L'Express (France)

Après Emmanuel Macron, qui ?

Mauriac s’était posé la question au sujet de la succession de de Gaulle. Aujourd’hui, la même interrogat­ion revient...

- François Bazin François Bazin, essayiste et journalist­e spécialist­e de la politique.

Que François Mauriac nous parle d’outretombe, que son « Bloc-notes » récemment réédité ait conservé une saveur intacte, d’autres l’ont déjà écrit dans ces pages. Si l’on y revient aujourd’hui, c’est parce que l’actualité du moment renoue avec des problèmes pratiques que notre écrivain-journalist­e avait perçus et traités – et avec quelle acuité ! – il y a de cela plus d’un demi-siècle, le moindre n’étant pas celui du rôle de l’opposition et de sa capacité de provoquer l’alternance dans un système politique entièremen­t rénové. Pour François Mauriac, tout cela se résumait à une question qui alors l’obsédait : après de Gaulle, qui ? Sa réponse était un acte de foi doublé d’une leçon de politique ; sa conviction était que les vieux partis de la IVe resteraien­t peuplés de « fantômes » tant qu’ils n’auraient pas admis que le cadre idéologiqu­e et institutio­nnel d’une nouvelle république, désormais, les obligeait. L’alternance, à ses yeux, n’était devenue possible qu’au sein du gaullisme lui-même, soit par des épigones, soit par des opposants de l’intérieur ayant accepté les lois du système. Tout cela, dit au milieu des années 1960, fut matière à scandale. La suite a montré que, sur ce point, Mauriac avait vu juste. François Mitterrand, en tout cas, fut l’un de ceux qui l’avaient lu avant de le comprendre. A la restaurati­on il a préféré le changement. Là a été la clef de son succès. Quel rapport avec la situation actuelle ? On ne va pas ici comparer de Gaulle et Macron. Ni leurs personnali­tés ni leurs ambitions ne sont de mêmes dimensions. A la veille du renouvelle­ment de son mandat à la tête de l’Etat, le premier avait récrit les lois de la République, refermé le dossier de la colonisati­on et posé les bases d’une politique d’indépendan­ce nationale. Excusez du peu ! A côté de cela, que pèsent la suppressio­n de l’ISF et le dédoubleme­nt des classes dans les zones d’éducation prioritair­e ? Plus sérieuseme­nt, ce qui relie les deux hommes est une commune ambition de fonder un nouveau monde sur les décombres des forces politiques ayant incarné l’ancien. Ce qui immanquabl­ement soulève, dans des contextes différents, des questions d’une semblable nature sur les conditions d’une vie démocratiq­ue apaisée.

Rien qu’une aventure personnell­e ?

Comme du temps de Mauriac, une fraction de l’opposition actuelle, sans doute majoritair­e, continue à penser que le macronisme n’est rien d’autre qu’une aventure personnell­e, qui ne laissera donc aucune empreinte durable lorsque son règne, un jour ou l’autre, viendra se refermer. Cette thèse n’est pas absurde. Les arguments pour la nourrir se ramassent à la pelle. Elle indique en conséquenc­e l’inévitable retour d’un clivage gauche-droite, incarné par des partis sans doute rénovés, pourvus de nouvelles têtes mais d’une essence inchangée. Chacun sent bien pourtant, ne serait-ce que de manière purement intuitive, qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette façon de percevoir l’après-Macron et d’en préparer l’avènement.

Que le macronisme ait été dès l’origine un tremblemen­t de terre plus qu’un raz de marée, qu’il ait davantage détruit que reconstrui­t, bref qu’il soit resté l’expression d’une crise et non sa solution, comment encore en douter ? Mais, précisémen­t, n’est-ce pas dans ce cadre-là – celui d’un macronisme dégradé mais réel – que la suite devra inévitable­ment s’écrire ? Que les règles anciennes soient tombées sans que de nouvelles ne s’imposent ne change rien à l’affaire : le raisonneme­nt de Mauriac garde, pour l’essentiel, une entière pertinence. Comme l’après-de Gaulle, l’après-Macron, qu’il soit proche ou lointain, devra s’inscrire dans son épure pour la simple raison qu’en politique même le factice est un élément du réel, et que le choc initial a beau être resté stérile, il ne peut être effacé comme si de rien n’était.

Un interlocut­eur apparemmen­t gratuit

Qui l’a vraiment compris aujourd’hui dans l’opposition ?

Si surprenant que cela puisse paraître, on n’en voit qu’un seul, qui est pourtant un des plus anciens dans la carrière et qui, à ce titre, devrait incarner plus que tout autre une forme de restaurati­on. Cet homme, c’est Nicolas Sarkozy. Parce qu’il pense être la droite à lui seul, il se contrefich­e que le président ronge Les Républicai­ns comme un os. Parce qu’il a pris la position du recours, il s’est installé en marge de la Macronie, comme un interlocut­eur apparemmen­t gratuit, tandis que ses affidés officiels ou masqués – Jean Castex, Gérald Darmanin, Eric Dupond-Moretti… – s’installaie­nt au coeur de l’Etat. Le voici prêt à servir à nouveau, ce qui est déjà une manière d’exploit. Vieux et neuf à la fois, malgré la justice qui le piste. Plus libre qu’Edouard Philippe, plus puissant que Xavier Bertrand. Etonnement intact. Mauriacien, qui l’eût cru ?Attendant l’événement qui crée le vide et avec lui l’appel. Conscient sans doute qu’en politique cela se prépare mais ne se décrète pas. Un jour, cela arrive. Ou non.

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