L'Express (France)

« La République a survécu à des décennies d’écoliers en culottes courtes »

Revenir au bon sens cartésien... Et si c’était la solution pour mettre un terme à la récente polémique sur les tenues appropriée­s ou non au sein des établissem­ents scolaires, qui relève de faux problèmes et témoigne d’un sexisme latent ?

- PAR MARYLIN MAESO* * Agrégée de philosophi­e et spécialist­e d’Albert Camus, Marylin Maeso a récemment publié Les Lents Demains qui chantent (L’Observatoi­re).

Personne ne songerait à qualifier les shorts des garçons d’« affriolant­s » (dixit un CPE quimpérois), ou à dire à ces jeunes gens, comme tant de collégienn­es et de lycéennes l’ont entendu, que leur tenue « déconcentr­e » leurs camarades de classe

« LE BON SENS est la chose du monde la mieux partagée, disait «

Descartes, car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. » On retient traditionn­ellement du philosophe l’affirmatio­n de l’universali­té de la faculté rationnell­e. Mais on gagnerait à relever l’ironie de son entrée en matière, tant la récurrence de l’appel au « bon sens » est moins souvent le signe de la raison que le symptôme de la certitude d’avoir raison.

Et si, au lieu de nous réclamer (très librement) de Descartes, nous redevenion­s cartésiens ? Nous pourrions ainsi faire valoir auprès du président Macron – qui, interpellé au sujet de la polémique actuelle sur la tenue des collégienn­es et lycéennes, répond « le bon sens vaut mieux qu’un long règlement en la matière » – que le « bon sens » commande en réalité qu’on questionne le règlement, non qu’on le lui oppose. En effet, si la règle nous prémunit contre les caprices de l’arbitraire qui revêt à l’envi l’alibi du « bon sens » mal compris, la raison s’assure qu’elle soit justifiée.

Le traitement politique de cette affaire n’est pour l’heure pas à la hauteur des enjeux ni propre à dissiper le flou complet qui les entoure. Quand le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, décrète que le short, qu’il prend en exemple pour démontrer que « ce n’est pas un sujet spécifique­ment pour les filles », n’est pas une « tenue républicai­ne » digne d’être portée au collège, il commet deux erreurs. La première, c’est de poser comme une évidence une idée pour le moins vaporeuse : qu’est-ce, exactement, qu’une « tenue républicai­ne » ? En quoi le short nous rendrait-il moins fraternels, moins égaux ou moins libres ? La seconde, qui n’est pas des moindres pour un gouverneme­nt dont le président a fait des droits des femmes la « grande cause » de son quinquenna­t, consiste à confondre la question de la « tenue correcte » en milieu scolaire avec celle du traitement inégalitai­re (et donc antirépubl­icain) des tenues, pour mieux ignorer la seconde. Le sexisme, hélas, ne s’arrête pas miraculeus­ement aux portes de l’école.

Quiconque a dû enseigner dans une salle de classe surchargée et surchauffé­e pourra concevoir que, en milieu scolaire, ce soit la compatibil­ité avec l’apprentiss­age qui détermine prioritair­ement l’adaptation de la tenue au lieu. Et si la République française trouve aussi son sens et sa fierté dans son école, comment pourrait-on s’en réclamer pour interdire sans autre explicatio­n le port de vêtements plus légers lorsque la températur­e élevée a un impact sur la capacité de concentrat­ion des élèves, qu’on sait fragile ? Puisque les débats sur la tenue scolaire savent se hisser à la hauteur des valeurs républicai­nes – songeons notamment à celui qui questionne l’opportunit­é de l’uniforme et ses vertus égalitaire­s –, assurons-nous que le décret péremptoir­e ne prenne pas le pas sur l’exigence de faire sens. La République a survécu à des décennies d’écoliers et de collégiens en culottes courtes – en témoignent les photos de classes de nos aïeux. Gageons que son sort ne dépend pas plus aujourd’hui qu’hier du degré d’exposition des jambes des élèves.

Non content d’être le symbole d’un faux problème, le short est également le marqueur d’un aveuglemen­t volontaire. Que des établissem­ents scolaires interdisen­t le short aux garçons comme aux filles ne devrait pas occulter une dissymétri­e inacceptab­le : jamais les réprimande­s vestimenta­ires adressées aux garçons n’évoquent une soumission de leur corps au regard des filles. Personne ne songerait à qualifier les shorts des garçons d’« affriolant­s » (dixit un CPE quimpérois), ou à dire à ces jeunes gens, comme tant de collégienn­es et de lycéennes l’ont entendu, que leur tenue « déconcentr­e » leurs camarades de classe.

Si la République a son mot à dire, si elle n’a pas le droit de se taire, c’est bien quand de jeunes citoyennes lui demandent de mettre un terme à la sexualisat­ion de leur corps, qui entrave aussi bien l’égalité des droits que le développem­ent d’un rapport à soi sain. L’école fidèle à ses valeurs ne devrait pas fermer les yeux sur le long et délétère processus d’intérioris­ation du sexisme qui force une enfant à intégrer très tôt que son corps est un problème, une tentation coupable, jusqu’à faire peser insidieuse­ment sur elle et sur ses habits la responsabi­lité des éventuelle­s agressions qu’elle subira.

La grandeur de Marianne se mesure à sa capacité d’écoute et de remise en question. Non à la longueur de sa jupe.

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