L'Express (France)

Des mini-cerveaux pour mieux comprendre la maladie d’Alzheimer

- STÉPHANIE BENZ

A Fontenay-aux-Roses, des chercheurs du CEA développen­t des organoïdes cérébraux pour décrypter les mécanismes à l’origine de cette pathologie. Reportage.

Une demidouzai­ne de minuscules billes blanches flottent dans un liquide rosâtre. En apparence, rien de très spectacula­ire, et pourtant : « Ce sont des minicervea­ux », annonce Frank Yates, chercheur spécialist­e des cellules souches. Nous sommes à Fontenayau­xRoses (HautsdeSei­ne), sur le site du Commissari­at à l’énergie atomique et aux énergies alternativ­es (CEA), où a été mis au point, à la fin des années 1940, Zoé, le premier réacteur nucléaire français. Désormais dénucléari­sés, les 10 hectares du centre sont entièremen­t tournés vers les sciences de la vie. Avec des recherches de pointe, comme celles menées dans ce laboratoir­e sur ces organoïdes cérébraux.

« Nous développon­s ces modèles pour nous donner les moyens de comprendre les mécanismes les plus précoces d’Alzheimer », explique le responsabl­e de l’équipe, JeanPhilip­pe Deslys, directeur du service d’étude des prions et des infections atypiques. Avec, bien sûr, pour objectif à terme de découvrir de nouvelles voies de traitement ou de prévention. Les animaux et les cultures cellulaire­s habituelle­ment utilisés dans les recherches contre cette affection, qui atteindrai­t chaque année en France 225 000 nouvelles personnes, ont montré depuis longtemps leurs limites. Aucun ne reproduit parfaiteme­nt la complexité de cette pathologie, ce qui explique en partie les difficulté­s rencontrée­s par l’industrie pharmaceut­ique à mettre au point des médicament­s. Il fallait donc trouver autre chose, plus proche des tissus humains.

Ces « cérébroïde­s » se trouvent bien loin de l’image de sciencefic­tion d’un cortex parfaiteme­nt fonctionne­l, évoluant entre deux eaux, en dehors du corps humain. Mesurant entre 3 et 4 millimètre­s de diamètre, ils ont été créés à partir de cellules souches « reprogramm­ées » pour se différenci­er en cellules cérébrales. En l’occurrence, environ 1 million de neurones et de cellules gliales – jouant un rôle de soutien et de protection du tissu nerveux – agglomérés. S’ils ne sont pas ordonnés comme dans un cerveau humain, les chercheurs y repèrent tout de même des zones spécialisé­es, tels la rétine et l’hippocampe.

« Nous sommes vraiment au début de l’aventure. A présent, nous cherchons à induire dans nos minicervea­ux des phénomènes physiopath­ologiques proches de

la maladie », précise JeanPhilip­pe Deslys. Pour cela, l’équipe teste différente­s méthodes. Exposer les organoïdes à des molécules chimiques, modifier les caractéris­tiques du liquide dans lequel ils baignent, les cultiver à partir de cellules de patients souffrant de formes génétiques de la pathologie, ou apporter aux cellules les gènes impliqués dans ces formes familiales, grâce à la technologi­e « CRISPR » d’édition du génome… « Nous parvenons pour l’instant au stade qui précède l’apparition des agrégats de protéines toxiques », constate Frank Yates.

Ces modèles innovants rencontren­t toutefois encore des limites. D’abord, les organoïdes présentent une très grande variabilit­é : ils ont chacun leur organisati­on propre, ce qui rend difficile l’analyse des résultats. Un projet cofinancé par la Fondation pour la recherche médicale* vient d’être lancé avec des équipes de l’université ParisSacla­y et du Génoscope d’Evry pour les cartograph­ier et mieux appréhende­r leurs caractéris­tiques. Mais, surtout, ces structures s’apparenten­t en réalité à des cerveaux… embryonnai­res. Parallèlem­ent à ses autres travaux, l’équipe de JeanPhilip­pe Deslys cherche donc aussi des astuces pour faire vieillir artificiel­lement les organoïdes, afin de se rapprocher de la réalité d’une maladie qui touche dans son immense majorité des sujets âgés.

La première piste explorée – laisser les cérébroïde­s en culture pendant plus d’un an – permet d’obtenir un vieillisse­ment naturel, mais de tels délais se révèlent difficilem­ent compatible­s avec les impératifs de la recherche. Autre solution envisagée, greffer les minicervea­ux à des souris, pour qu’ils vieillisse­nt en même temps qu’elles. « Nous sommes dans une phase de foisonneme­nt des idées, avec de nombreuses équipes à travers la planète qui travaillen­t sur les mêmes problémati­ques », s’enthousias­me JeanPhilip­pe Deslys. Des travaux suivis de près par l’industrie pharmaceut­ique, car ils pourraient aussi faciliter les tests de nouvelles molécules. De bien grands espoirs pour d’aussi petits cerveaux…

* La Fondation pour la recherche médicale est le premier financeur privé de la recherche sur la maladie d’Alzheimer, avec plus de 4 millions d’euros investis en 2019. Chaque année, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre cette maladie, la FRM mène une campagne de mobilisati­on.

Newspapers in French

Newspapers from France