L'Express (France)

Le théâtre retrouvé, par Christophe Donner

- Christophe Donner, écrivain. Christophe Donner

Réouvertur­e de la Comédie-Française au théâtre Marigny. Ça ne ressemblai­t à rien, donc on s’en souviendra. Il y avait saint François d’Assise en première partie, au Studio, et on pouvait enchaîner avec Marcel Proust dans la grande salle.

A Marigny parce que la salle du Français est en travaux. Cet exil, ajouté aux mesures sanitaires – les sièges vides et les masques –, c’était déjà mémorable.

Saint patron des hommes de pouvoir et de la mode, Francesco doit sa vocation à la vision familière qui lui fut imposée enfant : les potentats de la ville d’Assise entrant dans la boutique de son père en costume d’apparat, soies, dentelles, velours et fourrures, déposant leur canne et leur chapeau à plumes, retirant tout jusqu’au maillot de corps, jusqu’au caleçon. Le podestat, l’évêque et le condottier­e, nus comme des vers, comme des nouveau-nés. Et son père, prenant les mesures de leurs difformité­s avant de leur tailler le nouvel habit, encore plus riche, encore plus brodé d’or, qui fera étinceler toujours plus leur puissance. C’est cette leçon profitable qui a rendu François, jusque devant le pape, invincible, magistral, avec cet orgueil du dénuement qui le mènera à la gloire parfaite. Pour le reste, l’histoire des oiseaux, les miracles et les stigmates, tous ces fioretti, c’est ce que l’Eglise, dans sa mièvrerie incurable, a livré aux enfants. Dario Fo s’en est méfié, éloigné, pour raconter une légende un tantinet communiste dans laquelle Guillaume Gallienne s’embarque avec témérité. Il doit faire des efforts, au début, mais ça finit par payer : la ferveur du comédien, son goût des mots, nous convainc de la beauté du récit. On sort de là émus, fans de théâtre, et donc prêts à affronter le grand danger d’A la recherche du temps perdu.

Certes, le théâtre Marigny est situé dans un écrin de verdure, où poussaient jadis des cattleyas d’Odette. Un clin d’oeil qui n’avait rien pour rassurer Christophe Honoré. L’auteur de L’Affaire P’tit Marcel (Ecole des Loisirs, 1997) avait à sa dispositio­n les meilleurs comédiens de la Terre, une scène large et encore approfondi­e par l’ouverture sur les jardins. Il avait entre les mains un des textes les plus emblématiq­ues de l’histoire de la littératur­e. Que croyez-vous qu’il fit ? Un traitement, une lecture, une adaptation ? Par sainte Madeleine, préservez-nous !

Il a arraché toutes les pages du livre, et il les a jetées en l’air. Voilà comment, mieux que de rendre hommage au texte, il l’a mis à l’épreuve. Il fallait qu’il ait confiance en lui pour le confronter ainsi à Léo Ferré (« Ton style, c’est ton cul »). Il pouvait compter sur la Providence pour que ces pages retombent aux bons endroits, entre de bonnes mains. Mais il fut en cela aidé par son perchman (Roman Gonzalez) qui, tout au long de la pièce, chasse ces papillons épars, les épingle, les enfile. La chorégraph­ie de ce montage plein d’intelligen­ce et de tact fixant dans l’air la passion du cinéaste pour la littératur­e. C’est d’ailleurs lui, le perchman, qui essuie l’algarade la plus vive du spectacle, quand le baron de Charlus (Serge Bagdassari­an), après avoir manqué se faire éborgner par l’encombrant micro, le houspille : « Alors quoi ! Elle est trop lourde, ta perche ? » De ces éclats de rire qui vous font dire qu’on a bien fait de venir.

Alors, inévitable­ment, il y a des longueurs, et on a beau les couper, le théâtre ne fera pas de Marcel Proust un page-turner. Il y a même des lourdeurs dreyfusard­es dont ne se souvenait pas, mais la clairvoyan­ce politique de celui qui dédia son volume à Léon Daudet est approximat­ive, avouez. Arrive la scène, presque finale, qui remet tout le monde à sa place. Le rideau est tombé, le plateau a disparu, de même que le perchiste. Stéphane Varupenne, en Marcel à contre-emploi, est seul aux prises avec Charlus et sa collection de sièges d’époque introuvabl­es. Le vieux baron lui déclare sa haine, sa flamme, son dépit, il ne retient plus les gestes de son dernier espoir. Alors nous sommes, comme après une fugue, de retour dans le livre.

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