Au camping du Vieux-Port, une saison pas comme les autres
A Messanges, le plus grand 5-étoiles de plein air de France, tout juste 40 ans, s’apprêtait à vivre un été exceptionnel. Le coronavirus est venu quelque peu gâcher la fête.
Aucun doute, le Jacuzzi fait son effet. A Messanges, dans les Landes, le long des grandes allées bordées de pins du camping du Vieux-Port, la nouveauté 2020 marque déjà les esprits. Les premiers estivants s’arrêtent systématiquement pour voir leurs voisins se prélasser dans le bain à remous installé au pied de certains bungalows. Ici, les toiles de tente se font rares. Le camping façon Patrick Chirac (Franck Dubosc) aux Flots bleus a vécu.
Désormais, la tendance c’est le « glamping », bien plus glamour. « Je suis venu
il y a trente ans, et ça a beaucoup évolué. C’est plus haut de gamme, ça ressemble à un hôtel de plein air. Nous avions réservé il y a neuf mois et le Covid n’a pas changé notre programme », explique Julien, un touriste suisse à peine arrivé de Genève avec sa famille, pas mécontent de déboucher enfin une bouteille de rosé.
Dans le plus grand camping 5 étoiles de France, les chiffres donnent le tournis. Plus de 1 500 emplacements sur 40 hectares peuvent accueillir jusqu’à 7 000 personnes au pic de l’été. Une vraie ville éphémère, plantée à deux pas de l’océan Atlantique. De quoi faire de l’ombre aux 600 habitants à l’année du village landais. Voilà pour la carte postale, mais le VieuxPort, qui souffle ses 40 bougies cette année, aurait rêvé meilleure fête. Début juillet, le taux d’occupation frôlait à peine les 50 %, bien loin des standards habituels. « Nous enregistrons entre 40 et 50 réservations par jour, mais nous constatons encore un retard de 28 % par rapport à l’année dernière. C’est rageant parce qu’on partait sur une excellente saison avant le Covid », peste Lucas Lafitte. Au service commercial, sorte de petit centre d’appels, le petit-fils du fondateur du camping savoure les sonneries des téléphones. Rien à voir avec le silence angoissant du temps du confinement, quand la direction avait placé ses téléopératrices au chômage partiel.
A 26 ans, Lucas Lafitte ne passe pas inaperçu dans les allées du camping à bord de son 4 x 4 blanc immaculé. Ce grand gaillard, polo, short, baskets, connaît tout le monde, et pour cause, il a commencé tout petit à suivre son père, Jean-Claude, et son oncle Jean-Yves, les têtes pensantes du lieu. Leur concept ? Tout faire pour que les vacanciers restent au maximum sur place et y dépensent leurs économies. Brasserie, bars, restaurants, supérette, boulangerie, espace bien-être, centre équestre, salle de spectacles… La machinerie du Vieux-Port nécessite 300 personnes par jour. Le camping emploie 40 salariés à l’année (commercial, exploitation, technique…) auxquels s’ajoutent une centaine de saisonniers et 150 personnes supplémentaires embauchées par les prestataires, ceux qui oeuvrent dans les divers restaurants et services du domaine. Pour encadrer tout ce monde, il faut une organisation quasi militaire avec des managers, des chefs et des dizaines de talkies-walkies.
Visionnaire, Robert Lafitte, le doyen fondateur, a toujours pensé qu’il fallait offrir une image plus moderne et donc
Les demandes se sont sophistiquées avec la crise : l’espace premium rénové tombe à pic
plus confortable du camping. Et, dès l’ouverture du Vieux-Port, en 1980, cet ancien patron d’une entreprise de travaux publics a pu accrocher fièrement quatre étoiles à l’entrée. De solides fondations pour l’empire Lafitte (ils ont depuis créé une agence de réservation spécialisée, Resasol) qui s’étire sur des kilomètres – d’Hossegor, riche station balnéaire où ils possèdent des résidences, aux vastes campings de Vieux-Boucau et de Messanges. Et, chaque hiver, la famille se creuse la tête pour bâtir de nouveaux projets. En 2019, la petite entreprise a réalisé 20 millions d’euros de chiffre d’affaires et, pour préparer cette saison anniversaire, elle avait même décaissé 5 millions d’euros pour rénover tout son espace premium : 130 emplacements où l’on trouve les fameux Jacuzzi. Un investissement considérable qui tombe à pic.
Car, avec la crise du coronavirus, les demandes des clients se sont sophistiquées. « Ils ont envie de confort et de nature, et cette offre haut de gamme leur correspond totalement. Nous leur proposons de vivre au maximum à l’extérieur », explique Lucas Lafitte. Au printemps, ses équipes ont travaillé d’arrache-pied. Le confinement ? Ils l’ont passé sur le terrain, en effectifs limités, à bêcher et à bricoler, presque jour et nuit. Avec l’objectif d’être prêts le 28 mars – peu importait le calendrier des autorités –, afin de pouvoir, le cas échéant, ouvrir pour la semaine sainte espagnole, premier temps fort de la saison estivale.
Dans le détail, ils ont donc refait les réseaux et les canalisations en profondeur, redimensionné les emplacements, quitte à perdre quelques places. Ils ont aussi planté des haies pour isoler davantage les locations, et surtout installé des dizaines de terrasses en bois avec plancha et douche extérieure. Résultat, les travaux réalisés en dehors du « mobile-home » ont pu peser jusqu’à 30 % de la valeur du locatif. Certes, les tarifs ont un peu gonflé, jusqu’à 3 500 euros la semaine pour un bungalow de 10 personnes. Mais ces biens sont partis comme des petits pains. Et si ses clients ont tendance à réserver davantage à la dernière minute, le jeune homme ajuste désormais ses prix et ses effectifs en temps réel, à la façon d’une compagnie aérienne. Non sans se faire quelques maux de tête.
Côté hygiène, la majorité des clients ne se posent plus de questions : ils ont leurs propres toilettes et une douche personnelle sur leurs emplacements. Nul doute que l’épidémie va renforcer cette tendance. Les sanitaires communs restent toutefois accessibles. Des pancartes rappellent les gestes barrière et un sens de circulation a été instauré. Le rythme du nettoyage s’est aussi accéléré.
Les inquiétudes, c’est davantage à la réception qu’elles s’expriment. Marie, jeune mère de deux enfants, se demande à peine arrivée si le centre aquatique et ses toboggans géants sont ouverts. « Mon mari était persuadé que c’était fermé. On va pouvoir souffler », s’amuse cette Parisienne. Les piscines ? Jusqu’à début juin, c’était le gros point noir du camping. Pour faire respecter la règle des 4 mètres carrés par personne, la direction a limité l’accès à 300 campeurs pour un espace pouvant accueillir jusqu’à 1 800 vacanciers. Après quinze jours de restriction, l’agence régionale de santé a levé la mesure. Un soulagement car, avec 35 % de clients qui reviennent chaque année (surtout des Français, des Espagnols et des Allemands), difficile de changer les habitudes. Impossible, par exemple, d’annuler le spectacle de « taureau piscine », un remake du jeu télévisé Intervilles orchestré ici par une célèbre famille d’éleveurs, les Labat. Deux fois par semaine, 1 500 personnes achètent leurs tickets pour voir, dans les arènes du camping, la vachette et ses congénères défier les plus téméraires. Impossible aussi de résister à l’apéro entre voisins. Sous les pins, on retrouve vite les traditions du monde d’avant.
Mais il est un lieu où l’effet Covid-19 est plus visible. Il s’agit de l’Arena, la salle de spectacles de 2 800 places, inaugurée en 2016 (5 millions d’euros d’investissement). Alors que la nuit est tombée, à l’entrée, un vigile s’assure que les vacanciers pénètrent bien avec le masque, provoquant la frustration des jeunes qui n’en ont pas. « Vous pouvez me prêter le vôtre ? » demande l’un d’eux, déjà bien éméché. « Nous, on a eu le Covid, on est immunisés. On peut passer ? » ajoute un autre. L’agent rit jaune et reste ferme. Mesures sanitaires ou peur du virus, à l’intérieur, on est loin de la discothèque espagnole. Deux animateurs masqués, juchés sur la scène, tentent de faire monter l’ambiance autour d’un karaoké. Mais, avec une cinquantaine de campeurs à minuit à peine passé, la salle, imaginée comme un cabaret, sonne un peu creux. A l’heure où les couche-tard regagnent leurs pénates, le calme règne dans les allées. On serait presque perturbé par le léger sifflement de la voiturette électrique du service de sécurité. Chut ! Le Covid circule encore, n’allez surtout pas le réveiller…
Pas plus de 50 campeurs réunis pour le karaoké à minuit : difficile de faire monter l’ambiance