L’art de décider en temps de crise, par Nicolas Bouzou
Diriger une entreprise ou un Etat en cette période d’incertitude sanitaire relève de la performance.
On comprend (j’espère) la difficulté extrême à prendre des décisions politiques dans un environnement inédit. Le choix politique se heurte à deux difficultés. D’une part, quelles voies prendre sachant que nous sommes tributaires d’un virus encore mystérieux et qui circule dans le monde entier ? Autrement dit, comment décider et communiquer de façon cohérente alors même que la vérité d’aujourd’hui n’est ni celle d’hier ni celle de demain ? D’autre part, comment arbitrer entre impératifs sanitaires et économiques ?
Choisir, ce casse-tête
Car les légitimités s’affrontent : les professionnels de santé, qui demandent la fermeture des bars et des restaurants dans les villes où le nombre de personnes en réanimation augmente, ont raison. Mais les restaurateurs qui sont au désespoir de faire les frais d’une situation où l’économie sert d’ajustement à nos insuffisances collectives en matière de respect des gestes barrière ont eux aussi parfaitement raison. Ceux qui savent tout et feraient toujours mieux que le gouvernement quel qu’il soit nous expliquent qu’il aurait suffi d’augmenter la capacité de lits en réanimation. Ceux qui raisonnent ainsi connaissent mal le fonctionnement du secteur de la santé. En France, environ 35 % des malades du Covid-19 admis en réanimation décèdent. Bien que cette proportion semble décroître, il n’est pas illégitime de vouloir limiter le nombre de patients qui vont avoir à se coucher dans ces lits. En outre, un malade en réanimation mobilise six personnes. Les hôpitaux manquent essentiellement de personnels soignants. Or ils ont bien du mal à les trouver en raison des absurdes politiques de numerus clausus passées, qui ont empêché la formation de s’adapter aux besoins. Ces dernières semaines, ce ne sont pas les choix du gouvernement qui se sont révélés mauvais, mais leur exécution. Ainsi, l’organisation des tests aurait dû être confiée non pas à un fonctionnaire du ministère de la Santé mais à un spécialiste de la logistique industrielle.
Les limites des dispositifs de soutien
Diriger une entreprise dans ces circonstances d’incertitude sanitaire, sans compter la confusion économique et géopolitique qui pourrait découler d’une absence de résultat clair à l’issue de la présidentielle américaine de novembre (si Donald Trump – lui-même testé positif au Covid – refusait de partir après une défaite serrée), relève également de la performance. Une entreprise fonctionne comme un vélo. Si elle n’avance pas, elle tombe. C’est la raison pour laquelle les dispositifs de soutien mis en place au début de la crise (en particulier le chômage partiel) atteignent leurs limites. Dans la pratique, il est difficile de laisser un collaborateur au chômage partiel plus de six mois. Il se démotive, se déqualifie (même si le plan France relance incite les entreprises qui ont signé un accord de chômage partiel de longue durée à recourir à la formation continue). Le salarié risque de partir ailleurs, y compris dans un autre secteur. La crise aura au moins servi à rappeler une constante de la condition humaine : dans leur immense majorité, les gens veulent travailler. Les DRH des secteurs en difficulté vont hélas devoir prendre les décisions qui s’imposent. Des secteurs comme le transport aérien ou l’hôtellerie sont en situation durable de surcapacités. Leurs entreprises vont devoir licencier. A charge pour la collectivité de former les personnes concernées pour les amener rapidement vers d’autres branches d’activité. C’est très facile à dire et très difficile à faire, mais il n’existe pas d’autre chemin.
Pédagogie, empathie, ténacité
Ces périodes de crise sont aussi propices aux fusions d’entreprises ou aux cessions, qui constituent une source supplémentaire d’anxiété pour les salariés. Dans les secteurs surcapacitaires, ces mouvements sont souvent un moyen de réduire l’offre.
Mais il faut également rappeler que de nombreux mouvements stratégiques créent de la valeur et du bien-être pour les collaborateurs. CNP Assurances a gagné à être séparé de la Caisse des dépôts pour rejoindre La Banque postale. La Fnac dispose de davantage d’autonomie tactique depuis qu’elle n’appartient plus à Kering, et l’acquisition de Bombardier Transport par Alstom permet au groupe français de se concentrer avantageusement sur la construction ferroviaire.
La décision et le management forment des exercices très délicats dans les périodes « normales ». En ce moment, cette difficulté est multipliée à la puissance 10. La pédagogie, l’empathie, la ténacité et la clarté d’esprit sont plus que jamais requises.