De la démocratie à l’autoritarisme
HITLER’S FIRST HUNDRED DAYS
BY PETER FRITZSCHE.
BASIC, 432 P., 38 €.
L’Allemagne nazie demeure le champ privilégié des historiens, quatre-vingtsept ans après l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir. Que cette période suscite un intérêt sans cesse renouvelé des chercheurs ne doit pas étonner. Même si Hitler n’a dirigé l’Allemagne que pendant douze ans, les catastrophes qu’il a provoquées, de la guerre à l’Holocauste, ont marqué le monde à jamais.
Mais, si l’on a exploré les moindres épisodes de la guerre, les rouages du pouvoir nazi, les personnalités des dirigeants hitlériens, les horreurs de la Shoah, il reste une question à laquelle il est toujours aussi difficile de répondre : pourquoi le peuple allemand s’est-il laissé enfermer dans cette logique mortifère sans se rebeller ? Comment, entre janvier et mai 1933, l’Allemagne est-elle passée de la république de Weimar au IIIe Reich sans que la population ne se dresse contre ce qui était clairement une atteinte mortelle à la démocratie ? Cette question ne revêt d’ailleurs pas seulement un intérêt historique, elle s’inscrit aussi dans le monde d’aujourd’hui, où les démocraties sont fragilisées et où l’autoritarisme gagne du terrain.
C’est précisément ce sujet qu’explore l’historien américain Peter Fritzsche, spécialiste du IIIe Reich et professeur à l’université de l’Illinois. Il n’y avait rien d’inévitable dans la nomination de Hitler à la chancellerie, en janvier 1933, à la suite d’obscures tractations politiques entre le président Paul von Hindenburg, la droite conservatrice et les militaires, alors que le Parti national-socialiste avait réalisé un score médiocre aux élections de 1932. Mais, à l’issue d’une séquence politique éclair, les nazis vont gagner les législatives de mars 1933, abolir la Constitution, centraliser les pouvoirs, dissoudre les syndicats, ouvrir le camp de Dachau, et commencer à brutaliser l’opposition, à nier les droits des citoyens juifs et à brûler des livres.
Le processus de destruction de la démocratie et de mise en place de la dictature aura duré cent jours. Les historiens attribuent cette marche forcée vers l’hitlérisme à la brutalité avec laquelle le parti nazi et les nouvelles autorités de l’Etat ont pris le contrôle de la société allemande. Peter Fritzsche y ajoute une autre explication.
Si les Allemands ont été séduits par Hitler, c’est non pas par désespoir mais par optimisme, par adhésion au projet de former une nouvelle communauté du peuple définie autant par l’idée de « nation » que par celle de « supériorité de la race aryenne ». L’auteur en veut pour preuve, notamment, la célébration du 1er Mai, transformée, en 1933, en une sorte de fête de l’Unité nationale à laquelle ont pris part des centaines de milliers de personnes à Berlin, et ce à la veille de l’arrestation des dirigeants des syndicats de gauche. Le livre de Peter Fritzsche est une contribution majeure à la compréhension des mécanismes qui ont permis l’instauration du régime nazi en Allemagne, alors que rien ne l’y prédisposait. Un rappel qui ne peut que nous être utile.