Vaccin contre le Covid-19 : encore tant d’incertitudes
La question n’est pas de savoir quand nous aurons une injection contre le virus, mais si nous en aurons une, et quelle sera son efficacité. PAR STÉPHANIE BENZ
Une pandémie qui continue à progresser à grande vitesse un peu partout dans le monde. Des reconfinements localisés dans des régions qui se croyaient tirées d’affaire. Une population qui reste malgré tout peu immunisée, et donc vulnérable, y compris dans des zones déjà très touchées… Face à cette crise qui n’en finit pas, un vaccin apparaît désormais à beaucoup comme le meilleur espoir de stopper le Covid-19, et de retrouver notre vie d’avant. Aux Etats-Unis, le président Donald Trump en a fait une affaire d’indépendance nationale. Il dépense sans compter afin de soutenir la recherche, et préréserver des doses pour la population américaine. L’Europe n’est pas en reste, qui multiplie les opérations en vue de collecter des fonds. La France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas ont déjà passé une première précommande, et d’autres devraient suivre. Plus de 160 projets se trouvent actuellement en développement, selon le dernier décompte de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les essais cliniques chez l’homme ont démarré pour 21 d’entre eux, et plusieurs industriels (AstraZeneca, Moderna, etc.) promettent des doses pour la fin de l’année…
Cette effervescence ferait presque oublier l’essentiel : un vaccin efficace pourra-t-il vraiment être mis au point ? « Il faut rester prudent, avertit MariePaule Kieny, directrice de recherche à l’Inserm, ancienne sous-directrice générale de l’OMS et spécialiste des vaccins. Ça avance, mais gardons-nous de crier victoire trop vite, car toute une série de questions scientifiques demeurent sans réponse. »
Dans le passé, d’autres maladies infectieuses ont résisté aux efforts des chercheurs, comme le sida, le paludisme ou la bronchiolite causée par le virus respiratoire syncytial, alors même que des candidats-vaccins paraissaient prometteurs. Certaines injections sont d’une efficacité
limitée (notamment contre la grippe), quand elles ne génèrent pas des effets secondaires graves (comme le vaccin développé par Sanofi contre la dengue). Il existe néanmoins des raisons de se montrer optimiste, assure le Pr Patrice Debré, immunologiste et membre de l’Académie nationale de médecine : « Nous savons désormais que le Sars-CoV-2 entraîne bien une réponse immunitaire, puisqu’il finit par disparaître de l’organisme, ce qui n’est pas le cas du VIH par exemple. » Le nombre très important de projets en cours augmente également les chances qu’un ou plusieurs d’entre eux aboutissent.
Mais le Covid-19 reste une maladie mal comprise. L’immunité déclenchée par le virus n’a pas livré tous ses mystères, et bon nombre des technologies utilisées (vaccins à ARN, à ADN…) n’ont encore jamais débouché sur la mise sur le marché d’un produit. « Les premières données, très parcellaires, publiées par différents groupes de recherche, n’ont pour l’instant montré que des protections partielles », s’inquiète Frédéric Tangy, responsable du laboratoire d’innovation vaccinale de l’Institut Pasteur, lui-même en train d’élaborer un candidat contre le Covid-19. Les vaccins déjà au stade des essais cliniques entraînent certes l’apparition d’anticorps dits « neutralisants », qui ont la capacité de stopper le virus. Mais leur seule présence pourrait ne pas suffire à prévenir la maladie. « Aujourd’hui, personne ne sait quelle quantité d’anticorps est nécessaire pour éviter l’infection ni si le vaccin en générera suffisamment », poursuit Frédéric Tangy. Et il est impossible de se référer à d’autres pathologies pour essayer d’en savoir plus, car ces données sont propres à chaque virus : il faudra attendre la fin des essais à grande échelle pour connaître la réponse.
« Les niveaux d’anticorps neutralisants retrouvés à ce stade peuvent toutefois être considérés comme relativement faibles », avertit le Pr Daniel Floret, vice-président de la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé. Dans une étude publiée par des chercheurs d’Oxford (dont le vaccin sera mis sur le marché par le groupe AstraZeneca), les singes vaccinés puis exposés au virus étaient protégés de la pneumonie, ce qui est déjà bien, mais pas de l’infection. Les animaux ayant eu une injection se retrouvaient avec autant de virus dans les voies respiratoires hautes que ceux ayant reçu un placebo. Si ces résultats se confirmaient, cela signifierait que les sujets vaccinés pourraient continuer à diffuser la maladie. Pour augmenter l’efficacité, la plupart des équipes testent des schémas vaccinaux avec deux doses espacées de quelques semaines, mais cette solution ne serait pas très adaptée à une situation pandémique exigeant une réponse rapide.
Explication possible à cette efficacité limitée : beaucoup de ces vaccins misent seulement sur une petite partie du virus pour déclencher une réponse immunitaire, la protéine S qui forme les pointes à la surface du pathogène. « On va peut-être se rendre compte que ce n’est pas suffisant, qu’il faut d’autres éléments. Il est trop tôt pour le dire », met en garde Frédéric Tangy, de Pasteur. De même, on ignore encore si certains des produits en développement pourraient provoquer une immunité au niveau des muqueuses nasales, porte d’entrée du virus dans l’organisme. Si une première génération de vaccins arrive rapidement, il se pourrait donc qu’elle nécessite des améliorations ultérieures pour conférer une protection plus forte.
Il faudra aussi savoir comment les personnes âgées, qui risquent plus de développer des formes graves de Covid-19, répondront à cette vaccination. Car souvent, ces injections se révèlent moins efficaces chez elles. « Il y a toute une gradation entre le produit idéal qui protégerait tout le monde, y compris les plus âgés, et le vaccin médiocre qui n’immuniserait que les jeunes. Si, en plus, ceux-ci continuent de transmettre le virus, alors nous n’aurons pas gagné grand-chose », souligne le Pr Alain Fischer, immunologiste, professeur au Collège de France (et chroniqueur à L’Express). Dans le pire scénario, les personnes vaccinées, bénéficiant d’un faux sentiment de sécurité, pourraient relâcher les gestes barrière et la distanciation physique, et contribuer à accélérer l’épidémie.
Plus inquiétant, le risque d’aggravation de la maladie, du fait même de la vaccination, ne peut être écarté. Certains scientifiques craignent que l’injection n’entraîne la formation d’anticorps dits « facilitants », qui, loin de bloquer le virus, l’aident au contraire à pénétrer dans les cellules de l’hôte. « Ce phénomène avait déjà été observé chez l’animal durant les essais de vaccins développés contre le Mers et le Sras, deux autres coronavirus », rappelle Daniel Floret. Lors d’une deuxième infection, les animaux vaccinés avaient été atteints de formes plus graves de la maladie. Dans les années 1960, cet effet indésirable était apparu à l’occasion de tests cliniques avec des candidatsvaccins contre le VRS (l’agent de la bronchiolite). Des enfants étaient décédés, et les recherches avaient dû être interrompues. Plus récemment, il a aussi été constaté avec le Dengvaxia de Sanofi contre la dengue. Ce risque serait toutefois très variable selon les techniques vaccinales employées, d’où l’intérêt d’avoir une grande variété de candidats potentiels en développement contre le Covid-19. D’autant qu’un tel effet pourrait ne pas être repéré dès les essais sur les primates, dont les récepteurs cellulaires sont un peu différents de ceux des humains.
Les essais cliniques de phase 3, à grande échelle, seront donc cruciaux. Ils ont démarré pour deux produits, ceux d’AstraZeneca et de Sinovac, un fabricant chinois, mais ils risquent d’être difficiles à organiser pour ceux qui arriveront plus tard. Beaucoup d’experts craignent, en effet, que la majorité des candidatsvaccins parviennent à ce stade de leur développement à un moment où l’épidémie marquera le pas dans les pays développés (voir L’Express du 11 juin).
Une chose est sûre, ces essais ne répondront pas à une question cruciale : la durée de l’éventuelle immunité conférée par ces injections. « Si la maladie immunise pour un faible délai, il y a peu de chances que le vaccin fasse mieux », résume Daniel Floret. Les patients atteints du Covid-19 présentent bien des anticorps, mais nul ne sait aujourd’hui combien de temps ils seront présents dans l’organisme. Les sujets inclus dans les essais devront donc être suivis sur une période suffisamment longue. Car, si un vaccin se montrait efficace, il faudrait s’assurer que l’effet protecteur perdure au-delà de quelques mois.
Le risque d’aggravation de la maladie, du fait même de la vaccination, ne peut être écarté