Plutôt Machiavel ou Rantanplan ?, par François Bazin
En arguant préférer l’action au commentaire, Emmanuel Macron adopte une posture qui prête à discussion.
Dans la vie politique ordinaire, surviennent parfois des événements qui laissent perplexe le citoyen informé et, avec lui, le commentateur supposé éclairer sa lanterne. Le récent attentat perpétré devant les anciens locaux de Charlie, et l’absence totale de réaction publique du chef de l’Etat dans les heures qui ont suivi relèvent de cette catégorie. Pourquoi ? Pourquoi pas même un communiqué, fût-il de simple compassion pour les victimes ? Pourquoi ce vide étrange qui, plutôt que de souligner la mobilisation du Premier ministre et de son gouvernement, a suscité inévitablement interrogations et soupçons. Le président est dans l’action et pas dans le commentaire, a fini par faire savoir l’Elysée, avant de renvoyer les Français à un prochain discours sur « le séparatisme ». Comme si Emmanuel Macron ne pouvait pas faire les deux à la fois ! Comme si une réaction à chaud pouvait venir déflorer ou affadir un propos censé éclairer de ses seuls feux la fin entière du quinquennat…
L’ouverture de la saison du clash
On cite cet exemple parce qu’il est le plus récent. Pour être honnête, il faut admettre que le pouvoir macronien n’est pas le premier – ni hélas le dernier – à provoquer par son attitude énigmatique un pareil embarras. Si celui-là mérite qu’on lui consacre quelques lignes, c’est qu’il s’inscrit, en fait, dans un contexte tel qu’on en viendrait à croire que loin d’être accidentel, il est devenu l’expression d’une méthode. Depuis une rentrée qui devait être un alléluia sous la bannière de Jean Castex, et qui se révèle être un interminable chemin de croix, c’est à répétition que ces Opni (objets politiques non identifiés) viennent scander l’actualité au point d’en faire souvent les gros titres.
Qu’on en juge. Le 15 septembre dernier, le président a lui-même donné le coup d’envoi de la saison du clash en qualifiant d’« amish » ceux qui s’opposent à l’installation en France, sans délais, de la 5G. Cette précipitation pouvait très bien se justifier, mais pourquoi alors préférer l’ironie blessante à l’argumentation raisonnée ? La convention citoyenne pour le climat qu’Emmanuel Macron a couverte de lauriers avait demandé dans son rapport final un moratoire sur cette nouvelle technologie sans qu’on lui oppose un « joker » élyséen. Voici soudain que d’un seul trait le président vient abîmer ce qu’il présentait hier comme son oeuvre, sans qu’on sache ce qui a pu motiver pareil revirement.
Rechercher la logique cachée
Même sentiment, dix jours plus tard, lorsque le gouvernement, par la voix d’Olivier Véran, vient imposer, en l’absence de toute concertation véritable, des mesures coercitives afin de lutter contre la propagation accélérée du Covid-19, notamment à Marseille. Là encore, cette méthode pouvait très bien se justifier par l’urgence ou la responsabilité qui incombe à l’Etat de trancher dans le vif lorsque cela se révèle nécessaire. Mais alors pourquoi avoir surjoué auparavant la fructueuse alliance entre préfets et maires jusqu’à en faire la marque de fabrique d’un pouvoir enfin réconcilié avec les « territoires » ? Pourquoi cette image est-elle cassée avec des oukases tombés d’en haut, surtout si c’est pour opérer ensuite, toute honte bue, un nouveau virage sur l’aile ?
Devant des événements aussi peu compréhensibles dans leur nature et dans leur enchaînement, la tentation du commentateur est de rechercher leur logique cachée. Puisqu’on n’y comprend rien, c’est que ces mystères ont un sens qu’il s’agit d’aller dénicher. C’est ainsi qu’on en vient à donner une cohérence à ce qui relève de la pure improvisation. Si le pouvoir agit comme il le fait, c’est forcément parce qu’il a ses raisons qui sont de l’ordre du calcul, voire du billard à six bandes. A ce jeu, il revient au commentateur imaginatif de mettre en forme – et donc en récit – ce qui n’était que barbouillis. Cet exercice n’est pas particulièrement compliqué. Il est plus aisé
– et plus valorisant – de raconter Machiavel plutôt que Rantanplan. Ce constat d’expérience n’épuise pourtant pas, on le sent bien, ce qui semble être la spécificité d’une époque dont le président entend être le phare. Sans doute faut-il oublier Machiavel un instant pour aller voir du côté de Freud. A force de se concentrer entre les mêmes mains, l’exercice du pouvoir tend à se psychologiser. Le motif principal de tant d’événements ponctuels dont la clef semble incertaine, n’est-ce pas au bout du compte le désir du président – comme de tout gouvernant – de faire la démonstration égotique que, à tout instant, il reste libre. Libre d’agir à sa guise, libre de déconstruire ce qu’il a bâti, libre d’improviser. D’autant plus libre en apparence que, en fait, il l’est de moins en moins au fur et à mesure que ses décisions antérieures l’obligent et que l’eau coule, inéluctablement, dans la clepsydre du quinquennat.
François Bazin, essayiste et journaliste spécialiste de la politique.