LUMIÈRE D’ÉTÉ, PUIS VIENT LA NUIT
Dans le village islandais décrit par Jon Kalman Stefansson, il n’y a pas de cimetière ni d’église. Mais il est peuplé d’habitants âgés, dont « on dirait que la mort les a oubliés », et aussi de Sigridur – dont la beauté fait des ravages –, Kjartan – jeune homme obèse, marié et infidèle –, Jonas – sur les traces de son père policier –, ainsi que de nombreux fantômes. Dès le titre, Lumière d’été, puis vient la nuit, surgit la dimension poétique de l’écriture, à l’oeuvre dans le roman tout entier. Elle traduit le glissement permanent entre la perspective – lointaine – d’un village dont les résidents forment une constellation de vies abstraites, et celle des histoires personnelles. Au fil des interactions, la trame révèle l’ambiguïté des personnages : amours, humiliations, souvenirs, transformations individuelles et collectives… La première métamorphose est celle du directeur de l’Atelier de tricot qui, un jour, reçoit une lettre en latin et décide d’étudier la langue à Reykjavik. « L’Astronome » revient bilingue, ermite, grand lecteur, chineur de vieux livres, et donne des conférences savantes au collectif. « Délaissant toutes contingences terrestres / je me suis tourné vers le ciel… »
Dans ce roman au subtil humour noir, l’intervention d’un narrateur omniscient dont on ne sait rien laisse apparaître les coulisses de la construction du récit. Le village, aux contours géographiques flous, baigne dans une atemporalité qui imprègne le texte et les lecteurs eux-mêmes, transportés dans une intrigue sans intrigue, un déroulement d’histoires non chronologique… En somme, dans une véritable expérience de lecture poétique.