Macron : comment avancer en reculant
Le rebond de la crise sanitaire prend complètement le président à contre-pied.
Il appelait cela la réinvention. Au printemps, Emmanuel Macron n’avait que le mot « nouveau » à la bouche : « Une nouvelle étape qui s’amorce pour le retour à la vie normale du pays », « un nouveau chemin » à dessiner, disait-il le 14 juin. « Le président était décidé à renverser la table, mais, en voyant peu à peu l’état psychologique du pays face au traumatisme du confinement, il change de pied », raconte l’un de ses proches. Cet été, le chef de l’Etat cherche néanmoins à marquer une césure dans le quinquennat et abat la carte majeure dont dispose un président de la République dans nos institutions : le changement de Premier ministre. « Il choisit M. Déconfinement pour être le M. Post-Covid », explique ce fidèle à propos du choix de Jean Castex. Mais, déjà, la réinvention n’est plus ce qu’elle devait être, elle a pour ainsi dire vécu : le maire de Prades incarne une « parenthèse conservatrice ». Il s’agit de revenir à la vie d’avant, de refroidir le moteur et non plus de transformer le modèle.
Dans la foulée, lors de son interview télévisée du 14 juillet, Emmanuel Macron déclare : « Nous avons réussi à endiguer le virus et à presque retrouver une vie normale, ça n’était pas une évidence. » Bien sûr, il savait que le coronavirus ne disparaîtrait pas ; imaginait-il pour autant que le pays serait de nouveau confronté, comme il l’est depuis quelques semaines, à une vague majeure ? L’exécutif peine dorénavant à définir sa doctrine. Confusion de ligne, confusion de communication. A la polémique sur les masques du printemps succède la controverse sur les tests de l’automne. Quelle « nouveauté »… Le ministre de la Santé Olivier Véran sort affaibli, le 11 septembre, d’un conseil de défense qui a beaucoup fuité sur cette question des tests, ce qui est en soi un problème politique – dans cette enceinte censée être la plus étanche de France, un membre de la majorité présidentielle a donc parlé. Furieux, Emmanuel Macron prévient ses proches : « Je trouverai la personne qui a fait cela. »
Moins de deux semaines plus tard, Olivier Véran est cette fois entendu, et ses recommandations pour davantage de restrictions dans plusieurs métropoles sont appliquées. Le pas de deux est incompréhensible, et il s’accompagne d’un paradoxe : Emmanuel Macron avait pris soin de montrer en mars que l’économique ne primait pas sur le sanitaire – c’était même l’un de ses objectifs principaux, car il était conscient de s’exposer à ce reproche, en raison de son profil et de son ADN politique. Or, aujourd’hui, son gouvernement est presque accusé de sacrifier le premier au profit du second.
C’est désormais l’ensemble de la machine gouvernementale qui paraît grippé. Depuis l’été, l’exécutif est incapable de dérouler une feuille de route. Le plan de relance s’épuise trop vite, comme si la séquence n’avait pas été assez pensée à l’avance ; le projet de loi contre le séparatisme avance trop lentement, comme si le texte n’avait pas été assez préparé.
Et voilà que resurgissent les querelles de personnes : les ministres se mettent à se chamailler. Ce n’est plus un gouvernement, c’est une cour de récréation. Jean-Michel Blanquer, qui a pu titiller des rêves régaliens – le président a songé à lui pour le ministère de la Justice, puis pour celui de l’Intérieur – dégaine un peu rapidement le terme « républicain » à propos de la tenue à l’école, et tous ses collègues ministres ou presque lui tombent dessus. Dans ce rôle de cible, Gérald Darmanin tient aussi son rang, régulièrement pris à partie par d’autres membres de la majorité. A l’Ecologie, Barbara Pompili peine, elle, à trouver sa place. Ce gouvernement a trois mois, il paraît déjà « fatigué, vieilli, usé » comme disait l’autre (Lionel Jospin à propos de Jacques Chirac, mais ce dernier allait alors avoir 70 ans, dont sept de présidence). Et à sa tête, Jean Castex, dont la nomination avait fait souffler un vent de fraîcheur, commence à être contesté de l’intérieur et contourné par l’extérieur.
La situation a un seul avantage pour Emmanuel Macron : à défaut d’aller de l’avant, il prend de la hauteur. Le chef du gouvernement doit servir de paratonnerre, les principaux ministres de boucliers. « Il y a plus de cacophonie, mais n’est-ce pas le prix à payer pour protéger le président ? », se console un macroniste de la première heure. Jusqu’à présent, la meilleure défense, c’était l’attaque. La meilleure défense, actuellement, c’est la défense.