Des mini-cerveaux pour mieux comprendre la maladie d’Alzheimer
A Fontenay-aux-Roses, des chercheurs du CEA développent des organoïdes cérébraux pour décrypter les mécanismes à l’origine de cette pathologie. Reportage.
Une demidouzaine de minuscules billes blanches flottent dans un liquide rosâtre. En apparence, rien de très spectaculaire, et pourtant : « Ce sont des minicerveaux », annonce Frank Yates, chercheur spécialiste des cellules souches. Nous sommes à FontenayauxRoses (HautsdeSeine), sur le site du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), où a été mis au point, à la fin des années 1940, Zoé, le premier réacteur nucléaire français. Désormais dénucléarisés, les 10 hectares du centre sont entièrement tournés vers les sciences de la vie. Avec des recherches de pointe, comme celles menées dans ce laboratoire sur ces organoïdes cérébraux.
« Nous développons ces modèles pour nous donner les moyens de comprendre les mécanismes les plus précoces d’Alzheimer », explique le responsable de l’équipe, JeanPhilippe Deslys, directeur du service d’étude des prions et des infections atypiques. Avec, bien sûr, pour objectif à terme de découvrir de nouvelles voies de traitement ou de prévention. Les animaux et les cultures cellulaires habituellement utilisés dans les recherches contre cette affection, qui atteindrait chaque année en France 225 000 nouvelles personnes, ont montré depuis longtemps leurs limites. Aucun ne reproduit parfaitement la complexité de cette pathologie, ce qui explique en partie les difficultés rencontrées par l’industrie pharmaceutique à mettre au point des médicaments. Il fallait donc trouver autre chose, plus proche des tissus humains.
Ces « cérébroïdes » se trouvent bien loin de l’image de sciencefiction d’un cortex parfaitement fonctionnel, évoluant entre deux eaux, en dehors du corps humain. Mesurant entre 3 et 4 millimètres de diamètre, ils ont été créés à partir de cellules souches « reprogrammées » pour se différencier en cellules cérébrales. En l’occurrence, environ 1 million de neurones et de cellules gliales – jouant un rôle de soutien et de protection du tissu nerveux – agglomérés. S’ils ne sont pas ordonnés comme dans un cerveau humain, les chercheurs y repèrent tout de même des zones spécialisées, tels la rétine et l’hippocampe.
« Nous sommes vraiment au début de l’aventure. A présent, nous cherchons à induire dans nos minicerveaux des phénomènes physiopathologiques proches de
la maladie », précise JeanPhilippe Deslys. Pour cela, l’équipe teste différentes méthodes. Exposer les organoïdes à des molécules chimiques, modifier les caractéristiques du liquide dans lequel ils baignent, les cultiver à partir de cellules de patients souffrant de formes génétiques de la pathologie, ou apporter aux cellules les gènes impliqués dans ces formes familiales, grâce à la technologie « CRISPR » d’édition du génome… « Nous parvenons pour l’instant au stade qui précède l’apparition des agrégats de protéines toxiques », constate Frank Yates.
Ces modèles innovants rencontrent toutefois encore des limites. D’abord, les organoïdes présentent une très grande variabilité : ils ont chacun leur organisation propre, ce qui rend difficile l’analyse des résultats. Un projet cofinancé par la Fondation pour la recherche médicale* vient d’être lancé avec des équipes de l’université ParisSaclay et du Génoscope d’Evry pour les cartographier et mieux appréhender leurs caractéristiques. Mais, surtout, ces structures s’apparentent en réalité à des cerveaux… embryonnaires. Parallèlement à ses autres travaux, l’équipe de JeanPhilippe Deslys cherche donc aussi des astuces pour faire vieillir artificiellement les organoïdes, afin de se rapprocher de la réalité d’une maladie qui touche dans son immense majorité des sujets âgés.
La première piste explorée – laisser les cérébroïdes en culture pendant plus d’un an – permet d’obtenir un vieillissement naturel, mais de tels délais se révèlent difficilement compatibles avec les impératifs de la recherche. Autre solution envisagée, greffer les minicerveaux à des souris, pour qu’ils vieillissent en même temps qu’elles. « Nous sommes dans une phase de foisonnement des idées, avec de nombreuses équipes à travers la planète qui travaillent sur les mêmes problématiques », s’enthousiasme JeanPhilippe Deslys. Des travaux suivis de près par l’industrie pharmaceutique, car ils pourraient aussi faciliter les tests de nouvelles molécules. De bien grands espoirs pour d’aussi petits cerveaux…
* La Fondation pour la recherche médicale est le premier financeur privé de la recherche sur la maladie d’Alzheimer, avec plus de 4 millions d’euros investis en 2019. Chaque année, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre cette maladie, la FRM mène une campagne de mobilisation.