L'Express (France)

Mitch McConnell, le Machiavel de Washington

Discret, calculateu­r, le chef de la majorité républicai­ne au Sénat est un allié indispensa­ble pour Donald Trump. L’ambitieux duo fonctionne à merveille.

- W C. Pe.

Adolescent, Mitch McConnell a une révélation : lui, le petit timide à lunettes qui n’a pas d’amis et s’assoit seul au fond de la classe, a soif de pouvoir. Chaperonné par sa mère, le jeune garçon vise alors la présidence du conseil des élèves de son lycée du Kentucky. Effacé et peu charismati­que, McConnell courtise ses condiscipl­es les plus populaires, les pom-pom girls et les athlètes, en leur offrant « ce que les ados désirent le plus : des compliment­s », écrit-il dans son autobiogra­phie, The Long Game (« Le long terme », 2016). A la surprise générale, il l’emporte et goûte pour la première fois au pouvoir. « Aussitôt, je suis devenu accro », reconnaît-il dans son livre.

Aujourd’hui, soixante ans plus tard, Mitch McConnell continue de porter des lunettes trop grandes pour lui et de cultiver sa discrétion. Mais, à 78 ans, l’ado du Kentucky est devenu l’un des hommes les plus puissants des Etats-Unis. Il règne sur le Sénat en tant que chef de la majorité républicai­ne et impose une discipline de fer à ses troupes. Pas un vote, pas une indiscréti­on ne lui échappent. « Il a une habileté hors norme pour convaincre les sénateurs républicai­ns qu’ils votent dans leur propre intérêt en suivant ses consignes, alors qu’ils ont des points de vue très variés, note Justin Crowe, professeur de sciences politiques au Williams College. Rassembler les libertarie­ns, les ultraconse­rvateurs et les modérés lui donne une puissance politique inouïe. » Aux Etats-Unis, toute législatio­n doit être validée par le Sénat. Autant dire que Mitch McConnell fait la loi.

Depuis 2016, le leader républicai­n a mis ses pouvoirs démesurés au service d’un milliardai­re fantasque qui est son opposé. Pour accéder à la Maison-Blanche, Donald Trump a surfé sur la haine populaire contre les élites de Washington, dont Mitch McConnell, élu depuis quatre décennies, est l’incarnatio­n flagrante. Le premier est un populiste qui savoure ses victoires dans l’instant ; le second, un bureaucrat­e qui aime bâtir sur le temps long. Pourtant, le duo fonctionne à merveille, comme l’a prouvé le blocage, sans suspense, par le Sénat de la procédure de destitutio­n de Donald Trump en début d’année. « Une fois élus, les démagogues comme Trump ne sont capables de gouverner que s’ils ont des gens comme McConnell à leur côté, explique Bill Kristol, commentate­ur politique conservate­ur. Les cadres du Parti républicai­n auraient pu se rebeller contre le comporteme­nt et les actes parfois dangereux de ce président. Mais McConnell tient les rangs et lui permet de continuer. » Réputé pour son indépendan­ce, le Sénat est alors devenu une simple branche de l’administra­tion Trump. La femme de Mitch McConnell, Elaine Chao, héritière d’un empire du transport maritime, siège d’ailleurs au gouverneme­nt en tant que secrétaire aux… Transports.

« Il s’affranchit de toute norme, de toute morale, pour parvenir à ses fins »

Si les deux hommes s’entendent si bien, c’est qu’ils partagent la même ambition : gagner et façonner les Etats-Unis selon leurs désirs. Pour changer la société, le chef de la majorité républicai­ne au Sénat mise non pas sur les lois, qui l’obligent à négocier avec les démocrates, mais sur les juges. « Mitch a une vraie obsession avec ça, a confié Donald Trump au journalist­e Bob Woodward. Les juges, les juges, les juges. Je peux lui proposer dix ambassadeu­rs, il préférera toujours confirmer un juge. » Résultat, le président a nommé 216 juges fédéraux, davantage qu’aucun de ses prédécesse­urs ne l’avait fait à ce stade de leur mandat. Surtout, Mitch McConnell lui a assuré la possibilit­é de nommer trois juges à la Cour suprême, dont les neuf sages contrôlent tout changement de société. Remplacer Ruth Bader Ginsburg, décédée le 18 septembre, avant la présidenti­elle relevait de l’exploit politique et administra­tif. Il n’aura pourtant fallu que trois jours à McConnell pour sécuriser les votes nécessaire­s, alors qu’il avait bloqué la nomination d’un juge par Barack Obama en février 2016, plus de huit mois avant l’élection présidenti­elle. « Ses manoeuvres au Sénat sont à la fois brillantes et extrêmemen­t cyniques, souligne Justin Crowe. C’est un homme politique qui s’affranchit de toute norme, de toute morale, pour parvenir à ses fins. » A la manière d’un certain Donald Trump.

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Les manoeuvres de Mitch McConnell (à g.) ont assuré au président la possibilit­é de nommer trois juges à la Cour suprême.

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