L'Express (France)

Macron-Philippe, la médaille de la discorde

L’ex-Premier ministre est désormais grand officier de la Légion d’honneur. Il en a le titre, il attend que le président le décore. Mais l’histoire n’est pas si simple. Récit.

- LAURELINE DUPONT ET ÉRIC MANDONNET

Ce matin-là, Edouard Philippe en ouvrant son courrier tombe sur une grande enveloppe. Elle contient une lettre et ce qui ressemble à un diplôme. Il est écrit : ORDRE NATIONAL DE LA LÉGION D’HONNEUR. Puis : « Le grand chancelier de la Légion d’honneur a l’honneur de certifier qu’en vertu de l’article R. 17 alinéa 3 du code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire, la dignité de grand officier de la Légion d’honneur appartient de plein droit à Monsieur Edouard Philippe. » Le carton est signé du général d’armée Benoît Puga, grand chancelier de la Légion d’honneur.

On dit merci qui? Merci Nicolas Sarkozy. C’est à lui que le désormais ex-chef du gouverneme­nt doit cette distinctio­n. Le 21 novembre 2008 est publié un décret du président de la République modifiant le code de la Légion d’honneur. Il y est précisé que « la dignité de grand officier appartient de plein droit aux anciens Premiers ministres qui ont exercé leurs fonctions durant deux années au moins ». A l’époque, Nicolas Sarkozy sait qu’il permet ainsi à son cher Edouard Balladur de bénéficier de cette décoration, en même temps qu’il en prive celui qui a voulu avoir sa peau, Dominique de Villepin, resté à Matignon pendant un an et onze mois.

Edouard Philippe a dirigé le gouverneme­nt pendant trois ans, un mois et dixhuit jours. Le voici donc « de plein droit » grand officier, comme son mentor Alain Juppé (resté à Matignon deux ans… et seize jours !). Il n’a certes pas reçu la fameuse boutonnièr­e rouge dans son enveloppe,

mais il suffit de la demander à la grande chanceller­ie pour l’obtenir. Une cérémonie est possible, à laquelle seuls le président actuel ou l’un de ses prédécesse­urs, ainsi que le grand chancelier de la Légion d’honneur peuvent procéder. Il paraîtrait logique qu’Emmanuel Macron décore son ancien Premier ministre. Logique, mais assez inédit, car ce duo – le couple exécutif –, une fois qu’il se défait, vit rarement des jours paisibles. Sauf que – chacun l’a répété à satiété – leur relation est, précisémen­t, « inédite ». Suffisant pour justifier une remise de décoration par le président ? C’est en tout cas ce que semble attendre Edouard Philippe. Les récits et leur précision varient selon les narrateurs, mais dans l’entourage de l’ex-Premier ministre, on parle beaucoup trop de ce petit bouton rouge pour qu’il soit parfaiteme­nt anecdotiqu­e. D’après l’un de ses amis, au moment de décacheter l’enveloppe, en juillet, « Edouard » aurait été un brin surpris de cet envoi sans crier gare, sans signe présidenti­el. L’Elysée assure qu’une cérémonie aura lieu et qu’il ne s’agit plus que de trouver une date. Pas question de laisser une breloque devenir la médaille de la discorde.

Preuve de la bonne volonté macronienn­e, le directeur de cabinet du président, Patrick Strzoda, a déjà pris contact avec son homologue de la mairie du Havre, Mohamed Hamrouni. La remise pourrait avoir lieu dans la ville normande, en marge d’un déplacemen­t du chef de l’Etat consacré au plan de relance ; pourquoi pas ? Un proche d’Edouard Philippe l’a suggéré à l’Elysée. A moins que l’intéressé, pudique, préfère une cérémonie en catimini. En attendant, il s’abstient de commenter.

Demander, au risque de donner l’impression de quémander, ou surtout ne rien dire et jouer les indifféren­ts. François Fillon se garda bien de réclamer quoi que ce soit à Nicolas Sarkozy. Il sollicita le grand chancelier de la Légion d’honneur de l’époque, le général Jean-Louis Georgelin, qui le décora lors d’une cérémonie privée, dans son bureau. Manuel Valls ne voulut pas davantage solliciter « son » président, François Hollande.

Difficile d’imaginer Edouard Philippe, dont le sens de l’Etat est un ascétisme, arborer un insigne qu’on ne lui a pas remis solennelle­ment. Difficile d’imaginer l’ancien Premier ministre, auquel l’orgueil n’est pas étranger, se contenter d’un pli postal après trois années de bons et loyaux services. La Légion d’honneur, une question d’honneur.

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L’ancien chef du gouverneme­nt et le président se sont revus le 5 septembre.

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