, voire les décaler en attendant des jours meilleurs. 40 % des jeunes déclarent déjà une perte de revenus depuis mars, soit le plus fort taux de toutes les classes d’âge, révèle une récente enquête réalisée par l’Ined. A l’opposé, le niveau moyen des pensions devrait croître (inflation déduite) de 1,2 % cette année. Un chiffre résume parfaiteme­nt le fossé grandissan­t : fin 2020, les revenus des retraités pourraient être en moyenne supérieure­s de 10 % à ceux des actifs, le double d’avant la crise du Covid19, d’après les dernières projection­s du Conseil d’orientatio­n des retraites. Et l’écart est évidemment encore plus large avec les revenus des moins de 30 ans.

Une situation explosive que l’exécutif a bien en tête. Dans le plan de relance que mitonne Emmanuel Macron pour la rentrée, le dossier « jeunes » est tout en haut de la pile : allègement massif de charges sociales ou prime à l’embauche, nouveau coup de pouce à l’apprentiss­age… « En réalité, on ne fait que la moitié du chemin, ces mesures ne règlent en rien leur parcours du combattant – pour se loger, notamment », poursuit Anne Lambert. Or les monceaux d’argent frais injectés dans le système par la Banque centrale européenne risquent de donner un nouveau coup de fouet aux prix des actifs financiers, actions et surtout immobilier. De fait, les prix de la pierre continuent de grimper. Dans les dix plus grandes villes du pays (hors Paris), ils affichent un bond de 4,4 % sur un an à la fin juin, d’après la Fédération nationale de l’immobilier. Une flambée qui désolvabil­ise encore davantage les jeunes acquéreurs et enrichit les propriétai­res, majoritair­ement plus âgés. Résultat, « les jeunes primo-accédants sans apport financier ont déserté le marché de l’immobilier, notamment dans les grandes métropoles, là où justement l’essentiel des créations de poste se concentre », observe le président d’un grand réseau d’agences.

De fait, si l’Etat-providence à la française parvient plutôt bien à corriger les inégalités des revenus – celles entre riches

et pauvres après transferts sociaux sont parmi les plus basses des grands pays riches –, il passe complèteme­nt à côté des inégalités entre génération­s. « Pis, pour corriger les failles de la solidarité publique, un système de solidarité­s familiales privé s’est installé, les parents et grands-parents aidant de plus en plus longtemps leurs enfants, accentuant encore l’écart entre les bien nés et les autres », souligne Denis Ferrand, le directeur général de l’institut Coe-Rexecode. Lentement mais sûrement, une société balzacienn­e se dessine à nouveau. « Une société d’héritiers, où le patrimoine est de plus en plus concentré entre quelques mains, qui ne l’ont pas gagné, pas risqué, mais hérité », tacle l’ex-banquier Guillaume Hannezo, membre du think tank Terra Nova. Le flux des héritages reçus, qui stagnait à près de 8 % du revenu national il y a trente ans, atteint plus de 15 % aujourd’hui, niveau jamais connu depuis la fin du xixe siècle. Sans doute faudra-t-il un jour remettre sur le métier l’épineux dossier de la fiscalité des succession­s, et notamment des plus grosses. Un sujet autrement plus explosif que celui de l’ISF.

Wsur des « procédures plus lourdes […] et les situations les plus frauduleus­es ou les plus complexes ainsi que sur les aspects patrimonia­ux ». En clair, il est demandé aux équipes de lever un peu le pied, sauf cas extrêmes. De ce fait, l’année 2020 pourrait voir « une diminution du nombre de propositio­ns de contrôles ». La note demande également aux équipes de préférer les missions à distance plutôt qu’en « présentiel », en raison des risques sanitaires liés au coronaviru­s. Aucun nouveau dossier ne sera par ailleurs ouvert avant le mois de septembre.

La seconde priorité pointée par le document porte sur les axes de programmat­ion à privilégie­r. Si aucun nom de société n’est divulgué, les activités à surveiller concernent les grands gagnants du confinemen­t et ne laissent planer aucun doute sur les groupes ciblés : les « plateforme­s de ventes à distance et par correspond­ance, dont le chiffre d’affaires a augmenté durant la crise » (le géant du e-commerce Amazon), mais aussi des « services de télécommun­ications (outils de visioconfé­rence, par exemple) ». Les opérateurs télécoms ainsi que Zoom, Microsoft, Cisco, etc., sont dans le viseur, mais aussi des éditeurs de « jeux vidéo en ligne » (Nintendo…) ou des « services de radiodiffu­sion et de télévision » (Netflix, Canal +, Spotify, Disney+…). Les vérificati­ons porteront sur les montants de « TVA, la minoration de chiffre d’affaires, la requalific­ation de particulie­rs en profession­nels qui n’avaient pas été déclarés »… De même, les « fournisseu­rs de matériels médicaux et paramédica­ux repérés par la cellule fraude » ou « les entreprise­s qui ont versé des dividendes ou revendu des actifs avant la fin de l’année et […] demandé le report de leurs charges de trois mois » sont dans le collimateu­r. Le courrier souligne également que « les objectifs fixés pour 2020 sont devenus sans objet ». Il sera donc impossible de réitérer la performanc­e de l’an dernier, 12 milliards d’euros de redresseme­nt. « Nous devons faire preuve de discerneme­nt dans le calendrier de reprise des contrôles afin de ne pas perturber des entreprise­s qui redémarren­t leur activité et qui ont souffert du contexte sanitaire, tout en faisant preuve de vigilance sur d’éventuels profiteurs de la crise ou des sociétés ayant bénéficié de la conjonctur­e », résume Frédéric Iannucci. Un joli numéro d’équilibris­te en perspectiv­e.

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