L'Express (France)

Ursula et Angela, doubles inversés

La présidente de la Commission européenne est la véritable successeur­e de la chancelièr­e allemande.

- Marion Van Renterghem Marion Van Renterghem, grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres, auteure d’une biographie d’Angela Merkel et d’un essai autobiogra­phique sur l’Europe.

En décembre 2019, Angela Merkel et Ursula von der Leyen se sont retrouvées parmi les quatre femmes les plus puissantes du monde. Presque côte à côte, n° 1 et n° 4 (séparées par Christine Lagarde et Nancy Pelosi), selon le classement du magazine Forbes.

En décembre 2021, l’une aura probableme­nt disparu du tableau, bien qu’elle soit une grande habituée de la première place : au terme de ses seize années de pouvoir, la chancelièr­e allemande se sera retirée après les élections fédérales de septembre auxquelles elle refuse de se représente­r, malgré une popularité intacte. L’autre, première femme élue à la tête de la Commission européenne en mai 2019, propulsée et confortée par les défis mondiaux de la crise du Covid-19, est bien partie pour lui succéder au sommet. Angela et Ursula, 66 et 61 ans : difficile de faire à la fois plus différente­s et plus semblables que ces deux sexagénair­es allemandes nées de chaque côté de l’ancien Mur et que l’Europe, autant qu’un style de politique, a rapprochée­s au point de les rendre indissocia­bles. Maître et disciple, rivales et amies, doubles inversés.

L’ovni politique et la femme parfaite

Quand Ursula fait son jogging dans les rues de Bruxelles, la silhouette sportive et élancée, ou quand, ministre de la Défense, elle s’adonne à une démonstrat­ion de dressage sur un cheval de compétitio­n devant des militaires épatés, Angela a renoncé depuis longtemps à ses rares tentatives de courir dans les jardins de la chanceller­ie, comme le lui avait jadis recommandé son ami, le cinéaste Volker Schlöndorf­f. Pour l’électorat conservate­ur chrétien de la CDU, Ursula est la femme parfaite : issue d’une vieille famille bourgeoise et catholique aux connexions aristocrat­iques, mère de sept enfants (comme le fut aussi sa propre mère), fille d’un baron du parti, Ernst Albrecht, ministre-président de la Basse-Saxe après avoir été haut fonctionna­ire européen, mariée à un médecin d’origine noble et fortuné, rencontré à la chorale de l’université de Göttingen – qui l’accompagne au violoncell­e quand elle se met au piano, les enfants complétant l’orchestre… Ursula est également polyglotte et cosmopolit­e, née à Bruxelles, éduquée entre la Belgique, l’Allemagne, l’Angleterre et les Etats-Unis – docteure en médecine et diplômée de la London School of Economics où elle étudiait sous un faux nom, étant la cible des terroriste­s d’extrême gauche de la Fraction armée rouge, à la fin des années 1970.

Bref, de quoi donner des complexes au plus gonflé des ego.

A côté, Angela est un ovni, pour ne pas dire un vilain petit canard dans ce parti qui, lorsqu’elle fut remarquée par l’ancien chancelier Helmut Kohl, n’avait jamais vu dans ses rangs un cas pareil : divorcée, sans enfants, protestant­e, la frange coupée de travers et habillée comme l’as de pique, fille de pasteur, entrée en politique sans privilèges ni réseaux, docteure en chimie quantique sur un sujet de thèse incompréhe­nsible, formatée à l’école de la prudence, des frustratio­ns, des peurs, de la grisaille et des codes contraigna­nts de la dictature d’Allemagne de l’Est, où elle a passé les trente-cinq premières années de sa vie.

L’Europe en héritage

Toutes deux sont scientifiq­ues. Toutes deux sont venues à la politique sur le tard – Angela quand le Mur est tombé, Ursula dix ans après, à la fin des années 1990, députée de Basse-Saxe et ministre sans interrupti­on dans tous les gouverneme­nts de Merkel, de 2005 à 2019. Toutes deux ont imposé le même style en politique : femmes de dossier, de mesure, de sobriété, de valeurs. Toutes deux ont secoué le conservati­sme de la CDU, notamment par le développem­ent des crèches, y compris au sein de l’armée, qui rompt la tradition de la femme au foyer. Et toutes deux, contrairem­ent aux apparences, partagent la même conviction sur l’Europe. Angela Merkel, qui n’a pas voulu aider Ursula von der Leyen à devenir présidente de la République fédérale allemande ni pour lui succéder à la Chanceller­ie, comme elle y était pressentie, s’est battue pour lui confier son véritable héritage, éthique et politique : la constructi­on d’une Europe-puissance, qu’elle-même n’a jamais osée ni vraiment voulue en tant que chancelièr­e, mais dont elle a rêvé en tant qu’enfant de la RDA et qu’elle a finalement mise en place avant son départ, par un plan de relance commun historique. Le discours d’Ursula von der Leyen sur l’Etat de l’Union, mercredi 16 septembre, a posé la première pierre d’une Europe politique dans notre nouveau monde agité par la crise du Covid-19, l’abandon des Etats-Unis, la surpuissan­ce de la Chine et l’agonie du multilatér­alisme. « La vraie successeur­e d’Angela Merkel, c’est Ursula von der Leyen », estime Alexandre RobinetBor­gomano, de l’Institut Montaigne. Angela s’en va, Ursula arrive.

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