Outre-mer Iles Eparses : de si précieux confettis
Stratégiques pour la France sur les plans économique et sécuritaire, ces petits bouts de terre sont revendiqués par Madagascar.
Un décor de carte postale. Ce 23 octobre 2019, le long de l’eau turquoise, Emmanuel Macron, en chemise et cravate, foule le sable fin de La Grande Glorieuse, à 8 000 kilomètres de Paris. Jamais un président de la République n’avait mis les pieds sur ce minuscule bout de terre, situé au nord-ouest de Madagascar. « Ici, c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse », déclare alors le chef de l’Etat.
Cinq mois plus tôt, Andry Rajoelina tient un tout autre discours au palais de l’Elysée. Invité par son homologue français, le dirigeant malgache réclame le retour de quatre des cinq îles Eparses, dont l’archipel des Glorieuses, dans le giron de son pays. Pour lui aussi, il s’agit d’une « question d’identité nationale ». Dans la foulée, Emmanuel Macron accepte de mettre en place une commission mixte pour aboutir à une solution consensuelle avant juin 2020, date du soixantième anniversaire de l’indépendance de Madagascar, une ex-colonie française. Mais le processus est aujourd’hui au point mort. Au mois de juillet, un rapport du Sénat soulignait même « l’urgence de réaffirmer la souveraineté de la France sur ces îles ».
A Antananarivo, le gouvernement voit rouge. « La demande d’Andry Rajoelina fait consensus chez les Malgaches, qui considèrent que le refus de la France de restituer ces îles est dans la continuité d’un comportement colonialiste », explique Juvence Ramasy, maître de conférences à l’université de Toamasina. Les Nations unies leur ont donné raison par deux fois, en 1979 et en 1980. L’organisation internationale a ainsi jugé que les Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India, éloignées les unes des autres de plusieurs centaines de kilomètres, ont été « séparées arbitrairement de Madagascar […] au moment de son accession à l’indépendance ». A l’époque, le général de Gaulle estime stratégique de conserver ces territoires – pour éventuellement y mener « nos expériences atomiques ». Paris n’appliquera jamais les résolutions onusiennes, au caractère non contraignant.
Situées dans le canal du Mozambique, long bras de mer qui sépare Madagascar du reste de l’Afrique, les îles Eparses font partie de la collectivité des Terres australes et antarctiques françaises. Bien qu’elles ne représentent que 43 kilomètres carrés de terres émergées, elles donnent accès à une superficie maritime de 636 000 kilomètres carrés. Un ensemble plus vaste que la métropole. Le détenteur de ces zones économiques exclusives peut y exploiter toutes les ressources marines et sousmarines dans une bande partant des côtes jusqu’à la ligne des 200 milles nautiques (370 kilomètres). De quoi susciter des convoitises. « La découverte d’immenses gisements de gaz au large du Mozambique voisin [NDLR : où opère le français Total] est venue alimenter le fantasme d’un trésor pétrolifère et gazier dans le canal, raconte Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales. Mais nous n’avons pas de confirmation que les fonds marins des îles Eparses sont si riches. »
Le doute n’est pas près d’être levé. En février, la France a parachevé l’interdiction de toute exploration et exploitation de ses sous-sols. Emmanuel Macron avait d’ailleurs profité de sa visite dans les Glorieuses pour annoncer le classement de l’archipel en réserve naturelle. Grâce à leurs récifs coralliens quasiment intacts, les autres îles Eparses hébergent elles aussi une biodiversité exceptionnelle et constituent un laboratoire d’observation idéal de l’évolution du dérèglement climatique.
« Brandir la protection environnementale pour sécuriser des zones contestées est une stratégie de plus en plus utilisée dans le monde, note toutefois Christiane Rafidinarivo, chercheuse invitée du Centre de recherches politiques de Sciences po. Pour la France, conserver ce potentiel de ressources peut être utile à long terme. » Selon cette spécialiste de l’océan Indien, la bataille pour les îles Eparses s’inscrit dans un contexte de « maritimisation croissante » des rapports de force entre les grandes puissances. En occupant presque un tiers du canal du Mozambique, la France, détentrice du deuxième domaine maritime de la planète, peut contrôler cette voie empruntée par les supertankers, les porte-conteneurs et les thoniers.
A Madagascar, des émissaires russes ou chinois viennent régulièrement proposer des partenariats lucratifs aux autorités pour exploiter les ressources du territoire. Lors de sa visite en février dernier, le ministre des Affaires étrangères, JeanYves Le Drian, a donc préféré ne pas venir les mains vides. Il a annoncé le quasidoublement de l’aide française en faveur de l’ancienne colonie.W