L'Express (France)

Cédric Villani : « On passe beaucoup trop de temps dans la politicail­lerie »

Pour la première fois, l’ex-candidat aux municipale­s fait une autocritiq­ue de sa campagne parisienne. Et présente ses nouveaux combats de député écologiste.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-BAPTISTE DAOULAS

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans votre campagne ?

Cédric Villani J’ai appris à quel point il est important de travailler le fond le plus en amont possible. La coconstruc­tion du programme était une idée séduisante sur le papier, mais, en pratique, les délais étaient trop courts. Il n’a été bouclé qu’en février, et c’était trop tard. J’ai perdu beaucoup de temps à réfléchir sur les alliances et le positionne­ment. Il y a une part de politique au sens noble du terme, mais quand on ne fait que spéculer sur un rapprochem­ent avec untel ou untel, franchemen­t… L’essentiel du mois de janvier a été un gaspillage d’énergie, à discuter avec les uns tout en maintenant le contact avec les autres. La leçon est claire : évidemment, il faut des alliances, mais il faut avant tout travailler le fond. Le reste vient naturellem­ent.

Avez-vous eu parfois l’impression de jouer un rôle, par exemple en changeant de look ou en faisant semblant de connaître le PSG ?

Une campagne est très personnali­sée. On vous demande de jouer tous les rôles à la fois et d’être bon sur tous les sujets, sur le football comme sur les rats. On s’épuise à faire cela. Comme on ne connaît pas tout, on apprend et on répète des fiches. Ce n’est pas la bonne méthode. Il faut être beaucoup plus dans le collectif et mettre en avant des gens qui savent de quoi ils parlent. Sur le PSG, très clairement, la bonne attitude, celle qu’il aurait fallu avoir dès le début, c’est la franchise : le foot, ce n’est pas mon truc, je n’y connais pas grand-chose. Pour autant, j’aime l’ambiance d’un stade. Il ne faut pas faire semblant de connaître, il faut assumer. Et pour le look, je n’ai pas tant changé que ce que les médias ont dit. Il y a eu un buzz tout à fait déraisonna­ble pour savoir si ma coiffure était différente et si c’était le signe que la politique m’avait changé. En fait, à une ou deux occasions près, j’ai eu le même coiffeur du début à la fin de la campagne, même si ça embêtait mon équipe de me programmer un aller-retour en Essonne pour aller le voir. Il me coiffait comme il le sentait. Hélas, il est décédé il y a peu. J’ai fait un petit discours à son enterremen­t. Je lui suis resté fidèle jusqu’à la fin, c’est lui qui a fait ma coupe de rentrée parlementa­ire, et il se doutait bien que ce serait la dernière fois.

Votre candidatur­e dissidente a-t-elle facilité l’élection d’Anne Hidalgo ? Anne Hidalgo n’a pas eu besoin de moi pour gagner. Les autres candidats n’ont pas eu besoin de moi pour perdre. A partir d’un moment, la campagne s’est cristallis­ée sur un jeu à trois : gauche, droite, majorité présidenti­elle. J’étais nettement quatrième ou cinquième, derrière les Verts. Mon influence n’est pas à surestimer. L’événement majeur pour la majorité présidenti­elle a été le retrait de Benjamin Griveaux et l’entrée d’Agnès Buzyn.

Député de l’Essonne, conseiller d’arrondisse­ment à Paris, futur candidat… Où en êtes-vous ?

Aujourd’hui, nous sommes en 2020. La campagne municipale est finie. Il y a suffisamme­nt de boulot pour que je me concentre à fond sur le travail parlementa­ire dans mon nouveau groupe, Ecologie démocratie solidarité (EDS). Cet engagement collectif me vaut de travailler sur bien des sujets à la fois : néonicotin­oïdes, 5G, IVG, bien-être animal…

Votre avenir électoral est-il en Essonne ou à Paris ?

2020 n’est plus une année électorale.

C’est de la langue de bois !

Non, c’est la réalité. Pendant dix-huit mois, j’ai été en campagne, et cela jouait un rôle central dans mon activité, du matin au soir. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et je me concentre sur des sujets de fond, sans penser aux prochaines élections. Un des grands enseigneme­nts que je tire de cette campagne et de mes premières années en politique est que l’on passe beaucoup trop de temps dans la politicail­lerie, et pas assez de temps à parler du fond.

Avez-vous trahi votre engagement de 2017 de soutenir Emmanuel Macron ? L’engagement que j’ai pris devant les électeurs, c’est de rester fidèle à mes conviction­s, quoi qu’il arrive. Quand je vois que notre groupe EDS soutient des sujets que nous devions mettre en avant dès 2017, je considère que c’est moi qui suis fidèle à mes engagement­s. C’est avec cette ambition que je vais porter, au nom de mon

groupe parlementa­ire, une propositio­n de loi sur le bien-être animal.

Vous proposez d’interdire, entre autres, l’élevage pour produire de la fourrure, les spectacles de dauphins et la chasse à courre. Avez-vous une chance d’obtenir un vote positif le 8 octobre ?

Avec les députés de la majorité, il y a des prises de position proches sur l’élevage pour la fourrure et sur la question des animaux sauvages dans les cirques. Les deux autres sujets abordés par la loi – l’élevage des animaux de rente et la chasse – sont plus délicats. Ils divisent les Marcheurs et chaque groupe parlementa­ire, à l’exception de la France insoumise.

Etes-vous un écologiste « amish » ?

Je regrette que le débat sur l’écologie devienne de plus en plus caricatura­l. Je rappelle que j’ai publié il y a deux ans un rapport sur l’intelligen­ce artificiel­le, et que je mène des auditions sur la recherche en matière d’hydrogène. Personne ne pourra prétendre que nous sommes des technophob­es antiprogrè­s au groupe EDS. Mais, sur la 5G, nous disons haut et fort qu’il faut prendre le temps de réfléchir et, avant toute décision, débattre du sujet clef de la sobriété numérique. Je crois qu’il est impossible de faire l’impasse sur cet enjeu aujourd’hui. On ne pourra pas faire un monde écologique de gaspillage. Il faut de la sobriété partout. Dans l’agricultur­e, développer des solutions agroécolog­iques qui jouent avec le vivant, au lieu de détruire toute vie à grands coups de chimie. Pour le bien-être animal, se concentrer sur des élevages à taille humaine où l’on a le temps de s’occuper des bêtes.

Voter Macron en 2022, c’est une évidence ?

Aujourd’hui, on est en 2020 !

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« Il faut des alliances, mais il faut aussi travailler le fond. Le reste vient naturellem­ent. »

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