« La République a survécu à des décennies d’écoliers en culottes courtes »
Revenir au bon sens cartésien... Et si c’était la solution pour mettre un terme à la récente polémique sur les tenues appropriées ou non au sein des établissements scolaires, qui relève de faux problèmes et témoigne d’un sexisme latent ?
Personne ne songerait à qualifier les shorts des garçons d’« affriolants » (dixit un CPE quimpérois), ou à dire à ces jeunes gens, comme tant de collégiennes et de lycéennes l’ont entendu, que leur tenue « déconcentre » leurs camarades de classe
« LE BON SENS est la chose du monde la mieux partagée, disait «
Descartes, car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. » On retient traditionnellement du philosophe l’affirmation de l’universalité de la faculté rationnelle. Mais on gagnerait à relever l’ironie de son entrée en matière, tant la récurrence de l’appel au « bon sens » est moins souvent le signe de la raison que le symptôme de la certitude d’avoir raison.
Et si, au lieu de nous réclamer (très librement) de Descartes, nous redevenions cartésiens ? Nous pourrions ainsi faire valoir auprès du président Macron – qui, interpellé au sujet de la polémique actuelle sur la tenue des collégiennes et lycéennes, répond « le bon sens vaut mieux qu’un long règlement en la matière » – que le « bon sens » commande en réalité qu’on questionne le règlement, non qu’on le lui oppose. En effet, si la règle nous prémunit contre les caprices de l’arbitraire qui revêt à l’envi l’alibi du « bon sens » mal compris, la raison s’assure qu’elle soit justifiée.
Le traitement politique de cette affaire n’est pour l’heure pas à la hauteur des enjeux ni propre à dissiper le flou complet qui les entoure. Quand le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, décrète que le short, qu’il prend en exemple pour démontrer que « ce n’est pas un sujet spécifiquement pour les filles », n’est pas une « tenue républicaine » digne d’être portée au collège, il commet deux erreurs. La première, c’est de poser comme une évidence une idée pour le moins vaporeuse : qu’est-ce, exactement, qu’une « tenue républicaine » ? En quoi le short nous rendrait-il moins fraternels, moins égaux ou moins libres ? La seconde, qui n’est pas des moindres pour un gouvernement dont le président a fait des droits des femmes la « grande cause » de son quinquennat, consiste à confondre la question de la « tenue correcte » en milieu scolaire avec celle du traitement inégalitaire (et donc antirépublicain) des tenues, pour mieux ignorer la seconde. Le sexisme, hélas, ne s’arrête pas miraculeusement aux portes de l’école.
Quiconque a dû enseigner dans une salle de classe surchargée et surchauffée pourra concevoir que, en milieu scolaire, ce soit la compatibilité avec l’apprentissage qui détermine prioritairement l’adaptation de la tenue au lieu. Et si la République française trouve aussi son sens et sa fierté dans son école, comment pourrait-on s’en réclamer pour interdire sans autre explication le port de vêtements plus légers lorsque la température élevée a un impact sur la capacité de concentration des élèves, qu’on sait fragile ? Puisque les débats sur la tenue scolaire savent se hisser à la hauteur des valeurs républicaines – songeons notamment à celui qui questionne l’opportunité de l’uniforme et ses vertus égalitaires –, assurons-nous que le décret péremptoire ne prenne pas le pas sur l’exigence de faire sens. La République a survécu à des décennies d’écoliers et de collégiens en culottes courtes – en témoignent les photos de classes de nos aïeux. Gageons que son sort ne dépend pas plus aujourd’hui qu’hier du degré d’exposition des jambes des élèves.
Non content d’être le symbole d’un faux problème, le short est également le marqueur d’un aveuglement volontaire. Que des établissements scolaires interdisent le short aux garçons comme aux filles ne devrait pas occulter une dissymétrie inacceptable : jamais les réprimandes vestimentaires adressées aux garçons n’évoquent une soumission de leur corps au regard des filles. Personne ne songerait à qualifier les shorts des garçons d’« affriolants » (dixit un CPE quimpérois), ou à dire à ces jeunes gens, comme tant de collégiennes et de lycéennes l’ont entendu, que leur tenue « déconcentre » leurs camarades de classe.
Si la République a son mot à dire, si elle n’a pas le droit de se taire, c’est bien quand de jeunes citoyennes lui demandent de mettre un terme à la sexualisation de leur corps, qui entrave aussi bien l’égalité des droits que le développement d’un rapport à soi sain. L’école fidèle à ses valeurs ne devrait pas fermer les yeux sur le long et délétère processus d’intériorisation du sexisme qui force une enfant à intégrer très tôt que son corps est un problème, une tentation coupable, jusqu’à faire peser insidieusement sur elle et sur ses habits la responsabilité des éventuelles agressions qu’elle subira.
La grandeur de Marianne se mesure à sa capacité d’écoute et de remise en question. Non à la longueur de sa jupe.