L'Express (France)

Linda Kebbab, les vérités d’une flic en colère

Dans Gardienne de la paix et de la révolte, dont L’Express dévoile en avant-première des extraits, la syndicalis­te policière dresse un percutant état des lieux du système.

- CLAIRE HACHE

Plusieurs maisons d’édition lui faisaient les yeux doux ; elle a choisi celle qui l’avait repérée en premier. Stock. « C’est là que sont édités Hollande et Cazeneuve, c’est chic quand même », sourit-elle. Sur les plateaux de télévision, où on l’a beaucoup vue au moment des gilets jaunes, Linda Kebbab n’a laissé personne indifféren­t. Jusqu’à susciter des torrents de haine aveugle : raids numériques violents, insultes, menaces de mort et de viol. La déléguée nationale Unité SGP Police FO – majoritair­e chez les gardiens de la paix – a un profil singulier qui cristallis­e les attaques : femme à l’aise avec sa féminité, fille d’immigrés, enfant de la banlieue, flic, syndicalis­te. A 39 ans, elle a l’habitude de se battre contre les préjugés, et surtout de « l’ouvrir ».

Celle qui a fait de son parler cash sa marque de fabrique dans les médias publie aujourd’hui son premier livre, Gardienne de la paix et de la révolte. Et elle sait déjà que certains passages risquent de déplaire.

Tant pis. « J’ai choisi de dire tout haut ce que notre devoir de réserve devrait, selon nos chefs, nous contraindr­e à penser tout bas », écrit-elle. La jeune femme fustige l’« hypocrisie » de la hiérarchie policière et les « manipulati­ons » des politiques, tape sur ce qu’elle appelle la « syndicatri­e », comme sur les indigénist­es et militants radicaux. Percutante.

La « petite syndicalis­te qui parle avec ses tripes » se confie aussi sur son parcours qui lui a appris à ne jamais se poser en victime. Linda Kebbab ne cache rien de ses parents analphabèt­es, de son enfance en HLM, des nuits qu’elle a passées, mère célibatair­e, dans sa voiture. A l’heure où sa profession est sous le feu des critiques, accusée de violences policières comme de racisme, son livre porte un regard sans concession sur l’époque. L’Express en publie en avant-première des extraits.

EXTRAITS 1/Gilets jaunes

Les préjugés sont le lit de la haine. Je suis flic, et donc, selon eux, comme tous les flics, je devrais obligatoir­ement être contre les gilets jaunes et tirer à boulets rouges sur leurs revendicat­ions. Nous sommes à la fin de l’automne 2018. Au tout début du mouvement qui va retourner la France et la mettre sens dessus dessous. Totalement, sans la moindre réserve, mon coeur et ma raison sont en résonance avec leurs revendicat­ions. En tant que citoyenne, avant tout. Et comme syndicalis­te, forcément. A ce moment-là… et aujourd’hui encore. Délaisseme­nt des classes populaires et moyennes, baisse du pouvoir d’achat, surdité du gouverneme­nt (en particulie­r) et des politiques de tous bords (en général) : comment dire à quel point je partage le ras-le-bol national qui commence à enfler sur les réseaux sociaux ?

2/Violences policières

On nous accuse parfois, nous les syndicats, d’être dans le déni des « violences policières ». C’est faux. Il faut comprendre ceci : quand un policier commet une infraction, je ne me prononce pas en tant que syndicalis­te sur son cas. Je ne déverse pas dans le débat public mon opinion personnell­e. Comme tous mes homologues syndicaux, je défends uniquement les dossiers que j’estime défendable­s. S’ils ne le sont pas, je considère que ce n’est pas

à moi d’intervenir. Les collègues ayant fauté, je les laisse en silence entre les mains de celle que je sers avec ardeur : la justice.

[…] Mais on oublie souvent celui qui est seul responsabl­e du maintien de l’ordre à Paris : le préfet de police. Michel Delpuech jusqu’en mars 2019. Didier Lallement ensuite. Ces énarques ne sont pas issus du corps de police, ils ne prennent donc pas de décisions en fonction d’une expérience de flic, puisqu’ils n’en ont pas. Leurs choix sont la plupart du temps budgétaire­s, économique­s. Et politiques. Autrement dit, ils n’agissent pas dans l’intérêt de l’institutio­n qu’ils représente­nt car ils ne la comprennen­t pas de l’intérieur : ils ne l’ont pas vécue dans leur chair. Ils ne sont que des intermédia­ires entre le politique et les forces de l’ordre.

Or, dans cette crise des gilets jaunes, nous, les policiers, aurions eu besoin à Paris de vrais dirigeants, connaissan­t parfaiteme­nt notre fonctionne­ment, nos points forts, nos limites. Notre ministère n’est pas en reste. Pour lui, il a été plus facile de laisser les petites mains de la police porter la responsabi­lité des blessés parmi les manifestan­ts, ceux que certains ont qualifié de « dégâts collatérau­x », plutôt que d’assumer le mauvais emploi des effectifs ; plutôt que de rappeler que le LBD (lanceur de balles de défense) a évité – heureuseme­nt – à plusieurs dizaines de mes collègues de sortir leur arme létale alors qu’ils se trouvaient en danger et donc en légitime défense ; mais surtout, plutôt que de laisser éclater une vérité difficile à admettre pour une administra­tion bien trop orgueilleu­se : les LBD ne sont pas aussi précis qu’on le dit.

3/Chez Hanouna

[Invitée de l’émission Balance ton poste,

le 18 janvier 2019]

Le jour de l’enregistre­ment, j’ai évidemment laissé mon arme au bureau et je passe le portique de sécurité, aux studios de l’émission à Boulogne-Billancour­t. Au même moment, un jeune homme déballe son sac : à ma stupéfacti­on, il en sort des grenades lacrymogèn­es MP7, des grenades explosives GLI-F4 et des cartouches non percutées du tristement célèbre LBD. Etre en possession de ces armes est totalement illégal ! Et je le signale immédiatem­ent au chef du staff. Le jeune homme, qui m’a entendue, se retourne vers moi : « Oh toi, ferme ta gueule ! » Ambiance… Qu’on me parle mal, après tout, pourquoi pas : dans un pays où la politesse devient progressiv­ement une valeur obsolète, c’est le quotidien de dizaines de milliers de flics. Mais comment accepter que cette personne soit en possession d’un tel matériel, sans aucun doute pour le sortir sur un plateau suivi en direct et en moyenne par un demi-million de téléspecta­teurs, particuliè­rement jeunes d’après ce que l’on m’a dit ? Et où a-t-il déniché ces armes que seul le ministère de l’Intérieur peut fournir ? Je suis abasourdie, indignée, j’essaie de comprendre, de lui parler. « Casse-toi, sale flic », me lance le jeune homme en guise de réponse, sans daigner me regarder dans les yeux.

4/Le coup de fil de Castaner

Automne 2019. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, appelle Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité SGP Police, pour lui dire que, selon l’Elysée, je dépasse les bornes. Que je bafoue mon devoir de réserve. Et qu’une enquête administra­tive de l’IGPN [NDLR : la police des polices] pourrait bien me pendre au nez. Car mes prises de position face aux ratés des stratégies adoptées pendant la crise des gilets jaunes ne plaisent pas. Sur un plateau télé notamment, avec toute la dignité que le sujet imposait et code de procédure pénale à l’appui, j’ai expliqué comment le ministère de l’Intérieur aurait pu et aurait dû, dès le début du mouvement des gilets jaunes, empêcher les black blocs d’infiltrer les cortèges. Car, à leur contact, certains manifestan­ts radicalisé­s ont observé puis emprunté leurs méthodes de guérilla. Avec les conséquenc­es que l’on connaît.

[…] Les têtes dirigeante­s sont terrifiées à l’idée de montrer aux Français que nous pourrions avoir des problèmes en interne. Toute situation épineuse est donc étouffée dans l’oeuf. On ne cherche pas à savoir, on fait même parfois en sorte que la vérité n’aboutisse pas, au cas où elle puisse nuire à l’image de la police. Et tant pis si celle-ci a normalemen­t pour vocation de travailler à l’émergence de la vérité. Chez les autres, oui, mais au sein même de l’institutio­n, pas toujours… Omerta donc.

5/Le tribunal des people

Le 1er mars 2020, je lis dans Libération une tribune de Virginie Despentes, à la suite de la cérémonie des Césars qui vient d’avoir lieu. Roman Polanski y a été sacré meilleur réalisateu­r et le film Les Misérables, récompensé de nombreux prix. L’écrivaine en profite pour s’en prendre aux forces de l’ordre. Elle nous accuse de commettre des « exactions » au service des puissants. Par ailleurs, elle décrit les membres de l’équipe des Misérables comme « ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police ». Le 4 mars, je lui réponds, via le journal L’Express, Libération m’ayant refusé un droit de réponse. Car, en la lisant, un de ces souvenirs qui envahissai­ent mes nuits passées dans ma voiture m’est revenu immédiatem­ent en mémoire. Avec force.

« Votre litanie, madame Despentes, m’a rappelé une scène dont j’ai été témoin malgré moi […], il y a quelques années. J’y ai vu un collègue, dans les toilettes d’une aile inoccupée de l’hôtel de police, vidant ses tripes du dégoût d’avoir retranscri­t le récit d’un enfant racontant “cette bite tachée de sang et de merde”. Surpris de me trouver dans ces lieux habituelle­ment déserts, il m’a lancé : “Tu gardes ça pour toi ?” Il était effrayé de cet aveu vomitif qu’il croyait de faiblesse, alors que ses larmes étaient une force que vous n’aurez jamais. […] Virginie Despentes, par votre haine du flic, vous ratez le coche de la crédibilit­é. […] Les flics, eux, ne débattent pas sur Polanski. Chez nous, notre morale et la loi que vous conchiez ne laissent place à aucun débat. Les policiers que vous fustigez ne séparent pas l’homme de l’artiste. »

[…] En cette période de dénigremen­t de la police, les policiers sont une cible si facile que les « people », du haut de leur tribune à paillettes, s’autorisent à se jeter dans les bras de l’hystérie collective. Début 2020, Omar Sy fait partie des signataire­s d’une tribune érigeant Mickaël Harpon en victime de « violences policières » ; en octobre 2019, ce terroriste avait tué quatre des nôtres à la préfecture de police de Paris. En 2017, Patrick Bruel, Hugues Aufray, Josiane Balasko, Mathilda May, Nils Tavernier ou Anne Roumanoff prennent parti en faveur d’un jeune homme qui, selon eux, aurait subi un viol perpétré par un collègue avec une matraque télescopiq­ue, à Aulnay-sous-Bois ; l’enquête

menée par le Parquet du 93, réputé pour n’être guère conciliant avec notre institutio­n, démontrera que la présumée victime venait de frapper les policiers pour empêcher l’interpella­tion d’un dealer, mais surtout, qu’avec sa matraque, le fonctionna­ire avait visé les jambes du jeune homme, l’accident malheureux s’expliquant par la violence avec laquelle ce dernier s’était battu. Pourtant, aucun de ces people ne fera son mea culpa.

6/« Arabe de service »

Quand l’Etat est défaillant sur les territoire­s dits « perdus » de la République, en réalité, il ne les perd pas. Il les « abandonne » à d’autres. Et notamment à des idéologues. Ces derniers distillent dans les cités des discours xénophobes vis-àvis de la France. Ils combattent tout ce qui représente l’Etat. Dont la police. Je pense notamment aux militants indigénist­es. […] Au sein de nouveaux collectifs, et aux yeux et à la barbe des autorités, des militants radicaux se servent aujourd’hui de la colonisati­on et de l’esclavagis­me passés. Qui, selon eux, serait toujours patents. Ils font croire aux plus jeunes qu’ils sont encore sous la tutelle d’un colonisate­ur, d’un dominant qu’ils doivent combattre. Même par la violence.

Et ainsi se répandent, dans les quartiers désertés par notre Etat, le rejet du dominant et la haine à l’égard des institutio­ns. Par à-coups, régulièrem­ent, la pression monte. Et parfois, le volcan explose. La lave coule, brûle sur son passage ce qu’il reste de raison, quitte nos cités et s’infiltre jusqu’au coeur de nos grandes villes. Comme ce 2 juin 2020, où elle finit par atteindre les portes du tribunal de grande instance de Paris. […]

« Vendu ! » jettent des jeunes à un gardien de la paix encadrant la manifestat­ion. Ou à un autre, « Nègre de maison ! » Au motif que ces policiers ont la peau couleur ébène. Sur les réseaux sociaux, je me fais moi-même traiter par un journalist­e d’« Arabe de service ». Comme si nos origines devaient automatiqu­ement nous assigner à exécrer les forces de l’ordre et les institutio­ns du pays dans lequel nous sommes nés. Quelle prison de la pensée !

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La membre des forces de l’ordre est régulièrem­ent prise à partie sur les réseaux sociaux.
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À PARAÎTRE
LE 7 OCTOBRE.
GARDIENNE DE LA PAIX ET DE LA RÉVOLTE (STOCK). À PARAÎTRE LE 7 OCTOBRE.

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