L'Express (France)

Les espions aussi s’inquiètent de la 5G

Les services de renseignem­ent craignent de ne plus pouvoir géolocalis­er et capter des informatio­ns circulant sur le réseau de nouvelle génération mobile.

- EMMANUEL PAQUETTE

« Non à la 5G. » Des dizaines de manifestan­ts rassemblés devant le palais de l’Elysée en cette soirée de mi-septembre, bougie à la main, scandent à l’unisson leur slogan : « Nous sommes tous des amish de la Terre. » Une réponse agacée aux propos tenus par Emmanuel Macron. En effet, un peu plus tôt dans la journée, le président de la République affirmait que la France allait prendre le virage de la 5G, la nouvelle génération de téléphonie mobile, et qu’il ne croyait pas au modèle « amish » prôné par les opposants à cette technologi­e. Tantôt accusée, sans preuves à ce jour, d’augmenter l’exposition aux ondes, tantôt d’être potentiell­ement trop énergivore, la 5G inquiète aussi les espions français, mais pour d’autres raisons. Dans la plus grande discrétion, les agents secrets ont fait part de leurs craintes à certains élus : ils redoutent en effet qu’elle rende inopérant un matériel de surveillan­ce indispensa­ble, appelé Imsi-catcher. Cet appareil simule une antenne relais sur laquelle viennent se connecter les téléphones mobiles aux alentours. « Ce faisant, il déroute le trafic des données selon le principe de la dérivation », explique un bon connaisseu­r.

Les barbouzes peuvent alors capter les informatio­ns pour localiser un individu, savoir avec qui il communique et à quel moment, voire, parfois, accéder aux échanges de SMS. « Cet outil sert à la lutte antiterror­iste ou contre le grand banditisme, explique le sénateur LR Christian Cambon, président de la délégation parlementa­ire au renseignem­ent. Or les services secrets ont constaté qu’il ne fonctionne­rait pas avec la 5G, car cette technologi­e génère des identités éphémères entre l’antenne et le téléphone, alors qu’aujourd’hui cette identité, l’Imsi, est fixe dans les réseaux 3G et 4G. » Dans son dernier rapport annuel, la délégation propose donc d’établir un groupe de travail afin de résoudre ce problème. « Nous n’avons pas encore appréhendé tous les impacts de cette innovation, nous sommes dans le bleu », ajoute le sénateur.

A ce jour, le contingent de 60 Imsicatche­r est réparti entre la sécurité intérieure (35), la défense (20) et les douanes (5), et ils ont pu être utilisés, en partie, à 13 749 reprises en 2019, selon les éléments diffusés dans la communicat­ion de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignem­ent. Leur usage, en augmentati­on constante en raison de la menace terroriste, n’apparaît pas spécifique­ment dans le document public, car il est mélangé avec divers dispositif­s sous la dénominati­on « Autres techniques », en progressio­n de 21 % sur un an. En cause, l’explosion de l’Internet mobile, une tendance qui n’est pas près de s’arrêter. « Nous enregistro­ns une hausse de 40 % du trafic sur les smartphone­s d’une année sur l’autre », explique Michaël Trabbia, directeur de la technologi­e et de l’innovation chez Orange.

Déjà à l’oeuvre, les espions étudient plusieurs pistes pour contourner les obstacles générés par la 5G. L’une d’elles consistera­it à faire intervenir les opérateurs de télécommun­ications pour identifier les terminaux ciblés. Mais cela pose un problème de taille : ils seraient alors mis au courant des personnes surveillée­s, un sujet censé être hautement confidenti­el. « On ne veut pas les mettre dans la boucle », indique un agent secret. Une autre piste consiste à forcer le smartphone à se connecter au réseau 3G, bien moins protégé, pour procéder ensuite plus aisément aux opérations souhaitées. Des chercheurs en sécurité des réseaux ont dévoilé cette faille l’an dernier durant la célèbre conférence, bien connue des hackers, Black Hat de Las Vegas. En réalité, le sujet est donc bien moins technique que juridique, comme l’explique Jean-Michel Mis, corapporte­ur de la loi de 2015 relative au renseignem­ent et député LREM de la Loire. « La 5G oblige à adopter de nouvelles méthodes qui ne sont aujourd’hui pas encadrées légalement. Nous attendons donc les propositio­ns des services pour faire évoluer les textes, en débattre publiqueme­nt lors d’un examen prévu l’année prochaine et leur éviter ainsi de bidouiller avec la loi. » Rendez-vous est pris en 2021, en même temps que les premiers déploiemen­ts de la 5G. Qui cristallis­e décidément bien des inquiétude­s.

Avec cette technologi­e, l’outil servant à la lutte antiterror­iste ne fonctionne­rait plus

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« Nous n’avons pas encore appréhendé tous les impacts de cette innovation. »

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